CHAPITRE IX
Un poing énergique frappa à la porte de la chambre. Mark, réveillé en sursaut, sauta du lit en se frottant les yeux. Après son retour de l'auberge, Magda lui avait monté un pichet de vin et avait tenu à lui prouver rapidement sa reconnaissance en lui montrant qu'elle n'avait rien oublié de sa précédente leçon. Aussi la fin d'après-midi avait-elle été fort houleuse et Ray dut par instants se boucher les détecteurs et arrêter ses enregistreurs !
Les sens apaisés, Mark avait plongé dans un sommeil réparateur qu'interrompit brutalement l'arrivée de Kent de Chask.
-Bienvenu, ami, s'exclama Mark. Entrez et asseyez-vous dans ce fauteuil.
Avisant Magda restée sagement assise dans un coin, il ajouta :
-Va nous quérir d'urgence un grand pichet devin et préviens le patron qu'il peut amener ses victuailles.
Très rapidement, une table couverte de plats odorants fut apportée tandis que Magda faisait circuler des gobelets de vin.
Kent mangea d'un bel appétit car ses moyens financiers ne lui permettaient pas de faire deux repas par jour. Quand, sur un signe, les serviteurs et même Magda se furent éclipsés, Mark demanda :
-Vous paraissez faire grise mine, messire de Chask. Pensez-vous encore à l'agression dont vous fûtes victime la nuit dernière ?
La mine de Kent s'allongea encore plus.
-Il semble que vous ayez raison. A l'aube, en arrivant au château, j'ai croisé dans la cour Ter de Rak. Il n'a pas pu cacher sa surprise de me voir encore vivant. Nul doute qu'il a trempé dans le piège qui nous fut tendu. J'étais dans une telle colère que je lui aurais volontiers fendu le crâne si la crainte du scandale ne m'avait retenu.
Mark approuva de la tête.
-Ensuite une nouvelle incroyable est parvenue au château. Le champion de l'Ordre a été vaincu lors de la cérémonie mensuelle, événement qui n'était jamais encore arrivé depuis sa création !
Il lança un regard perçant sur Mark en ajoutant :
-Bien que le héros de cette aventure ne se soit pas fait connaître, un nom circulait ce soir dans les couloirs du palais, le vôtre, messire de Stone !
-Qu'en pensez-vous? répondit prudemment Mark.
-Vous seul êtes capable d'un tel exploit ! Deux fois j'ai pu apprécier votre valeur, au tournoi d'abord, dans cette sinistre ruelle ensuite.
Mark rejeta une cuisse de volaille qu'il venait de ronger et dit :
-A vous je ne le cèlerai point, mais je vous saurais gré de n'en parler à personne pour ne pas risquer d'envenimer mes relations déjà fort mauvaises avec l'Ordre.
Le repas terminé, les flacons vidés, Kent se leva pour prendre congé.
-Nous reverrons-nous demain? demanda Mark.
-Hélas ! non, ami. Le grand Maître m'a nommé ce soir gouverneur de la garnison de Sinac et je dois partir à l'aube pour prendre mes fonctions.
-Où se trouve cette ville ?
-C'est un gros bourg, dans le Nord, non loin du temple principal. Aussi aurais-je plus un titre qu'une fonction. Sinac possède aussi un grand temple et l'Ordre y est tout-puissant. Je ne pourrai rien faire sans en référer au grand Maître local.
-Voilà une façon de se débarrasser de vous plus élégante que l'assassinat. Nul doute que vous devez cette promotion à l'échec du chevalier de Rak, ricana Mark.
Kent étouffa un soupir.
-C'est probable ! Malheureusement, je ne puis refuser car ma nomination est signée du roi. Ne plus voir la princesse sera pour moi un tourment de chaque jour et je me demande s'il n'aurait pas mieux valu que je sois trucidé hier !
Le Terrien réconforta aussitôt son ami.
-Ne désespérez pas, messire ! L'avenir n'appartient qu'à Dieu et la destinée est insondable. Peut-être de profonds bouleversements surviendront-Ils, vous permettront de regagner la capitale.
-Cela sera désormais mon seul espoir ! Adieu !
Si vos pas vous portent un jour vers Sinac, n'omettez pas de venir voir ce qu'il restera de moi !
Dès que Kent fut parti, Magda passa la tête par la porte entrouverte.
-Tu peux entrer, dit Mark béatement installé dans son fauteuil.
-Seigneur, dit la servante, j'ai retrouvé ici une amie qui désire énormément vous remercier.
Sans attendre de réponse, elle fit entrer Perla qui paraissait très intimidée. Perdu dans ses réflexions, Mark ne fît guère attention au manège des deux filles. Ce n'est que lorsqu'il releva la tête qu'il vit sur le sol un tas de haillons et dans le lit deux têtes souriantes qui émergeaient du drap.
-Tu voudrais, ironisa-t-il, que Perla participe à nos jeux ?
-Juste une fois, seigneur, vous êtes si merveilleux !
Le Terrien éclata de rire tandis que Ray levait les yeux au ciel et se retirait dans son cagibi en maugréant :
-Je vais encore être obligé de censurer mes enregistrements.