CHAPITRE XVI
Pétrifié d'horreur, Mark ne savait plus depuis combien de temps, il contemplait l'abominable spectacle qui se déroulait sous ses yeux.
La porte métallique donnait accès à l'étrange construction cylindrique jouxtant la commanderie et qui avait tant intrigué les Terriens. L'intérieur était baigné d'une étrange lueur rougeâtre.
Dès que ses yeux furent accommodés à l'éclairage, Mark eut l'impression d'être plongé au milieu d'une gigantesque termitière ou d'un monstrueux repaire d'insectes.
A moins de deux mètres de lui s'activaient des créatures de cauchemar. Elles avaient environ deux mètres de haut et ressemblaient vaguement à des mantes religieuses terrestres. La tête était relativement petite, triangulaire, avec de gros yeux globuleux à facettes multiples et sans paupières. La bouche fine, ronde, était garnie de chaque côté d'un crochet. Enfin deux courtes antennes surmontaient ce qui servait de crâne. Cette tête très mobile surmontait un thorax et un abdomen cylindriques recouverts de plaques chitineuses vert foncé. Deux paires d'ailes longues, ocellées, presque transparentes, s'accrochaient au dos. Enfin, comme tous les insectes, ces créatures possédaient trois paires de pattes. Les postérieures étaient puissantes, repliées un peu comme celles des sauterelles. Les moyennes étaient petites, pratiquement atrophiées, et les antérieures portaient deux redoutables pinces garnies de piquants acérés.
Les créatures se déplaçaient rapidement en se dandinant sur leurs membres postérieurs. Parfois, ces derniers se détendaient brusquement et les ailes se déployaient, permettant à l'animal de voler jusqu'à la partie supérieure de l'édifice.
Au centre, sur l'estrade de pierre, se tenait une monstrueuse reine. Si la tête et son thorax étaient identiques à ceux de ses congénères l'abdomen était gigantesque, mesurant plus de dix mètres de long sur un de large. Des ondulations péristaltiques le parcouraient sans cesse, donnant à l'ensemble verdâtre un aspect mou et tremblotant.
A l'extrémité, entre deux épines s'ouvrait un orifice dont jaillissait toutes les minutes un oeuf grisâtre de la taille d'une main. Des créatures plus petites et sans ailes se pressaient autour de l'abdomen hypertrophié. Probablement les mâles qui sans cesse fécondaient l'abominable femelle.
Des ouvrières, en un ballet bien réglé, saisissaient chacune leur tour un oeuf et le portaient vers un des multiples alvéoles cubiques qui garnissaient les parois de la tour. Là, l'horreur atteignait son comble !
Chaque cellule contenait un corps humain, immobile, figé mais vivant, comme en témoignait la persistance d'une faible respiration ! Du fait du très grand nombre d'alvéoles, il était possible de voir en même temps les différentes phases du développement.
D'abord, les ouvrières déposaient avec soin une trentaine d'oeufs contre un corps paralysé. Les oeufs se collaient contre la peau puis lentement pénétraient dans les chairs, les muscles, évitant toutefois les organes vitaux pour ne pas causer la mort de l'organisme qui les abritait et les nourrissait. Les oeufs disparaissaient ainsi presque complètement.
Plusieurs corps étaient ainsi visibles, déformés simplement par quelques voussures. Puis les tuméfactions grossissaient lentement, progressivement, pour atteindre la taille d'un petit ballon. Les corps devenaient grotesques, méconnaissables, par l'apparition de ces volumineuses tumeurs.
Enfin la peau rougissait, s'ulcérait pour éclater et livrer passage à un Kruss d'une trentaine de centimètres de haut. Ils étaient incapables de voler, se remuaient difficilement et ne quittaient pas le contact du corps qui les avait abrités. Là, les créatures achevaient de dévorer le cadavre et lorsque les jeunes Kruss prenaient pour la première fois leur envol, il ne restait plus qu'un squelette nettoyé des plus infimes lambeaux de chair.
Les petits Kruss se regroupaient dans les alvéoles supérieurs selon une mystérieuse répartition. Les ouvrières leur portaient une nourriture prédigérée qui, enrichie en diverses substances hormonales, allait leur permettre de devenir guerrière, ouvrière ou peut-être même reine !
Mark, sidéré, sentit la main de Ray se poser doucement sur son avant-bras. Ce contact familier rendit un peu de calme à son cerveau malmené par les affreuses visions.
-Viens, émit l'androïde. Il est temps de nous éclipser, car il semble que quelques-unes de ces damnées bestioles commencent à se poser des questions à notre sujet.
En effet, à moins de trois mètres, une dizaine de Kruss tournaient la tête vers le groupe des Terriens et leurs antennes s'agitaient curieusement. Sans doute, tentaient-ils de prendre contact avec ce qu'ils croyaient être leurs congénères.
L'étranger à la peau ardoisée avait ouvert à nouveau la porte métallique. A pas lents, Mark recula et ce n'est que lorsque le lourd vantail fut à nouveau refermé qu'il constata que tout son corps était agité d'un tremblement incoercible.
Avec des gestes presque maternels, Ray l'aida à enlever son casque réfléchissant et sa combinaison. Le Terrien put s'essuyer d'un revers de main le front couvert d'une lourde sueur qui lui piquait les yeux.
-Il nous faut fuir rapidement, dit l'étranger soudain très agité. Les sentinelles, n'ayant pas eu de réponse de votre part, vont certainement avertir leurs supérieurs et ils risquent de venir vérifier si je suis toujours emprisonné.
C'est presque au pas de course que le groupe parcourut le long tunnel. Arrivés sur le seuil de la grotte où le soleil brillait, l'humanoïde avertit :
-Attention ! Normalement il devrait y avoir des « yors » pour protéger l'accès de toute intrusion intempestive. Ce sont des sortes de lianes carnivores qui poussaient sur ma planète et que les Kruss ont introduites ici !
-Merci de nous avertir, ricana Mark, mais nous avons déjà fait connaissance et il ne doit plus rester qu'un tas de cendres de celles qui tapissaient cette partie de la montagne.
Toutefois, par prudence, Ray sortit le premier et constata que les végétaux n'avaient pas eu le temps de repousser. Seule une sève rougeâtre tombait encore des troncs sectionnés par les faisceaux laser.
-Nous avons été également attaqués, dit Mark, par des sortes de raies volantes. Connaissez-vous leur existence ?
-Ce sont des « minks », répondit l'humanoïde sans hésiter. Ils proviennent également de mon monde et les Kruss les ont emportés dans ce cratère pour être protégés de toute curiosité humaine. C'est miracle que vous ayez pu leur échapper et je comprends maintenant l'étrange tenue de votre compagnon. C'est l'acide de leur trompe qui a ainsi brûlé sa tunique. Je crains que nous ne puissions sortir sans être rongés vivants !
Mark réfléchit un instant. Il ne disposait que d'une ceinture protectrice et ne voulait faire courir aucun risque à ce curieux étranger.
-Ray, appelle le module et guide-le, le plus près possible de la caverne. De toute façon, avec ces damnées bestioles, pas un être vivant ne pourra nous voir.
Très vite la bulle plastique merveilleusement guidée par l'androïde vint se coller contre la paroi de la montagne. Aussitôt les trois fugitifs sautèrent à l'intérieur et la porte se referma avec un claquement sec ! Il était temps, car déjà des « minks » apparaissaient dans le ciel.
Ils n'eurent pas le temps de se coller contre le module qui s'élançait dans l'atmosphère à grande vitesse.
-Comment se fait-il que ces volatiles ne se soient pas répandus dans tous le pays ? demanda Mark.
-Les Kruss avaient bien étudié le problème avant de les lâcher. Les « raies », comme vous les appelez, ne peuvent voler à plus de quinze cents mètres d'altitude. Or le sommet de ce volcan culmine à deux mille mètres. Les « minks » sont donc cloîtrés dans cette cuvette. De plus, ils semblent avoir besoin de la présence des Kruss pour survivre.
Après un instant de silence, l'humanoïde reprit :
-Je répondrai à toutes les questions qui se pressent certainement dans votre esprit mais auparavant, je souhaiterais savoir où nous allons et d'où vous êtes originaires.
-Pour commencer, nous allons regagner mon vaisseau spatial qui gravite autour de Tor en orbite stationnaire. Je suis un agent de l'Union Terrienne, vaste confédération qui regroupe plus d'une centaine de planètes hyper civilisées. Le rôle de mon service est de surveiller, sans intervenir, un grand nombre des mondes primitifs que nous avons recensés jusqu'à présent.
-Vous découvrez donc de nouveaux mondes chaque année ?
-Ça, c'est le travail du « Service des explorations lointaines ». Moi, je me contente de visiter des planètes déjà répertoriées.
Un soupir échappa à l'humanoïde.
-Il est dommage que vos expéditions aient négligé mon système solaire !
Les manoeuvres d'accostage interrompirent la conversation et une fois dans l'aviso, Mark conduisit son invité dans le poste de pilotage.