V
 
POLICHINELLE

 

De leur dôme parfumé

Les promenades couvertes,

Près de l’Odéon fermé

Montrent leurs feuilles ouvertes.

 

Je vais sous leur parasol

M’asseoir sur les chaises blanches

Aux premières de Guignol

Qui monte en plein vent ses planches.

 

C’est Colombine, Arlequin,

Pierrot et Polichinelle,

Cassandre, vieux mannequin,

La comédie éternelle !

 

Racleur de grinçants accords

Un violoniste maigre

Semble railler les décors

Que fait frémir sa note aigre.

 

Colombine en ses atours

Aime, selon qu’elle y pense,

Arlequin qui fait des tours,

Pierrot qui garnit sa panse.

 

Pour le mal rendant le bien,

Cassandre toujours pardonne.

Cassandre n’y gagne rien

Sinon les coups qu’on lui donne.

 

Polichinelle à la fin

Nasillant dans sa pratique

Vient annoncer d’un air fin

Qu’on va fermer la boutique.

 

Il trouve que c’en est trop

De Colombine fantasque,

De l’enfariné Pierrot

Et d’Arlequin sous son masque.

 

Il trouve que l’acte est long,

Et vite, vite, il le coupe,

Il le coupe pour que l’on

S'en aille manger la soupe.

 

Dans notre esprit habité

Par des illusions brèves,

Ainsi la réalité

Vient terminer tous nos rêves.

 

On faisait un doux roman

Sur l’antique ritournelle,

Quand arrive au beau moment

Le couic de Polichinelle.

 

Couic ! il faut te déranger,

Dit la panse inassouvie.

Couic ! rêver est un danger

Quand on doit gagner sa vie.

 

Couic ! travaille, va, viens, cours !

Le reste n’est que mensonge,

Et les instants sont trop courts

Pour les dépenser en songe.

 

Ô vie âpre qui nous tords

Comme un grain dans une roue,

Vie aux yeux creux, aux pieds tors,

Aux doigts crochus pleins de boue,

 

Polichinelle moqueur,

Ventre, amour, chose infernale

Qui viens nous percer le cœur

De ta pratique banale,

 

Pour ton vulgaire souci,

Pour tes stupides services,

Comme on te haïrait, si

Tu n’avais pas tant de vices !