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C’est en retournant chez lui avec sa carriole après une journée passée à vendre ses produits sur le marché d’Ero qu’un paysan remarqua sur le bas-côté la fillette en larmes. Il la pressa de questions sur les siens, mais il y perdit sa peine, elle était trop timide ou trop effrayée pour parler. À en juger d’après ses sabots de bois crottés et sa méchante robe de toile bise, elle n’était pas de la ville. Peut-être qu’elle était tombée de l’arrière de la charrette de quelque fermier ? Il se dressa sur son perchoir pour scruter la route qu’il s’apprêtait à suivre, elle était déserte.

C’était un brave homme, et comme la nuit venait sans qu’apparaisse aucun secours, la seule chose à faire lui sembla d’emmener la gosse à la maison, où sa femme s’en occuperait. Elle arrêta de pleurer lorsqu’il la hissa sur le siège, mais elle grelottait. Il l’emmitoufla dans son manteau puis lui donna un bout de sucre candi qu’il avait acheté pour ses propres petites.

 « Nous te fourrerons entre elles ce soir au lit, et tu auras aussi chaud qu’un charançon dans la bouillie d’avoine », promit-il, et de claquer la langue, là-dessus, pour remettre son cheval en marche.

La gamine éternua, puis se remit allègrement à suçoter la friandise. Muette de naissance, il lui était impossible de dire au bonhomme qu’elle ne comprenait pas un traître mot de ce qu’il disait. Elle savait néanmoins qu’il était gentil, rien qu’au ton de sa voix et à sa manière de la traiter. En fait, tout le contraire des étrangers qui l’avaient arrachée à son village avant de la jeter dans un bateau bourré de gens tristes et finalement de l’abandonner sur un bord de route en pleine nuit.

Elle ne pouvait pas non plus remercier pour le sucre, à son grand chagrin, parce qu’elle aurait bien aimé le dire, que les brûlures et le gonflement de sa gorge en étaient fortement soulagés ... !