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Il restait encore un obstacle le savoir - certaines choses qu'il devait apprendre.
Les Chinkos étaient de bons professeurs, capables d'empiler des connaissances sur des disques que l'on pouvait assimiler en un éclair. Mais, fondamentalement, ils avaient travaillé au service des Psychlos, ils avaient essayé d'éduquer des Psychlos, et ils avaient omis un certain nombre de choses. Soit parce que les Psychlos les connaissaient déjà, soit parce qu'elles ne présentaient pas d'intérêt évident pour eux. Ce qui, pour Jonnie, créait autant de lacunes.
Jonnie en était arrivé à la déduction qu'il y avait de l'uranium dans les montagnes de l'ouest. Il le supposait parce qu'aucune exploitation minière n'avait jamais été tentée dans cette région par les Psychlos. Par rapport à l'accident dont il avait été témoin et pour bien d'autres raisons, il soupçonnait que l'uranium était un élément absolument mortel pour les Psychlos. Mais jusque là, il n'en avait pas la certitude et il en ignorait la raison.
Il fut absolument consterné, en étudiant un texte sur la chimie électronique, de découvrir qu'il existait de très nombreuses formes d'uranium.
Il était auprès du feu, consultant alternativement les textes et la machine à instruire, quand il sentit le sol vibrer à l'approche de Terl, comme à l'ordinaire. Le monstre effectuait une de ses rondes de nuit.
- Qu'est-ce que tu étudies donc si assidûment, animal ? demanda-t-il en se penchant sur lui.
Jonnie décida brusquement de tenter sa chance. Il leva les yeux vers le masque de Terl et dit :
- Les montagnes qui sont à l'ouest.
Terl le regarda d'un air soupçonneux durant un instant.
- Il n'y a pas grand-chose à ce sujet, ajouta Jonnie.
Terl demeurait méfiant. Qu'avait donc bien pu deviner cet animal ?
- Je suis né et j'ai été élevé là-bas, poursuivit Jonnie. Il existe des informations sur toutes les autres montagnes, mais presque pas sur celles-là. (Il désigna les lointains sommets neigeux sous la pâle clarté de la lune.) Les Chinkos ont pris beaucoup de livres dans la bibliothèque. Des livres d'homme. Est-ce qu'ils sont ici ?
- Oh. .. (Terl grommela d'un air soulagé.) Des livres d'homme. Haha !
Cela lui plaisait plutôt. Parce que ça cadrait avec ses plans. Il s'absenta un moment et revint avec, sous un bras, une vieille table défoncée et, sous l’autre, un fatras de volumes qu'il laissa tomber en arrivant. Ils étaient très vieux et fatigués, et certains se disloquèrent ou perdirent leur couverture.
- Je suis devenu une vraie nourrice pour toi, animal, dit Terl. Si tu trouves ton bonheur en cherchant dans ce charabia, tant mieux pour toi. (Il s'arrêta sur le seuil après avoir verrouillé la porte de la cage.) Souviens-toi bien d'une chose, animal Toutes les sornettes que tu trouveras dans ces livres d'homme n'ont rien pu contre les Psychlos. (Il rit.) Tu y trouveras sûrement beaucoup de recettes pour accommoder le rat cru, en tout cas.
Il s'éloigna et son rire s'estompa.
Jonnie, avec respect, toucha les livres. Et il sentit monter un nouvel espoir en lui dès qu'il les ouvrit. Pour la plupart, ils avaient trait à la mine. Sa première découverte fut un texte sur la chimie. Il y trouva une table des éléments » qui donnait la formation atomique de chacun des éléments connus de l’homme.
Brusquement intrigué, il prit le texte psychlo sur la chimie électronique. Là aussi, il y avait une table de la structure atomique des éléments.
Il les compara à la clarté vacillante du feu.
Elles étaient différentes !
Les deux tables étaient apparemment basées sur la « loi périodique » selon laquelle les propriétés des éléments chimiques se renouvellent périodiquement lorsque les éléments sont disposés dans l'ordre croissant de leurs nombres atomiques. Mais dans la table dressée par les hommes figuraient des éléments qui étaient absents de celle des Psychlos. Et la table psychlo comportait douze éléments supplémentaires, ainsi que de nombreux gaz. Et elle ne semblait pas fondée sur l'oxygène.
Jonnie pataugeait. Il n'était pas très habile à déchiffrer les abréviations, plus habitué au psychlo qu'à l’anglais.
Bon, les Psychlos avaient recensé le radium et lui avaient même attribué un nombre atomique : quatre-vingt-huit. Mais ils l’avaient classé comme un - élément rare. Et il y avait des dizaines d'éléments classés au-dessus de quatre-vingt-huit.
Rien ne mettait autant en évidence qu'il avait affaire à une planète étrangère, à un univers étranger, que la différence entre ces deux tables. Certains métaux étaient compatibles, mais, dans l'ensemble, la distribution était différente et il existait même des différences au niveau de la structure atomique.
Il finit par se dire que les deux tables étaient imparfaites et incomplètes. La tête lui tournait et il abandonna. Il était un homme d'action, après tout, pas un Chinko !
Il restait une dernière question de taille. Y avait-il des mines d'uranium dans les montagnes ?
Il finit par mettre la main sur des cartes et des listes. Il avait entretenu jusqu'alors la certitude que ces mines existaient. Mais il ne trouva que des notes qui indiquaient que ces mines avaient été exploitées.
Quoi ? Plus la moindre mine d'uranium ? En tout cas, aucune qui fût encore exploitable.
Pourtant, il ne pouvait se détacher de cette idée : il devait encore y avoir de l'uranium quelque part dans les montagnes. Autrement, pour quelle raison les Psychlos évitaient-ils cette région ? Peut-être parce qu'ils croyaient qu'il y en avait. Mais non, il devait vraiment exister des filons d'uranium là-bas.
Certains de ses plans commencèrent à s'effriter et il faillit sombrer dans le désespoir.
Il se mit à chercher dans les livres, s'arrêtant à la moindre référence à l'uranium.
Et puis, brusquement, comme l'aurait dit Ker, il tomba sur le gros lot.
C'était un ouvrage sur la toxicologie des mines. Les poisons qui peuvent affecter les mineurs. Dans l'index, on trouvait : Uranium; les maladies causées par les radiations.
Jonnie passa la demi-heure suivante à lire tout ce qui concernait l'uranium. Il semblait qu'on avait tout intérêt à être habillé de plomb, quand on bricolait avec le radium, l’uranium ou même les radiations. Car il pouvait se passer des tas de choses terribles. Eruptions, chute des cheveux, brûlures, modifications globulaires...
Et puis, brusquement, il trouva : les gens bombardés par les radiations souffraient de perturbations dans leurs gènes et leurs chromosomes. Il en résultait la stérilité et des tares à la naissance.
C’était le mal dont souffraient les siens.
C’était pour cela que les naissances étaient devenues rares et que les nouveau-nés avaient souvent des malformations.
C'est ce qui expliquait la léthargie de la plupart. Et « le mal rouge ». Ainsi que la désagrégation des os de son père.
C'était écrit là. Ce texte décrivait très exactement ce qui arrivait aux siens. Pourquoi ils ne se multipliaient plus.
Il y avait des radiations dans la vallée du village !
Il se replongea en hâte dans les cartes des mines. Non, à proximité du village, il n'y avait même pas trace d'une mine d'uranium exploitée.
Pourtant il y avait des radiations. On ne pouvait se méprendre sur les symptômes.
Il savait à présent pourquoi les Psychlos ne s'aventuraient pas là-bas. Mais s'il n'y avait aucune mine, d'où venaient les radiations ? Du soleil ? Non, ce n'était pas ça. Les chèvres et les bouquetins, sur les plus hautes pentes, se reproduisaient sans difficulté, et jamais encore il n'en avait rencontrés qui étaient difformes.
En tout cas, il avait plus ou moins la réponse, même si elle n'était pas parfaite : il y avait des radiations, mais pas de mines.
Il lui vint brusquement l'idée que l'homme devait avoir disposé d'un moyen de détecter les radiations. Ses connaissances semblaient tellement avancées dans ce domaine. finit par trouver. On appelait cela un « compteur Geiger », du nom d'un personnage dont Jonnie ne parvint pas à retrouver les dates de naissance et de mort. Il apparaissait en tout cas que les radiations, ou « particules ionisées », lorsqu'elles traversaient un gaz, y suscitaient un courant qui faisait réagir une aiguille. Les radiations créaient apparemment un courant dans un certain nombre de gaz.
Les diagrammes et les schémas restèrent inintelligibles pour Jonnie jusqu'à ce qu'il mette la main sur un index des abréviations. Lentement, laborieusement, il les traduisit par rapport aux termes psychlos. Et il se posa la question : était-il capable de construire un compteur Geiger ?
Il disposait désormais des ateliers d'électronique des Psychlos et il décida que oui, il pouvait y parvenir. Mais s'il s'échappait, ce ne serait plus possible. Et le désespoir s'insinua à nouveau en lui.
Finalement, il reposa les livres et, au plus tard de la nuit, il s'enfonça dans un sommeil d'épuisement. Il eut des cauchemars. Chrissie était assaillie et massacrée. Son peuple s'était éteint. Et le monde des Psychlos, plus vivant que jamais, se riait de lui.