Les quatre gardiens qui poursuivaient leur partie de cartes sursautèrent en voyant leur prisonnier debout sur le seuil. Les deux premiers s'élancèrent aussitôt sur lui, le fouet levé. L'androïde, sans ralentir sa marche, les écarta simplement d'un mouvement de bras.

Malheureusement pour les gardes, le contrôle que l'ordinateur exerçait d'ordinaire sur les mouvements de Ray était inhibé par l'étrange sentiment qui agitait ses neurones électroniques. Les deux hommes furent donc projetés avec une violence inouïe contre le mur où ils se fracassèrent les os.

Le troisième, sidéré, ne vit même pas venir le coup de poing qui lui brisa la nuque. Seul le dernier, un peu plus éloigné, tenta de fuir en hurlant. Un éclair jaillit du front de l'androïde et électrocuta l'homme avant même qu'il eût atteint la porte.

-Il est évanoui, maîtresse, et ne peut plus rien sentir. Laissez-moi au moins quelques instants pour tenter de le ranimer, gémit le gardien-chef.

Saya, les yeux exorbités, appliqua une fois encore son fer rouge sur la poitrine du prisonnier.

-La douleur le réveillera mieux que tes cajoleries, Ril. Mais tes fers ne sont pas assez chauds! Normalement, nous devrions entendre les chairs grésiller alors qu'ils ne produisent que de larges brûlures.

-J'ai bien remarqué cette diablerie, mais voyez vous-même, maîtresse, le métal est pourtant presque blanc !

Le fracas de la porte arrachée de ses gonds, interrompit cette discussion technique. En une fraction de seconde, Ray enregistra la scène. Mark était pendu par les bras, la tête sur la poitrine. Le torse, le ventre et les cuisses étaient marqués d'épouvantables brûlures.

Il ne put poursuivre son examen, car le colosse s'élançait sur lui, un fer rouge à la main. L'androïde ne para même pas le coup qui l'atteignit au crâne sans dommage, se contentant de lancer son poing en avant. La violence du choc fut telle que Ril fut rejeté en arrière, le thorax enfoncé et tomba sur le brasero qu'il renversa. Aussitôt une épouvantable odeur de chair grillée envahit le cachot.

Sans se soucier de la femme qui s'enfuyait en poussant des glapissements aigus, Ray s'approcha de Mark. D'un mouvement rapide de l'index, il sectionna les chaînes puis saisit le corps qu'il allongea sur le sol avec une douceur presque maternelle. Il appliqua son oreille contre le thorax martyrisé du Terrien.

Les bruits du coeur étaient faibles, irréguliers, mais étaient présents! Ces battements minuscules amenèrent un peu de calme dans les circuits survoltés de l'androïde. D'un geste rapide, il tira d'une petite cavité aménagée dans sa cuisse droite une seringue et deux ampoules. Puis faisant saillir une veine, il injecta les médications.

Presque aussitôt, la respiration de Mark s'amplifia tandis que son pouls redevenait perceptible. Bientôt il ouvrit les yeux et grimaça un sourire en reconnaissant le visage familier penché anxieusement au-dessus de lui.

-Content de te voir, Ray, murmura le jeune homme. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie qu'en voyant cette sorcière avec son fer rouge.

L'androïde eut alors cette réflexion impensable :

-Moi aussi j'ai eu très peur !

Puis comme s'il avait pris conscience qu'il venait de proférer une énormité, il ajouta rapidement :

-Nous devons agir très vite. Tes brûlures sont étendues et très profondes. Non seulement je t'ai injecté un antalgique puissant mais j'ai dû utiliser le SX 14 pour éviter un arrêt cardiaque imminent provoqué par l'état de choc consécutif à tes brûlures. Tu sais comme moi que l'action de ce produit ne dépasse pas trois heures et n'est pas renouvelable. Il faut qu'avant ce délai nous ayons gagné le bloc médical du vaisseau, seul endroit où tu pourras être soigné efficacement.

Mark hocha la tête et se redressa lentement en s'appuyant sur Ray.

-Je sens que mes forces reviennent.

L'androïde lui glissa doucement dans la bouche deux gélules nutritives.

-Avale cela, car tu n'as pris aucune nourriture depuis ce matin. Avant de partir, il nous faudra également trouver de l'eau.

Le Terrien se mit lentement en marche.

-Je crois que nous pouvons y aller, murmura-t-il.

-N'oublie pas de rebrancher ton écran protecteur à forte intensité. Le moindre traumatisme sur tes brûlures risque d'aggraver considérablement ton état.

Toutefois, ils n'étaient pas au bout de leurs épreuves. Dans la vaste pièce que Ray avait traversée, se tenaient sept gardiens alertés par Saya. Deux brandissaient des épées et les cinq autres étaient armés de longues piques.

Derrière eux se tenait leur maîtresse, livide, échevelée, qui hurlait, l'écume aux lèvres !

-Tuez-les, tuez-les, ce sont de dangereux démons !

A côté d'elle se tenait un Rosk qui émettait un curieux feulement. Plus intrigué qu'apeuré, Mark contemplait la puissante pince qui entourait la gueule de l'animal.

Prudents, les gardiens s'étaient rangés en demi-cercle pour pouvoir attaquer de plusieurs côtés à la fois!

D'un bond, Ray s'élança sur le gardien le plus proche qui tenait une épée. D'une main, il saisit l'arme, tandis que l'autre d'un geste sec du tranchant, écrasait le larynx de l'homme. Une fraction de seconde plus tard, l'androïde lançait adroitement l'arme à Mark qui la saisit au vol pour aussitôt ferrailler avec le second porteur d'épée.

Peu désireux de poursuivre le combat, le Terrien feinta au visage puis se fendit à fond, transperçant son adversaire.

Pendant ce temps, Ray n'était pas resté inactif. Profitant de ce qu'un gardien avait fait un pas en avant pour lui porter un coup de lance, il agrippa la pique, l'arracha des mains de l'homme d'un coup sec et frappa si violemment qu'il transperça son adversaire de part en part. Poursuivant son mouvement, il embrocha un deuxième gardien et envoya les deux corps dans les jambes des autres qui trébuchèrent.

Ray ne leur laissa pas retrouver leur équilibre. D'un coup de pied rageur, il brisa une nuque, enfonça un thorax d'un coup de poing, pour terminer en saisissant à bras-le-corps le dernier et il l'envoya s'écraser contre le mur.

Cette scène d'une violence inouïe avait eu deux spectateurs médusés. Dana et Ruf s'étaient débarrassés de leurs chaînes et prudemment avaient suivi Ray. Emplis d'une crainte quasi superstitieuse, ils avaient traversé la salle de garde où gisaient les corps des quatre gardiens. Ruf en avait profité pour s'emparer d'un poignard. Les cris de Saya et l'arrivée des gardiens dans la salle principale les avaient obligés à se cacher mais lorsque le combat commença, Ruf voulut porter secours à ses amis.

Seule la brièveté du combat l'empêcha d'y participer. Totalement abasourdis, les deux jeunes gens contemplaient les sept corps sanglants qui jonchaient les dalles de la pièce.

Saya, le visage couvert de sueur, les yeux hagards, ne comprenait pas ce qui s'était passé. Il lui semblait vivre un monstrueux cauchemar. Son regard fou tomba sur Dana qui tremblait de tous ses membres. La désignant du doigt à son fauve, elle hurla :

-Attaque ! Tue !

Le rosk bondit aussitôt, faisant claquer sa redoutable pince. Mark le premier, devina le danger couru par la jeune fille.

-Ray, attention ! cria-t-il.

L'androïde réagit avec sa promptitude électronique. D'un bond, il saisit le monstre par la queue, le fit tournoyer et le rejeta en arrière. Le hasard fit que le rosk heurta sa maîtresse et aussitôt la pince se referma sur le cou de la femme. En une fraction de seconde, les dents aiguës déchirèrent la gorge et le fauve aspira goulûment le sang qui jaillissait en abondance de la blessure.

Mark lança un nouvel ordre et aussitôt un éclair jaillit du front de l'androïde, foudroyant le fauve et sa victime.

Secouant Ruf, toujours pétrifié de stupeur, Mark demanda :

-Maintenant il convient de filer rapidement. Où sont les écuries ?

-Dans... dans la cour, le bâtiment à droite, balbutia-t-il. Mais la nuit, les portes sont verrouillées!

-Conduis-nous !

Puis Mark émit à l'intention de Ray :

-Mieux vaut effacer les traces de notre passage. Prépare une grenade incendiaire avec déclenchement retardé de dix minutes.

Deux minutes plus tard, Ray ouvrit les portes des écuries et les fugitifs sellèrent leurs montures. En bouclant la dernière sangle, le Terrien interrogea Ruf :

-Où sont enfermés les autres esclaves ?

-Dans le bâtiment voisin.

-Va les délivrer avec Ray. Surtout conseille-leur de fuir le plus vite et le plus loin possible. Lorsque l'Ordre apprendra ce qui s'est passé ici, il déclenchera de terribles représailles.

-Croyez-vous, seigneur? demanda Ruf très impressionné.

-C'est évident ! Dans tout pays où règne l'esclavage, les maîtres ne peuvent tolérer de révolte sans réagir, sinon leur autorité disparaîtrait aussitôt !

Tandis que Ruf, escorté de Ray, libérait les esclaves, Mark conduisit les montures près de la porte en compagnie de Dana.

-Où comptez-vous aller? demanda le Terrien.

-Je n'ai plus de famille mais je crois que Ruf a encore un oncle qui vit dans la capitale et qui nous accueillera très certainement.

Mark secoua la tête.

-L'Ordre ne doit pas ignorer ce lien de parenté et c'est là qu'il vous fera d'abord rechercher. J'ai une meilleure idée. Vous vous rendrez aussi vite que possible à Sinac, une ville dans le Nord.

-Je connais un peu, seigneur.

-Parfait! Là-bas, vous demanderez à voir le gouverneur Kent de Chask. A tous, vous direz que c'est le chevalier Will de Klark qui vous envoie. Je lui ai rendu service il y a peu de temps et il ne m'en voudra pas d'utiliser ainsi son nom! Surtout ne mentionnez jamais votre passage ici. Lorsque vous serez en présence de Kent et à lui seul, vous pourrez raconter toute la vérité et lui dire que le chevalier Mark de Stone le prie instamment de vous prendre sous sa protection et si possible de vous procurer un emploi !

La jeune fille tomba à genoux et embrassa la main du Terrien.

-Merci, seigneur. Sans vous, Ruf et moi serions morts sous les coups de fouet. Désormais notre vie vous appartient !

Le retour de Ray abrégea ces effusions. Des clameurs de surprise explosaient du dortoir des esclaves et déjà quelques silhouettes hésitantes se hasardaient dans la cour.

-Ray, ouvre la porte, vite, ordonna Mark.

Tandis que l'androïde découpait au laser les énormes serrures, des flammes s'élevèrent du bâtiment principal. Les quatre cavaliers s'élancèrent au galop sans plus attendre.

Quand il se jugea suffisamment loin du sinistre castel, Mark s'arrêta. Au loin, la lueur de l'incendie était encore visible.

-Nos routes divergent maintenant, dit le Terrien. Allez à Sinac le plus vite possible. Surtout évitez les villages des environs qui bientôt grouilleront de représentants de l'Ordre.

A la demande de Mark, Ray qui manifestait une nervosité certaine, donna aux deux fugitifs une dizaine d'écus et stimula sa monture pour mettre fin aux remerciements. Mark le suivit au galop jusqu'à une clairière dans la forêt. Moins de quinze secondes plus tard, le module de liaison appelé par Ray se posait avec douceur sur le sol. L'androïde aida son compagnon à monter, s'installa aux commandes et démarra aussitôt.

Mark s'allongea, étouffant un gémissement. Les effets de l'antalgique s'estompaient et une douleur sourde vrillait sa poitrine.

-Serre les dents, dit Ray. Une nouvelle dose de calmant diminuerait l'effet du SX 141 Or nous avons besoin de temps pour arriver au vaisseau.