CHAPITRE II
-Contact, ordonna Mark.
Un léger ronronnement s'éleva puis vivement Ray enclencha plusieurs touches. Le sas du vaisseau s'ouvrit et le module fut expulsé dans l'espace.
L'entrée dans l'atmosphère de Tor se fit suivant l'angle prévu et le pilote n'eut à effectuer que de minimes corrections. Bientôt la navette fut entourée de lourds nuages opaques.
-Prends les commandes, Ray, ordonna Stone, ta vision multiple te permet de te reconnaître dans cette nuit noire. Ce n'est pas le moment d'avoir un accident !
L'androïde hocha la tête et rapidement posa le module sur une petite plate-forme à flanc de coteau. Une pluie dense fouettait le plexiglas et la nuit noire était trouée par de puissants éclairs.
-Sortons rapidement, dit Mark. Je doute qu'il y ait quelqu'un dehors par un temps pareil, mais mieux vaut ne pas laisser le module trop longtemps sur terre.
Les deux voyageurs restèrent un instant immobiles tandis que la capsule télécommandée par Ray bondissait vers le ciel. Mark ressentait toujours à cet instant un pincement au coeur. Désormais, il était livré à ses propres ressources et heureusement à celles très variées de Ray. Qu'un accident survienne à leur vaisseau et ils étaient condamnés à finir leurs jours sur cette planète.
L'androïde saisit la main de Mark en disant :
-Viens, il y a un chemin tout près et la cabane n'est qu'à cinq cents mètres.
Cette fois, il n'avait pas parlé car le vent et le tonnerre auraient couvert ses paroles mais utilisé son émetteur radio. Mark le reçut parfaitement, car le service lui avait greffé dans l'oreille droite un minuscule récepteur et mis un émetteur sous le larynx.
Quelques minutes plus tard, ils parvinrent devant une misérable hutte de branchages renforcés de torchis. Du poing, Mark heurta ce qui lui semblait être la porte. Presque aussitôt, il entendit un grognement puis le bruit d'un silex que l'on frappait violemment.
Après une attente qui lui parut interminable, un rayon de lumière filtra à travers les interstices du bois grossièrement taillé et la porte s'ouvrit.
Un personnage grand, très maigre, au visage ridé et aux cheveux tout blancs, se tenait sur le seuil, une torche fumante à la main. Il était vêtu d'une longue robe de bure grise.
-Qui êtes-vous et que désirez-vous, mes fils? demanda le vieillard d'une voix ferme.
-Nous sommes des voyageurs égarés et nous avons été surpris par l'orage. Nos montures effrayées se sont enfuies.
C'était la première fois que Mark parlait le dialecte local qui lui avait été enseigné pendant son sommeil, aussi trébuchait-il un peu sur les mots.
Le moine ne parut pas s'en apercevoir, mettant sans doute sur le compte de la fatigue les fautes de prononciation.
-Entrez, dit-il simplement. Je vais faire du feu pour que vous puissiez sécher vos vêtements.
Cela n'était pas un luxe, car les vingt minutes passées dehors avaient trempé Mark jusqu'aux os ! Tandis que l'ermite saisissait des fagots entassés près d'une cheminée très rustique, Stone se déshabilla, imité par Ray. Quelques minutes plus tard, installés sur des tabourets rugueux, Mark répondit à l'interrogation muette du moine.
-Je m'appelle Mark de Stone et voici Raymond, mon écuyer. Mon père possède un petit royaume au-delà des montagnes.
L'ermite lui lança un coup d'oeil perçant mais se contenta de remarquer :
-Cela fait un long voyage ! On dit les montagnes très hautes.
-Elles le sont, mais il existe quelques rares passages connus de certains commerçants. Nous nous sommes joints à une caravane.
-Si vous possédez un fief, pourquoi venir ici?
-Je ne suis que le cadet et j'avais envie de connaître le vaste monde.
Le vieillard hocha la tête tandis qu'à l'extérieur l'orage redoublait de violence.
-Je n'ai qu'un peu de pain à vous offrir, reprit-il.
Tandis que l'ermite déposait sur une table mal équarrie une miche, Mark demanda :
-Vivez-vous toujours seul ici ?
-Cela fait des années que j'ai construit cet ermitage où je peux prier Dieu et méditer.
L'émetteur de Ray résonna à l'oreille de Mark :
-Les indigènes de Tor sont monodéistes et très influencés par le clergé.
Pendant ce temps, l'ermite poursuivit avec un petit sourire :
-On m'appelle le Saint Homme de la colline, mais je pense que cette dénomination est fortement exagérée. Les fidèles qui viennent encore ici m'apportent quelques provisions, malheureusement ils sont de plus en plus rares.
-La foi s'éteindrait-elle ?
-Nullement! Mais les maîtres de l'Ordre n'aiment guère les pauvres ermites de mon espèce.
Mark questionna mentalement Ray qui répondit :
-Le précédent rapport ne fait aucune mention de cette secte !
-Un peu de nouveauté fera très bien dans notre rapport au Service, jubila Mark qui demanda aussitôt :
-Qui sont ces maîtres de l'Ordre ?
Le vieillard dévisagea le jeune homme un long moment avant de répondre :
-Comment avez-vous pu traverser notre pays sans entendre parler de l'Ordre ?
Mark sentit qu'il avait commis une imprudence, aussi imaginat-il rapidement.
-Désireux de me rendre au plus vite dans la capitale, je ne me suis guère arrêté que dans quelques misérables auberges ou dans des chaumières de paysans qui m'ont hébergé.
Il plongea la main dans une bourse de cuir suspendue à sa ceinture et en tira un écu d'or.
-Nous avons perdu nos bagages avec nos chevaux, aussi ne puis-je vous remercier de votre hospitalité que par cette obole. Faites-moi la grâce de l'accepter. En échange, vous prierez pour le salut de notre âme.
L'ermite regarda longuement la pièce à la lueur du feu.
-Vous semblez sincère, chevalier, murmura-t-il enfin. C'est une ancienne pièce comme il en circulait autrefois.
-N'a-t-elle plus de valeur ?
-Oh ! Si, mais nous n'en voyons plus guère depuis que l'Ordre a obtenu du roi Walik le privilège de battre la monnaie.
Mark renouvela sa question et l'ermite consentit à répondre.
-L'Ordre a été créé il y a une vingtaine d'années. Le grand Maître prétend communiquer directement avec des envoyés de Dieu. Il a d'abord construit un temple près des montagnes puis peu à peu d'autres confréries se sont édifiées. Les membres sont à la fois moines et soldats. Ils ont d'abord imposé leurs lois aux évêques et ont pris une telle influence qu'ils gouvernent pratiquement le royaume. Même le roi Walik ne saurait leur résister.
-D'où tirent-ils leurs richesses ?
-De sources multiples ! Nombre de seigneurs, pour conserver leurs terres, payent un tribut. Puis ils ont rétabli l'esclavage mais l'Ordre a l'exclusivité de ce négoce. Enfin, comme je vous l'ai dit, ils frappent maintenant une monnaie que nul ne peut refuser mais qui, d'après les orfèvres, contient peu d'or et beaucoup de plomb.
-Comment est organisé cet Ordre ?
-Il dispose d'un temple dans chaque ville dirigé par un grand Maître assisté d'une trentaine de chevaliers qui se prétendent également moines. De plus, ils ont sous leurs ordres plus d'une centaine de gardiens, laïcs ceux-là, qui, en pratique, assurent la police et font appliquer, au besoin par la force, les décisions de l'Ordre.
Le vieillard ne semblant plus désireux de parler, Mark feignit de tomber de sommeil.
-Etendez-vous sur cette paillasse avec votre serviteur, proposa-t-il. A mon âge, je n'ai plus besoin de beaucoup de sommeil. Je prierai donc pour vous comme vous me l'avez demandé.