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Numph était nerveux. Il adressa un regard incertain à Terl lorsque celui-ci entra.
- Mutinerie ? demanda-t-il.
- Non, pas encore.
- Qu'est-ce que vous m'amenez là?
Terl tira sur la lanière de Jonnie.
- Je désirais vous montrer la chose-homme.
Numph se pencha en avant. Il observa un instant cet animal sans fourrure, presque nu, avec deux bras et deux jambes. Mais non : il avait quand même un peu de fourrure. Sur la tête et au bas du visage. Et des yeux bleu pâle étranges.
- Ne le laissez pas pisser par terre, dit-il enfin.
- Regardez ses mains, fit Terl. Elles sont tout à fait adaptées à...
- Vous êtes vraiment certain qu'une mutinerie n'est pas en train d'éclater ? Ils ont appris la nouvelle ce matin. Et je n'ai encore reçu aucune information des exploitations des autres continents.
- Cela n'a probablement pas plu, mais il n'y a pas encore de mutinerie, dit Terl. Si vous voulez bien examiner ses mains.
- Je vais surveiller la production de près, continua Numph. Il se pourrait bien qu'ils essaient de la réduire.
- Ça ne signifierait pas grand-chose. Nous manquons de personnel. Au transport, il ne reste plus un seul mécano pour l'entretien. Ils ont tous été transférés aux opérations pour augmenter la production.
- Je me suis laissé dire que le chômage se développe sur la planète mère. Je pourrais peut-être faire venir du personnel de renfort...
Terl soupira. Quel idiot ! Numph n'arrêtait pas de radoter.
- Avec la réduction des salaires et la suppression des primes ? Sur cette affreuse planète ?... Non, je ne crois pas qu'il y aura beaucoup de candidats. Mais si vous voulez bien examiner cet animal...
- Oui, c'est ça. J'aurais dû faire venir du personnel avant les mesures de réduction. Vous êtes absolument certain que la mutinerie n'a pas commencé ? Terl se décida.
- Eh bien, la meilleure façon d'empêcher une mutinerie c'est de promettre une augmentation de la production. Et dans l'année qui vient, je pense que nous pourrons remplacer la moitié de nos conducteurs d'engins et de véhicules par ces être-là...
Bon sang ! Il n'arrivait à rien.
- Il n'a pas pissé par terre, au moins ? s'inquiéta Numph en se penchant un peu plus pour regarder. Vous savez que cette chose sent vraiment mauvais ?
- Ce sont ces peaux non tannées qu'elle porte. Elle n'a pas de véritables vêtements.
- Des vêtements ? Parce qu'elle peut porter des vêtements ?
- Oui, je le crois, Votre Planétarité. Mais elle n'a que ces peaux pour l'instant. En fait, j'ai ici quelques demandes de réquisition.
Terl s'avança vers le bureau et tendit les documents afin de les faire signer par Numph. Il n'avait pas le moindre moyen de pression sur cet imbécile.
- Ce bureau vient à peine d'être nettoyé, dit Numph. Et maintenant, il va falloir le ventiler à fond. Qu'est-ce que vous me donnez là ?
Son regard venait de se poser sur les demandes de réquisition.
- Vous vouliez que je vous démontre que cette chose-homme peut conduire des machines. Il y a là une demande de fournitures générales et une autre pour un véhicule.
- Elles sont marquées « urgent ».
- Si nous voulons vraiment éviter une mutinerie, il faut remonter rapidement le moral du personnel.
- C’est exact.
Numph était en train de lire la demande de réquisition comme s'il n'en avait jamais vu de toute sa carrière.
Jonnie attendait patiemment. Il était occupé à enregistrer tous les détails des lieux. Les évents d'arrivée du gaz respiratoire, la matière dont le dôme était fait, les arceaux qui le maintenaient...
Les Psychlos ne portaient pas de masque ici et c'était la première fois qu'il les voyait à visage nu. Ils avaient l’air presque humains, si ce n'est qu'ils semblaient avoir des plaques osseuses à la place des lèvres, des sourcils et des paupières. Leurs yeux couleur d'ambre rappelaient ceux des loups. Il commençait à pouvoir lire leurs émotions par rapport à leurs expressions.
En s'avançant dans le camp, ils avaient croisé un certain nombre de Psychlos. Tous l'avaient détaillé avec curiosité, mais les regards qu'ils avaient adressés à Terl avaient été franchement hostiles. Apparemment, sa fonction ou son rang ne le rendait pas particulièrement populaire. Mais toutes les relations entre ces êtres, avait remarqué Jonnie, étaient hostiles.
Numph releva enfin la tête.
- Vous pensez vraiment que ces choses peuvent conduire des machines ?
- Vous m'avez demandé une démonstration. Pour cela, il me faut un véhicule. Afin de lui apprendre.
- Oh... Elle ne sait pas encore. donc. Alors comment pouvez-vous être sûr ?
Bon sang ! se dit Terl. L'autre était encore plus idiot qu'il ne le pensait.
Mais quelque chose tourmentait Numph.
Quelque chose dont il ne parlait pas. Un chef de la sécurité avait toujours de munition pour ça. Un moyen de pression ! Il lui fallait un moyen de pression. S'il arrivait à savoir ce qui préoccupait Numph, il aurait ce moyen de pression. Il lui faudrait ouvrir les yeux et les oreilles.
- Il a très vite appris à se servir d'une machine à instruire, Votre Planétarité.
- Appris ?
- Oui, il sait maintenant lire et écrire dans sa langue, mais aussi en psychlo.
- Non !
Terl se tourna vers Jonnie.
- Salue Sa Planétarité.
Jonnie le regarda bien en face sans dire un mot.
- Parle ! lança Terl, puis il ajouta à mi-voix : « Tu veux que j'arrache ce masque ? »
- Je crois, dit Jonnie, que Terl désire que vous signiez ces ordres de réquisition afin que j'apprenne à conduire une machine. Si vous lui en avez donné l'ordre, vous devriez signer.
Ce fut comme s'il n'avait pas prononcé un mot. Numph était perdu dans la contemplation de la fenêtre. Il réfléchissait intensément. Puis ses narines se dilatèrent et il déclara
- Cette chose pue.
- Dès que j'aurai votre signature sur ces ordres de réquisition, promit Terl, nous nous retirerons.
- Oui, oui, marmonna Numph. Il griffonna ses initiales au bas des documents.
Terl les prit d'un geste vif et s'apprêta à se retirer.
Numph se pencha à nouveau et demanda :
- Vous êtes sûr qu'il n'a pas pissé par terre ?