VIII
 
LA GLOIRE DES INSECTES

 

C’est avril. C’est midi. La terre a mis son châle

De verdure et de fleurs au dessin ondoyant,

Et le ciel tend sur elle un dais de velours pâle

Que le soleil retient d’un clou d’or flamboyant.

 

La nature fredonne un vieux chant de nourrice

Et brode une layette en merveilleux festons ;

Car elle sent les fruits germer dans sa matrice

Et le lait de la sève arrondir ses tétons.

 

Nous, ses fils orgueilleux, les chefs de la famille,

Nous croyons être seuls bercés sur ses genoux.

Nous oublions toujours que son giron fourmille

De plus petits enfants aussi choyés que nous.

 

Si parfois nous pensons à nos frères, les brutes,

Qui devraient être rois étant les premiers nés,

C’est pour nous souvenir qu’après d’ardentes luttes

Nous volâmes leur droit d’aînesse à ces aînés.

 

Si nous pensons aux soins que prend d’eux la nature,

C’est pour nous figurer qu’à nous, ses Benjamins,

Comme une ménagère apprêtant la pâture

Elle veut les offrir engraissés par ses mains.

 

Mais quant au peuple obscur des petits, des insectes,

Qu’elle les aime ou non, nul ne veut le savoir.

Poussière d’avortons nés de larves infectes,

Nous les méprisons trop pour chercher à les voir.

 

Or, comme je rêvais ainsi, couché dans l’herbe,

Voulant que de moi seul la nature eût souci,

Tandis que je cuvais le vin de ma superbe,

Une petite voix m’a bourdonné ceci :

 

*

 

Es-tu poète ? Mets ensemble

Le plus clair cristal, qui te semble

Un pleur du ciel,

L’opale dont l’éclat se gaze

Sous un lait trouble, la topaze

Couleur de miel,

 

L’émeraude qui dans sa flamme

A l’air de faire brûler l’âme

Du printemps vert,

L’escarboucle de sang trempée

Pareille à la goutte échappée

D’un cœur ouvert,

 

Le saphir sombre qui scintille

Plus que les yeux bleus d’une fille

Près d’un amant,

Mets le roi de toutes ces pierres,

Devant qui tu clos tes paupières,

Le diamant,

 

Que pour toi ce trésor s’arrange

En une mosaïque étrange

Aux tons divers,

Que ces belles choses sans nombre

De leurs feux illuminent l’ombre.

De tous tes vers,

 

Combine d’une main savante,

Imagine, compose, invente,

Refais, refonds,

Sers-toi des poinçons et des limes,

Et que tes dessins soient sublimes

Et soient profonds,

 

Quand ton œuvre sera finie,

Malgré l’effort de ton génie,

Tous tes cadeaux

Ne pourront remplacer encore

Ceux dont la nature décore

Mon petit dos.

 

Je fais mon nid dans une feuille.

Un enfant, pour peu qu’il le veuille,

Du bout du doigt

Peut briser ma feuille et ma vie.

Pourtant je suis digne d’envie,

Môme pour toi.

 

La nature, la mère auguste,

N’est pas une marâtre injuste

Comme tu dis,

Et pour d’autres que pour les hommes

Elle a fait du monde où nous sommes

Un paradis.

 

À qui donc sont les bois, la mousse,

Les champs, les prés, le grain qui pousse,

L’herbe qui poind ?

Est-ce à toi, né dans une ville,

À toi dont la charogne est vile

Et ne sert point ?

 

Ou bien aux bêtes mes compagnes,

Les seuls hôtes qui des campagnes

Soient coutumiers,

Elles qui vivent des prairies

Et qui les font toutes fleuries

De leurs fumiers ?

Ou bien est-ce à moi, le gueux libre,

Soul d’azur et dont l’aile vibre

En plein soleil,

Moi qui l’été m’amuse et rôde,

Qui l’hiver sous la terre chaude

Dors mon sommeil,

 

Et qui cours joyeux par la plaine,

Mangeant à ma guise, sans peine

Et sans remords,

Suivant la Mort épouvantable

Qui partout dresse sur ma table

La chair des morts ?

 

Lorsque je vis à ne rien faire,

Toi, tu travailles, pauvre hère,

Jusqu’au tombeau.

La sueur te brûle et te sale.

Ton corps est laid, ton corps est sale.

Moi je suis beau.

 

*

 

Et je vis, sur ma main, bourdonnant de colère,

Un être merveilleux et pourtant tout petit.

Ce rien du tout luisait comme un spectre solaire.

C’était un scarabée. Il eut peur et partit.