NOS GAIETÉS

I
 
NOS GAIETÉS

 

Quand, soûls, nous braillons un chant,

D’aucuns vont nous reprochant

Notre dignité partie.

Laissez-nous ! les jours sont courts.

On n’est pas gai tous les jours

Dans notre partie.

 

Vous nous appelez des fous.

Mais, braves gens, savez-vous

Que pour vous jouer ce rôle

Nous crevons de faim souvent ?

Et dîner avec du vent,

Ce n’est pas très drôle.

 

La faim, la soif et le froid

Sont les sujets de ce roi

Qui s’intitule poète.

Pauvre roi, qui plus d’un jour

Donnerait toute sa cour

Pour une omelette !

 

C’est entendu, c’est certain,

Nous aurons quelque matin

Notre colonne Trajane.

En attendant ce moment,

Nous la changerions vraiment

Pour un mac-farlane.

 

L’auréole et ses rayons,

Sacrebleu ! nous les payons

En misère avec usure.

Nous célébrons nos los.

Quel hymne ! Mais nos sanglots

Battent la mesure.

 

Vous qui buvez sans témoins,

Et qui mangez pour le moins

Trois fois par jour à votre heure,

Taisez-vous, quand par hasard

Nous attrapons une part

De l’assiette au beurre.

 

Ne faites pas les méchants.

N’ayez pas, grâce à nos chants,

Des digestions moins calmes.

Ventres creux et gosiers secs,

Nous aimons vins et biftecks

Autant que les palmes.

 

Laissez-nous donc rire un peu.

Aujourd’hui le ciel est bleu,

Notre tristesse est partie.

Laissez-nous ! les jours sont courts.

On n’est pas gai tous les jours

Dans notre partie.