CHAPITRE III
Le soleil était levé depuis deux heures lorsque Mark ouvrit un oeil. II se redressa lentement et grimaça. La couche de l'ermite n'avait de loin pas la mollesse d'un lit terrien !
Il savait qu'il lui faudrait plusieurs jours pour se réhabituer à l'inconfort médiéval.
-L'ermite est sorti il y a une demi-heure, dit Ray. Il a été chercher de l'eau à une source qui coule près d'ici. Le voilà qui revient.
-Allons l'aider, suggéra Mark à la vue du vieillard portant péniblement deux grandes cruches.
Il s'immobilisa en voyant apparaître un groupe de cinq hommes. Ils étaient simplement vêtus, mais à leur ceinture pendaient de lourdes épées.
A leur arrivée, le vieillard posa ses cruches et dit :
-Soyez les bienvenus, mes frères.
Celui qui paraissait être le chef du groupe, un colosse brun de poils, au front bas, s'avança vivement et gifla l'ermite à toute volée. Sous le choc, le vieillard recula de trois pas et tomba sur le sol.
L'agresseur allait lui décocher un coup de pied mais la vue de Mark et de Ray qui accouraient interrompit son geste.
-D'où sortez-vous ? gronda-t-il.
-Nous sommes des voyageurs venus d'un lointain pays, rétorqua paisiblement Mark. Que voulez-vous à ce saint homme ?
Sans répondre, le colosse grogna :
-Filez d'ici et laissez-nous à nos affaires.
-Il n'en est pas question, répondit sèchement Mark. Cet ermite nous a accordé l'hospitalité pour la nuit et nous lui devons protection.
Le vieillard se redressa péniblement, la bouche ensanglantée.
-Partez, chevalier, supplia-t-il, et laissez-moi à mon destin.
Sourd à cette objurgation, Mark avança vers le colosse et répéta :
-Que venez-vous faire en ce lieu ?
-Nous sommes de fidèles serviteurs de l'Ordre désireux de châtier un hérétique.
A ce moment, un des hommes qui se tenait en retrait rejeta le manteau qui le masquait, découvrant une tunique blanche ornée d'un cercle rouge.
-Oseriez-vous, étranger, lança-t-il, vous opposer à un représentant de l'Ordre ?
Mark ne se départit pas de son calme.
-J'ignore ce qu'est l'Ordre, mais dans mon pays je n'ai jamais vu cinq hommes s'attaquer à un pauvre vieillard !
-Tant pis pour vous ! Allez et exterminez-les tous les trois !
Comme s'il n'attendait que cet ordre, le colosse arracha le poignard de sa ceinture et voulut frapper Mark. C'était sans compter sur les réflexes foudroyants de l'androïde. Ray saisit au vol le bras armé.
-Ne tue pas, ordonna mentalement Mark.
Le colosse, le poignet brisé, voulut hurler mais un coup à l'estomac lui donna l'impression de se battre avec un cheval sauvage et coinça le cri dans sa gorge. Ray le saisit alors par la ceinture, le souleva de terre et le lança sur un second agresseur. Les deux hommes roulèrent violemment sur le sol. Comme la pente était rude, ils dévalèrent une centaine de mètres avant de s'arrêter dans des buissons épineux.
Pendant ce temps, Mark n'était pas resté inactif. Dégainant son épée, il croisa le fer avec un grand type maigre au visage étroit et au nez busqué.
L'escrime sur York était encore peu développée. Son adversaire ne songeait, semble-t-il, qu'à frapper le plus fort possible. Mark esquiva sans difficulté le premier choc et profitant du déséquilibre de son adversaire lui administra un solide coup du plat de sa lame sur le crâne. Etourdi, le malandrin laissa choir son épée et s'enfuit à toutes jambes.
Pendant ce temps, Ray avait propulsé, sur la pente, d'une solide bourrade, le quatrième agresseur qui avait rejoint ses congénères dans les épines.
Mark s'avança alors vers le représentant de l'Ordre qui avait assisté à la déroute de ses sbires sans esquisser un geste.
-Tirez votre épée, ordonna Mark. Je vous promets que mon écuyer n'interviendra pas.
Livide, le front couvert de sueur, l'homme recula de quelques pas.
-Au nom de l'Ordre, je... je vous ordonne, bégaya-t-il, de déposer vos armes...
-Votre courage se limite à attaquer des vieillards inoffensifs, persifla Mark. Allons, en garde!
Paralysé par la peur, l'homme n'esquissa pas un geste. Sur un ordre de Mark, Ray le fit pivoter et d'un magistral coup de pied aux fesses l'expédia rejoindre ses spadassins.
Mark aida l'ermite à se relever et le conduisit à sa hutte tandis que Ray allait emplir à nouveau les cruches d'eau.
-Vous êtes très brave, chevalier, murmura le vieillard, mais terriblement imprudent. Demain ce sont des dizaines d'hommes qui reviendront et vous ne pourrez en venir à bout malgré votre vaillance. L'Ordre n'oublie jamais un affront fait à l'un de ses membres.
-Pour l'instant, reposez-vous, dit Mark d'une voix paisible.
Ray posa les cruches sur le sol et entreprit de nettoyer avec un linge humide le visage maculé de sang de l'ermite. Mentalement, il dit à Mark, après un examen en vision à rayons x :
-Commotion légère, plaies de la face interne de la joue droite, pas de fracture.
Après avoir bu quelques gorgées d'eau, l'ermite reprit d'une voix insistante :
-Partez, partez vite, chevalier !
-Je ne désire aucunement m'attarder ici, dit Mark, mais vous me posez un problème. Nous ne pouvons vous laisser seul en ce lieu.
-Dieu veillera à mon salut !
Le jeune homme leva les yeux au ciel.
-Je ne pense pas que le créateur exige que vous vous livriez au martyre. Songez à tous les fidèles qui vous vénèrent. Les abandonner serait les jeter dans les bras de l'Ordre !
L'ermite, troublé, hocha la tête.
-Vous êtes aussi sage que courageux, chevalier. A la fin de la semaine, se tient à Vork une grande foire où j'avais coutume de me rendre. Je compte là-bas de nombreux amis qui m'hébergeront.
-Dans ce cas, partons immédiatement, proposa Mark. Savez-vous si nous pourrions acheter des montures près d'ici ?
-Malheureusement, vous ne trouverez rien avant Vork. Toutefois, si nous parvenons à gagner la plaine, nous rencontrerons des paysans qui se rendent à la foire et qui nous prendront sur leur charrette.
L'ermite tenta de se redresser mais retomba sur sa couche en gémissant.
-Je ne peux pas marcher, haleta-t-il.
Mark ordonna mentalement à l'androïde :
-Mets discrètement dans de l'eau deux tablettes nutritives.
Puis il dit :
-Buvez, saint homme, ensuite mon écuyer vous portera.
L'ermite, un peu dépassé par les événements, avala la mixture sans faire de commentaires puis Ray le saisit dans ses bras.
Une heure plus tard, ils firent halte près d'un torrent. De pâles couleurs teintaient maintenant les joues creuses du vieillard.
-Cette agression nous a empêchés de déjeuner, plaisanta Mark, voyons s'il n'y a pas moyen de pêcher quelques poissons.
Aussitôt Ray s'avança dans le lit du torrent où des sortes de grosses truites sautaient les rochers. Après s'être assuré que Mark monopolisait l'attention de l'ermite, l'androïde s'activa. Une décharge électrique jaillit de son front foudroyant plusieurs poissons qu'il cueillit d'un geste vif.
Puis il regagna la rive, ramassa une brassée de bois mort et alluma un petit feu. Un quart d'heure plus tard, il présenta à Mark un premier poisson grillé, enfilé sur une baguette. Le vieillard mangea de fort bon appétit en compagnie de Mark. Pour ne pas attiser la curiosité de l'ermite déjà fort en éveil, Ray avala également un poisson. Heureusement, les constructeurs avaient prévu cette éventualité et ménagé une cavité dans l'arrière-gorge où les aliments étaient aussitôt désintégrés et leur énergie utilisée à recharger la pile atomique qui assurait le fonctionnement de l'androïde.
Les tablettes nutritives, le repas et le repos avaient permis au vieillard de récupérer quelques forces. Aussi se leva-t-il seul en déclarant :
-Venez, la route qui mène à la ville passe derrière cette colline.
Effectivement, moins d'une heure plus tard, ils parvinrent à un chemin empierré. Une carriole conduite par un vieux paysan s'arrêta à leur hauteur. L'homme en reconnaissant l'ermite s'agenouilla aussitôt puis, après avoir été béni, accepta de charger les voyageurs.
En fin d'après-midi, les voyageurs arrivèrent à la porte de la ville. Un homme d'armes, nonchalamment appuyé sur une pertuisane, les regarda passer sans réagir. Dès l'enceinte de la cité franchie, Mark sauta à terre et demanda au paysan :
-Connaissez-vous une bonne auberge ?
-Allez au Lion Vert, c'est en face de la cathédrale. La nourriture est bonne et vous serez près de l'enceinte où doivent se dérouler demain les tournois car je gage, chevalier, que vous venez y participer.
Mark se garda de détromper le paysan et fit ses adieux à l'ermite qui ne cessait de le remercier et de lui promettre toutes les bénédictions du ciel.