XVI
 
BALLADE DU DÉGEL

 

C’est le dégel aux pieds mouillés !

Dans le ciel, dont la toile écrue

A des tons jaunâtres rouillés,

On ne voit plus, lasse et recrue,

Filer en triangle la grue

Vers les lieux où l’oranger croît.

La boue immonde est apparue ;

Mais les pauvres n’ont plus si froid.

 

À travers bottines, souliers,

Chaussettes et bas, l’eau se rue

Avec des sanglots gargouillés,

Les toits dégouttent dans la rue.

Leur larme salissante et drue

Sur le nez vous tombe tout droit

Comme une roupie incongrue ;

Mais les pauvres n’ont plus si froid.

 

Les gens les mieux mis sont souillés

Par la crotte, et la malotrue

Donne un allure de rouliers

Même à l’opulence ventrue.

Jusqu’à la femme qu’on a crue

Sans tache, et qui dans maint endroit

Se met de la boue en verrue !…

Mais les pauvres n’ont plus si froid.

 

ENVOI

 

Prince, grâce à la fange accrue,

Malgré votre pied très étroit

Vous avez l’air coquecigrue ;

Mais les pauvres n’ont plus si froid.