CHAPITRE XX
Mark resta immobile, respectant les méditations du templier qui ne cherchait pas à cacher les larmes qui glissaient sur ses joues.
Peu de temps après, Ray reparut et émit :
-Csis est en route pour l'aviso !
Le grand Maître redressa enfin la tête et demanda :
-Si j'ai bien compris les explications fournies, c'est vous qui avez libéré ce malheureux Csis et permis l'anéantissement des monstres. Puis-je connaître votre nom et savoir d'où vous venez ?
-Vos compatriotes m'appellent Mark de Stone.
Une lueur amusée brilla un instant dans le regard atone du grand Maître.
-Votre nom était déjà parvenu à mes oreilles. Vous avez été le seul à vaincre un chevalier de l'Ordre ! Pouvez-vous maintenant répondre à ma seconde question ?
Mark réfléchit un instant.
-J'ai trop d'estime pour votre intelligence et je ne puis vous mentir. Ma planète se nomme la Terre. Elle tourne autour d'une étoile, si loin dans le ciel qu'elle est à peine visible à l'oeil nu ! Mes concitoyens ont souvent commis des folies mais avec le temps une certaine sagesse leur est venue. Aussi évitent-ils de s'immiscer dans les affaires des autres planètes. Ma mission n'était que d'observation et il a fallu des circonstances exceptionnelles pour que je sois autorisé à intervenir directement.
Xer de Sark fixa un long moment Mark.
-Je vous remercie de votre franchise, chevalier. Toutefois, votre oeuvre rédemptrice n'est pas encore terminée avec l'holocauste des Kruss. Il vous faut encore punir leurs complices ! Je suis prêt à subir le châtiment qu'il vous plaira de m'infliger !
Mark ne put retenir une exclamation.
-Je ne suis pas ici pour juger et encore moins pour punir! Surtout, je désirerais, dans l'intérêt même de vos compatriotes qui n'ont pas encore acquis assez de connaissances, que cet épisode reste un secret entre vous et moi !
Une lueur incrédule traversa les prunelles brouillées de larmes du grand Maître.
-Ainsi, balbutia-t-il, vous ne révélerez pas cette abomination, au peuple et le nom de ma famille ne sera pas maudit pendant des générations !
-Même le roi devra tout ignorer ! Toutefois, il vous reste une besogne pénible à accomplir.
Xer de Sark hocha doucement la tête.
-Effectivement, murmura-t-il, l'Ordre doit disparaître, puisque sa raison d'être était basée sur une monstrueuse imposture. Toutefois, c'est un peu comme si je devais tuer mon enfant et je vous supplie de m'épargner cette besogne, pourtant indispensable. Pendant vingt-cinq ans, j'ai oeuvré de toutes mes forces, de toute mon âme, à son développement et je craindrais à tout moment de sentir mes forces me trahir. Vous qui avez déjà tout fait pour mes compatriotes, pouvez seul agir avec l'énergie indispensable.
-C'est impossible ! Jamais je n'aurais l'autorité nécessaire sur les autres templiers.
-Je vous nommerai grand Maître à ma place et les autres seront obligés de s'incliner.
Ray, qui était revenu sans bruit, enregistrait le dialogue. Retrouvant un certain enthousiasme, Xer de Sark ouvrit une épaisse reliure où s'entassaient des parchemins.
-Ici vous avez la liste des membres de cette commanderie, ici le nom des grands maîtres des six autres temples ainsi que le nom de mon envoyé secret !
Il fut obligé de préciser :
-Pour être assuré de la fidélité des grands maîtres, j'avais décidé de placer dans chaque conseil un de mes envoyés. Les Maîtres savent qu'il existe mais ignorent son identité. Ainsi je pensais pouvoir les maintenir dans une stricte obéissance.
Pendant une demi-heure, Xer de Sark instruisit Mark des détails de l'organisation de l'Ordre. Heureusement pour le Terrien, Ray absorbait les renseignements sur ses circuits toujours disponibles !
Lorsqu'il eut terminé, le grand Maître se dirigea vers un coffre de bois renforcé de lourdes ferrures. Prenant une clef suspendue à son cou par une chaînette d'or, il fit jouer la serrure. Aussitôt les
Terriens reconnurent un petit appareil radio-émetteur d'un modèle assez primitif.
-Je vais annoncer en priorité aux autres grands Maîtres votre nomination, puis nous recevrons le chapitre de cette commanderie.
Mark approuva mais tint à préciser :
-Ne mentionnez pas encore mon nom, car je crains des réactions vives du grand Maître de Vork.
-C'est certainement lui qui vous donnera le plus de tracas. Depuis de nombreuses années, il souhaitait me remplacer. Pour couper court à tout complot, je lui avais laissé espérer qu'il serait mon successeur désigné.
Rapidement Xer de Sark appuya sur une touche et répéta à trois reprises un bref message annonçant son remplacement par un nouveau Maître !
Ayant refermé le coffre, il tendit la clef à Mark puis agita le cordon d'une imposante sonnette. Aussitôt un chevalier, probablement de faction devant la porte, entra.
-Réunion immédiate dans la grande salle du chapitre. Que tous nos frères soient présents! Aucune exception ne sera tolérée !
Le chevalier s'inclina et disparut au pas de course. En attendant, le grand Maître montra à Mark une épaisse pile de parchemins posée sur une sorte de bibliothèque.
-Voici enfin les archives de l'Ordre, messire de Stone! Vingt-cinq ans de foi, de travail, d'espérance, de crédulité...
Sa voix s'étrangla en un sanglot.
-... de préparation à l'horreur, acheva-t-il. Vous trouverez également les détails des budgets. Dans mon ignominie, je puis toutefois affirmer mon intégrité. Il n'y a pas un seul écu dont je ne puisse justifier l'utilisation. Certains de nos frères n'ont pas eu les mêmes scrupules, mais chaque fois que j'en ai été informé, j'ai aussitôt sévi !
Un chevalier annonça que le conseil était aux ordres du grand Maître.
Mark, suivant Xer de Sark, descendit un escalier aux dimensions imposantes, traversa un couloir voûté pour parvenir enfin dans une vaste salle au milieu de laquelle était disposée une longue table.
Une trentaine de chevaliers s'étaient levés à l'arrivée de leur supérieur.
Ce dernier, après s'être installé dans un fauteuil à haut dossier, leur fit signe de s'asseoir tandis que Mark restait derrière la cathèdre du grand Maître.
-Mes frères, dit Xer de Sark d'une voix tremblante d'émotion, je viens d'avoir un dernier entretien avec les envoyés de Notre Seigneur Dieu. Ils sont si mécontents de nous qu'ils ont décidé de quitter à jamais notre Terre !
La stupeur figea les chevaliers et c'est dans un pesant silence que le grand Maître poursuivit :
-Ils nous avaient demandé de construire de gigantesques cathédrales. C'était une épreuve qu'ils tendaient à notre foi. Dans notre désir d'obéir servilement, nous avons oublié les premiers enseignements : la générosité, le désintéressement, l'amour du prochain ! Tout au contraire, nous avons exploité nos semblables, rétabli l'esclavage, et reconnaissons-le, beaucoup d'entre nous ont profité de leur autorité pour assouvir leur cupidité. La dernière volonté des envoyés de Dieu est que les hommes retrouvent leur croyance primitive et oublient l'Ordre qui a si mal servi la foi! En conséquence, j'abandonne mon poste et nomme comme grand Maître le chevalier Mark de Stone. Il est instruit de tous les secrets de l'Ordre et son seul but est d'assurer la dissolution de notre confrérie dans la discipline !
Le grand Maître se leva, enleva lentement sa tunique blanche portant un cercle rouge frappé de cinq triangles d'or, puis la passa à Mark qui l'enfila.
Sans perdre un instant, le Terrien annonça :
-Avant ce soir, cette commanderie devra être évacuée. Les hommes d'armes recevront chacun dix écus et seront licenciés. Parmi vous, mes frères, il en est qui possèdent déjà un fief et un castel. Ils retourneront simplement dans leurs terres, feront allégeance au roi de Vork et prieront Dieu pour le salut de nos âmes à tous.
« Ceux qui n'ont pas de biens recevront une part équitable de notre cassette. Le frère trésorier s'occupera des partages. Pour ma part, une monture pour moi et mon écuyer seront les seuls biens que j'emporterai d'ici. Allez ! N'oubliez pas que tout doit être réglé ce jour !
En compagnie de Xer de Sark, Mark regagna les appartements du grand Maître.
-Je pense que nous n'aurons guère de difficultés, commenta le Terrien.
-L'obéissance était la première vertu de notre Ordre. Toutefois, méfiez-vous. A Vork, vous risquez d'avoir de désagréables surprises. Gal de Fask est trop orgueilleux pour céder à une simple injonction. Il vous faudra certainement utiliser vos pouvoirs!
Présentant un sceptre doré terminé par une main à l'index tendu, il ajouta :
-Voici le symbole de votre fonction de Grand Maître. Si vous appuyez là une étincelle mortelle jaillit du doigt ! Votre science vous permet certainement de comprendre comment fonctionne cet objet que je croyais témoin de la puissance divine.
-Où désirez-vous vous rendre ? dit Mark. Si je me souviens bien, cette commanderie a été construite à partir de votre castel !
-Je compte rester ici, sourit tristement Xer de Sark.
Devançant la protestation qui allait jaillir des lèvres de son interlocuteur, il ajouta en désignant la porte dissimulée dans le mur.
-Ma place est là, derrière, avec tous ces malheureux que j'ai condamnés à un sort atroce alors que je pensais leur ouvrir le royaume des cieux !
Mark voulut dissuader le templier mais se heurta à une volonté inflexible.
-Jamais je ne pourrais vivre avec un tel remords! Puisse le vrai Dieu me pardonner mes péchés !
Xer de Sark fit pivoter la rosace comme l'avait montré Csis. Le mur s'écarta et une bouffée d'air brûlant chauffa la pièce.
Sans hésitation, le grand Maître avança, regarda une dernière fois les Terriens et enclencha le mécanisme de fermeture.
Très impressionné, Mark resta immobile un long moment avant de demander à Ray :
-Es-tu certain qu'aucun Kruss ne s'est échappé ?
-En revenant, j'ai survolé le dôme qui ne tardera pas à s'écrouler. Pour plus de sécurité, j'ai envoyé encore quelques grenades incendiaires mais c'est inutile, ces maudits insectes sont archigrillés !