CHAPITRE XIII

Mark pénétra d'un pas allègre dans le poste de pilotage et s'installa à côté de Ray. Son visage détendu ne portait plus aucune trace des terribles épreuves qu'il avait subies.

-Je me sens en pleine forme, sourit-il.

-Quarante-huit heures dans le bloc médical, c'est presque un record, répondit l'androïde d'une voix neutre.

Mark hocha la tête.

-Ce n'est qu'à mon réveil, en épluchant les enregistrements médicaux, que j'ai compris à quel péril j'avais échappé. Sans la rapidité de ton intervention, j'étais cuit au sens littéral du terme. Les brûlures infligées par cette mégère avaient par endroits atteint le péritoine ! Toutefois, d'après ton récit, quelque chose dans tes réactions reste incompréhensible. As-tu vérifié tes circuits?

-J'étais arrivé à la même conclusion. Pendant ton sommeil, j'ai pratiqué tous les tests nécessaires. Ils sont strictement normaux et joints à mon rapport. J'ai profité de l'occasion pour reconstituer la totalité de mes réserves d'énergie.

Mark resta un long moment silencieux, puis murmura :

-Ce n'est pas la première fois que tu as une réaction essentiellement humaine. Avant hier, elle était seulement plus prononcée. Si tu veux m'en croire, nous ne chercherons pas à expliquer ce mystère et nous effacerons cette partie de ton rapport. Sinon il se trouvera un ingénieur trop curieux qui voudra te faire subir une infinité de tests et nous serons séparés pour notre prochaine mission. Or, moi aussi je te suis très attaché et sans toi, je me sentirais perdu !

Un silence plein de sous-entendus plana dans le poste de pilotage, traduisant la complicité des deux créatures pourtant fort différentes. Mark retrouva le premier ses esprits.

-Maintenant nous devons nous mettre sérieusement au travail pour rattraper ces deux jours d'inaction forcée.

Ray prouva qu'il avait lui aussi repris son équilibre en rétorquant :

-Nous avons encore dix jours devant nous pour atteindre la durée moyenne d'une mission. De plus, le règlement prévoit un supplément de sept jours si nous pouvons justifier de l'importance du sujet, ce qui me semble le cas.

-Parfait! Localisons le petit gisement métallique qui nous avait intrigués.

-C'est déjà fait! J'ai même pris de très nombreux clichés.

D'un geste rapide, l'androïde enfonça-plusieurs touches et un écran s'illumina.

-Les échos métalliques proviennent tous de cette montagne. C'est un ancien volcan, dont le cratère, depuis longtemps éteint, abrite une maigre végétation. D'après les repérages sous diverses incidences, il semble que le gisement soit situé dans les parois mêmes du volcan, exactement à mi-distance entre le fond du cratère et le versant extérieur où s'élève la commanderie principale de l'Ordre. Au passage, tu remarqueras que la construction est entièrement terminée. Comme celle de Vork, elle est cylindrique et surmontée d'un dôme couvert de plaques de cuivre. Il n'y a aucune fenêtre, ni ouverture visible, à l'exception d'une sorte de cheminée au sommet du dôme.

Plusieurs vues de l'édifice défilèrent sur l'écran, bientôt remplacées par une vue d'ensemble.

-Au pied de la montagne, reprit Ray, se trouve Sinac avec une autre commanderie plus petite et une tour encore en construction.

Mark soupira en voyant l'image du petit château-fort dominé par la commanderie.

-Espérons que Ruf et Dana auront réussi à rejoindre Kent !

-Comment envisages-tu la poursuite de notre mission ? demanda Ray toujours pratique.

-Je voudrais explorer ce cratère. As-tu discerné une présence humaine ?

-Aucune ! Tous les humanoïdes sont concentrés autour de la ville et de la commanderie.

-Parfait! Le module nous déposera en fin de nuit dans le cratère que nous pourrons explorer ainsi le jour.

-Quel équipement !

-Costume local au cas peu probable où nous rencontrerions un indigène, mais j'ai besoin d'un équipement plus sophistiqué : écran protecteur, ceinture anti-gravité, pulseurs dorsaux et pistolaser. Toi, tu emporteras en plus un bon stock de grenades incendiaires, des projectiles anesthésiants, sans oublier un détecteur de minerai.

Une mince ligne rose éclaircissait l'horizon lorsque le module déposa Mark et Ray au fond du cratère. L'engin télécommandé disparut rapidement dans les airs. En attendant le lever du jour, Ray commença à effectuer un certain nombre de relevés.

Aux premières lueurs de l'aube, Mark examina le paysage. C'était une cuvette circulaire d'une trentaine de kilomètres, pratiquement plane et couverte d'une herbe haute. De toutes parts, la petite plaine était cernée des parois abruptes et sombres de la montagne.

-L'aiguille du détecteur indique cette direction, dit Ray en désignant un point de la paroi rocheuse où de grandes cavernes semblaient s'ouvrir.

Sur une question de Mark, l'androïde répondit :

-Mes détecteurs biologiques ne décèlent aucune présence humaine. Tu peux donc utiliser ta ceinture anti-gravité et tes propulseurs. Cela nous fera gagner du temps.

Se déplaçant au ras du sol, ils atteignirent rapidement le pied de la montagne. Des sortes de lianes mauves tapissaient par endroits la roche noire.

-Je ne vois rien d'intéressant, bougonna Mark. Il est malheureusement probable que nous nous sommes lancés sur une fausse piste.

-Pourtant le détecteur affirme la présence d'une importe masse métallique à peu de distance. Je vais faire un examen en rayons X... Attention !

Averti par le cri de Ray, Mark brancha son écran protecteur à forte puissance. Sortie d'anfractuosités et des cavernes, une trentaine de gigantesques volatiles assaillirent les Terriens.

En heurtant l'écran, ils ne s'éloignèrent pas mais se collèrent sur le champ de force. A moins de deux mètres, Mark put détailler non sans dégoût les étranges créatures. Elles ressemblaient à de gigantesques raies noires de trois mètres d'envergure, avec une longue queue munie d'un dard. La tête était triangulaire, aplatie, avec deux petits yeux ronds sans paupières. A l'emplacement de la bouche se trouvait une sorte de courte trompe charnue qui s'appliquait sur le champ de force. Au point de contact s'élevait un petit nuage roussâtre.

-D'où sortent ces bestioles ? émit Mark.

-Probablement des cavernes! Toutefois, elles n'ont pas été répertoriées par nos prédécesseurs. Voilà encore un détail qui pimentera agréablement ton rapport, ironisa l'androïde.

-Peux-tu les analyser ?

-En partie seulement, leur peau n'est recouverte ni de plumes ni d'écaillés, mais de minuscules piquants très serrés. La trompe sécrète une sorte d'acide qui dégage au contact du champ de force de l'anhydride sulfurique. Enfin le dard caudal contient une poche à venin dont je ne peux déterminer la nature.

Les créatures étaient de plus en plus nombreuses, recouvrant pratiquement toute la surface de la sphère protectrice. Mark était maintenant plongé dans une profonde obscurité à peine percée par quelques fentes lumineuses.

La situation devenait inquiétante car le Terrien ne pouvait faire usage de son pistolaser dont l'énergie serait absorbée par le champ protecteur, maintenu à pleine puissance.

-Ray, vois-tu une solution ?

-Je vais m'adosser contre la montagne, couper le champ protecteur et essayer de les détruire.

-Bonne chance, mais fais vite. J'ai l'impression qu'elles sont de plus en plus nombreuses à m'entourer et je crains qu'avec leur poids je ne puisse bientôt plus utiliser mes propulseurs dorsaux !

Une longue attente commença pour Mark. Deux fois, il tenta de contacter Ray mais n'obtint aucune réponse. Son inquiétude était à son comble quand il lui sembla que l'obscurité devenait moins intense. Bientôt il perçut le bruit familier d'un faisceau laser heurtant l'écran protecteur.

Rapidement les derniers monstres furent éliminés. Eblouis par les rayons du soleil levant, Mark dut attendre quelques secondes avant de pouvoir distinguer ce qui l'entourait. Enfin il aperçut Ray qui souriait. Le pourpoint et la tunique de l'androïde n'étaient plus que des guenilles fumantes percées de trous multiples.

-Cela a été très dur, remarqua Ray de sa voix calme. Deux fois, j'ai été obligé de rebrancher mon écran protecteur pour éviter d'être rongé par cette saleté d'acide. J'ai bien perçu tes appels, mais je n'ai pu te répondre car tous mes circuits étaient mobilisés pour détruire. J'ai dû utiliser à la fois les décharges électriques, le laser et des grenades incendiaires sans oublier coups de pied et de poing ! Malgré cela, je ne serais probablement pas parvenu à m'en débarrasser si ces charmantes bestioles n'avaient pour particularité de dévorer les morts et blessés de leur race. Plus exactement, elles sucent les chairs que l'acide de leur trompe dissout instantanément.

Mark regarda autour de lui les dizaines de cadavres de monstres gisant sur le sol. Par endroits, les incendies dus aux grenades achevaient de consumer des raies volantes.

-J'espère que tes enregistreurs ont bien fonctionné. Le service pourra revendre très cher la séquence aux télévisions terriennes. De quoi faire frémir des milliards de spectateurs !

-Tout est correct ! Mais j'aimerais bien filer rapidement d'ici, le détecteur désigne cette partie de montagne recouverte de lianes mauves.

-Approchons-nous, peut-être dissimulent-elles quelques cavernes.

Ils avancèrent d'une centaine de mètres. Soudain Ray s'arrêta brutalement.

-Un instant! Lors de mon combat avec les « raies », j'ai noté qu'elles évitaient de s'approcher de ces lianes mauves.

-Peut-être l'odeur leur déplaît-elle ?

-C'est possible, mais j'aimerais en avoir la certitude.

L'androïde ramassa sans dégoût le cadavre d'un volatile et le lança avec force contre les lianes. Ce qui, une seconde auparavant, n'était que végétation se balançant mollement au gré d'un vent léger, s'anima brusquement. Des milliers de filaments dissimulés par les feuilles mauves apparurent, saisirent la « raie » noire qui en quelques instants fut entièrement recouverte. Un léger nuage bleuté s'éleva aussitôt dissipé par la brise. Moins de cinq minutes plus tard, les filaments se rétractèrent et les lianes reprirent leur aspect primitif. Il ne restait rien du volatile. C'était comme s'il n'avait jamais existé !

-Cette plante Carnivore n'a encore jamais été décrite, nota Ray de sa voix tranquille. Cela fera encore une belle émission de télévision! Ce que nous avons découvert dans ce cratère suffirait à justifier la prolongation de notre mission.

Mark approuva distraitement de la tête.

-Peux-tu voir en rayons X ce que dissimulent ces damnées plantes ?

-C'est assez difficile car elles sont particulièrement opaques. Elles semblent contenir du plomb, du baryum ou un autre métal lourd. Toutefois, j'ai l'impression qu'il existe une caverne derrière. Comment procédons-nous ?

-Nous allons découper au laser une vaste surface, en commençant par le haut !

Tranchées par le rayonnement puissant, les lianes s'abattirent sur le sol, découvrant une caverne dont l'entrée était en grande partie comblée par des rochers. Toutefois les Terriens ne purent avancer, car les pousses du végétal se tordaient encore sur le sol, comme si elles cherchaient à planter de nouvelles racines.

-Lance une grenade incendiaire, ordonna Mark, sinon cette fichue plante est capable de repousser !

Malgré l'intense puissance calorique du projectile, il fallut une demi-heure à l'incendie pour venir à bout du végétal. Enfin Mark soutenu par son réacteur dorsal put survoler le brasier d'où s'élevait une fumée nauséabonde, mélange d'odeur de caoutchouc brûlé, de chair calcinée, de fermentation butyrique et de putréfaction organique.

S'agrippant aux rochers, les Terriens parvinrent à une étroite ouverture à une vingtaine de mètres du sol. Ray put y engager la tête, activant tous ses détecteurs.

-II y a une très vaste excavation derrière ces blocs minéraux, la masse métallique est invisible mais devant nous. Ecarte-toi, Mark. Je vais basculer un ou deux rochers pour agrandir le passage.

Mobilisant sa force phénoménale, l'androïde exécuta rapidement sa besogne et les deux compères purent pénétrer dans la caverne. Elle était de volume beaucoup plus important que son entrée étroite le laissait paraître. Surtout elle s'enfonçait profondément dans les entrailles de la montagne et le faisceau de la torche électrique de Mark ne permettait pas d'en apercevoir l'extrémité.

-Curieux, émit Ray. Les parois sont lisses et régulières comme si elles avaient été découpées par un laser ou un désintégrateur. La deuxième hypothèse est la plus probable, car il subsiste une radioactivité minime !