47

Comment Grievous avait-il su qu’il fallait attaquer le 500 Republica ? se demandait Mace tandis que le maglev filait à trois cents kilomètres heure en direction du tunnel aérien qui allait permettre au train de sortir du District Sénatorial.

Après avoir embarqué au 500 Republica, lui-même, Kit Fisto, Shaak Ti et Stass Allie avaient gagné le wagon que les Gardes Rouges du Chancelier avaient réquisitionné – le second de la vingtaine de voitures que comptait le train. À travers le cercle de protection que les gardes avaient formé, Mace aperçut brièvement les cheveux gris ondulés de Palpatine. Le Chancelier avait la tête baissée, dans une attitude d’intense concentration – à moins que ce ne fût de l’angoisse.

Comment Grievous avait-il su ? se demanda encore Mace.

De nombreux habitants de Coruscant savaient que Palpatine résidait au 500 Republica, mais l’emplacement de sa suite était tenu secret. Plus important encore, Palpatine aurait pu se trouver dans n’importe lequel de ses bureaux – voire déjà dans un abri.

Les connaissances de Dooku ne suffisaient pas à tout expliquer.

On pouvait encore concevoir que le Comte ait fourni à Grievous les données relatives aux hyperlignes qui parcouraient les limites extérieures du Noyau Profond, Celles-là, Dooku avait pu les soustraire des archives Jedi avant de quitter l’Ordre, sans doute en même temps qu’il effaçait toute mention de Kamino des banques de données. De même, Dooku pouvait avoir procuré à Grievous les coordonnées orbitales de certains satellites de communication et miroirs, ainsi que des informations tactiques relatives à l’emplacement de générateurs de boucliers en surface. Mais Palpatine venait à peine d’être élu Chancelier Suprême quand Dooku avait quitté Coruscant pour regagner Serenno ; à l’époque, il vivait dans une immense tour à proximité du Sénat.

Dès lors, comment Grievous avait-il su pour le 500 Republica.

Sidious ?

Certes, le Seigneur Sith avait dû exercer son influence sur des centaines de Sénateurs, qui auraient pu lui donner accès à des informations hautement confidentielles. Nombreux étaient ceux au sein du Conseil Jedi à penser que le réseau d’agents de Sidious était même parvenu à infiltrer le commandement militaire de la République. Ce qui laissait entendre que l’attaque éclair sur Coruscant avait peut-être été planifiée depuis des années !

Mace jeta un nouveau coup d’œil sur Palpatine, solitaire parmi les robes rouges fluides de ses gardes du corps triés sur le volet.

Le moment était mal choisi pour l’interroger sur ses plus proches confidents.

Mais Mace finirait bien par trouver le bon moment.

Un bref instant, il se demanda ce qu’il était advenu de l’équipe du capitaine Dyne. Sans nouvelles de Dyne ou de Valiant, mais présumant qu’ils avaient suspendu leurs recherches peu après le début de l’attaque, le Renseignement n’avait pourtant pas encore envoyé de nouvelle équipe pour les localiser, même une fois les communications rétablies avec le District Sénatorial.

Shaak Ti ne les avait pas vus lorsqu’elle avait conduit Palpatine dans le soubassement du 500 Republica.

Dyne et les commandos avaient-ils été victimes d’une autre attaque de Grievous ? S’étaient-ils retrouvés pris au piège d’une carcasse de vaisseau cargo ou de tonnes de ferrobéton ?

Encore une préoccupation inopportune, se dit Mace.

Les autres wagons du maglev étaient pleins à craquer de citoyens tentant de fuir les Districts Sénatoriaux et Financiers. Les gardes de Palpatine auraient réquisitionné l’intégralité du train si le Chancelier n’était pas intervenu pour les en empêcher. Shaak Ti avait parlé à Mace et à Kit de la répugnance de ce dernier à quitter sa suite. Mace ne savait trop qu’en penser, mais au moins étaient-ils tous sur le chemin des bunkers à présent. La ligne ferroviaire ne passait pas par le complexe, mais au premier arrêt à Sah’c ils pourraient rattraper un système de voies aériennes et de turbo-ascenseurs qui les y mènerait.

La lumière qui filtrait à travers les vitres teintées du wagon commença à baisser.

Le maglev entrait dans le large tunnel aérien d’Heorem, qui n’accueillait pas seulement le train à grande vitesse, mais aussi des voies en double sens d’autonavigation à travers les immeubles les plus imposants du District Sénatorial. Les voies menant vers le sud – au-delà du district, à la droite de la ligne ferroviaire – croulaient sous les transports publics et les taxis aériens. Par contraste, les voies dirigées vers le nord étaient presque vides, le trafic ayant été dérouté bien avant les abords du District Sénatorial.

L’attention de Mace ayant été attirée par une tache de lumière du côté gauche du wagon, le Maître Jedi s’approcha de la fenêtre la plus proche. Fonçant vers le sud en empruntant la voie inverse, deux chasseurs droïdes essayaient de dépasser le train. Avant que Mace ne puisse prononcer un mot d’avertissement, les canons d’un des vaisseaux Séparatistes inscrivirent une ligne brisée de trous dans le nez effilé d’un appareil de transport volant sur la voie d’autonavigation. Le vaisseau explosa instantanément, criblant du même coup de shrapnels les véhicules qui l’entouraient et manquant faire sortir le train de ses rails surélevés.

Des cris de panique s’élevèrent des wagons côtoyant celui de Palpatine.

— Des chasseurs Vautours ! cria Mace à l’adresse des Jedi et des Gardes Rouges.

Le nez contre la vitre, il vit l’un des droïdes survoler le train de bout en bout, pour se retrouver en plein milieu des voies d’autonavigation et générer des collisions à la chaîne qui envoyèrent valdinguer speeders, taxis et bus sur toute la largeur du tunnel aérien. Deux véhicules percutèrent le train, rebondissant dessus et déclenchant une nouvelle série d’accidents mortels dans la voie de transport. Le droïde se porta à la hauteur du wagon de Palpatine, mais s’éleva brusquement à la verticale et disparut.

Aussitôt après, un bruit assourdissant en provenance de l’arrière du train atteignit les oreilles de Mace. Derrière les vitres teintées, une pluie d’étincelles vint arroser les flancs arrondis du wagon, et l’odeur du métal fondu commença à s’échapper des grilles de ventilation. Des cris de pure terreur montèrent du wagon situé juste derrière celui de Palpatine, tandis que des coups de pied et de poings martelaient la porte d’accès.

En faction à cet endroit, un Weequay faisant partie du personnel de sécurité du train se tourna vers Mace.

— Nous n’allons pas pouvoir les retenir !

En guise de réponse, Mace s’adressa à Shaak Ti et Allie.

— Emmenez le Chancelier dans le premier wagon !

Shaak Ti le dévisagea comme s’il venait de perdre l’esprit.

— Il est bondé, Mace !

— Je le sais parfaitement. Trouvez un moyen !

Il adressa un signe à Kit Fisto, et tous deux se frayèrent un chemin à travers le personnel de sécurité rassemblé à l’arrière du train en activant leurs sabres laser. Confrontés aux lames bleue et pourpre, les passagers de l’autre côté de la fenêtre commencèrent à battre en retraite dans le vestibule, luttant contre ceux qui se trouvaient derrière eux et qui poussaient en direction du wagon à l’avant.

Quand il y eut assez d’espace dans le vestibule, Mace donna l’instruction au Weequay de déverrouiller la porte. Sans hésitation, les deux Jedi se précipitèrent dans le wagon arrière, où la plupart des passagers de toutes espèces s’entassaient au sommet des sièges des deux côtés de la large allée. Le vent pénétrait dans le wagon par une déchirure dans le toit, qui avait permis à une demi-douzaine de droïdes d’infanterie de sauter dans la voiture.

Mace s’autorisa un instant de perplexité. Étant donné que les droïdes de combat ne pouvaient avoir été déposés par les chasseurs droïdes, il devait y avoir un troisième vaisseau Séparatiste volant le long du train.

Les droïdes de combat ouvrirent le feu.

Aux yeux des passagers affolés agglutinés contre les vitres teintées, la situation devait sembler désespérée. Pas parce que les deux Jedi ne pouvaient dévier la pluie de décharges de blaster dirigées sur eux, mais parce que certaines d’entre elles le seraient presque certainement sur eux. Mais ces passagers n’avaient pas reconnu les Jedi Mace Windu – qui d’après la rumeur avait détruit à lui seul un tank sismique sur Dantooine – et Kit Fisto, héros Nautolan de la bataille de Mon Calamari.

Ensemble ils retournèrent une partie des décharges grésillantes contre les droïdes en progression. Le reste, ils les envoyèrent siffler à travers l’ouverture dans le toit, parvenant ce faisant à toucher l’un des Vautours qui entama aussitôt une spirale mortelle quelque part en dessous de la ligne ferroviaire. Étincelles et fumée tournoyaient dans le wagon tandis que des bras et des jambes commençaient à voler de toutes parts, mais Mace et Kit invoquèrent la Force pour contrôler l’averse de métal. Quelques passagers avaient été atteints, mais contre toute attente aucun ne semblait sévèrement blessé.

Une fois le dernier droïde éliminé, Mace bondit à travers la déchirure et atterrit en position accroupie sur le toit du wagon suivant, usant de la Force pour se maintenir en équilibre malgré le vent qui fouettait l’arrière de son crâne rasé et sa tunique grossière. Tous ses sens en alerte, il vit un appareil Séparatiste s’approcher du dernier wagon. Plus loin encore, mais en approche rapide, volaient deux torpilleurs de la République.

Instinctivement, il jeta un coup d’œil sur sa droite au moment même où un droïde Vautour lancé à pleine vitesse s’apprêtait à arroser la portion de toit où il se trouvait avec ses canons. Mace se retourna face au vent puissant puis se concentra sur le salto avant qui le ramena dans le wagon à travers la déchirure. Le Vautour vira de bord, se positionna directement au-dessus de la lacération pratiquée par son partenaire, et réorienta ses canons d’aile.

Dans ce qui aurait sans doute été un geste vain, Mace leva son sabre laser.

Mais la décharge attendue ne vint jamais. Ses ailes rognées et ses répulseurs endommagés par des missiles en provenance des torpilleurs de la République, le Vautour s’écrasa contre le toit du train à grande vitesse et s’en alla disparaître hors de vue.

Après avoir désactivé leurs lames, Mace et Kit se précipitèrent dans le wagon devant eux, désormais encombré des conseillers de Palpatine et des passagers que les femmes Jedi et les Gardes Rouges avaient déplacés du wagon de tête. Mace et Kit se frayèrent ensuite un chemin jusqu’à la voiture du Chancelier Suprême au moment même où le maglev émergeait du tunnel aérien. Dans le soleil couchant, les hauts édifices qui s’élevaient à l’ouest projetaient leur ombre immense sur le canyon de la cité et les voies publiques grouillant d’activité en dessous de la ligne ferroviaire.

Palpatine se tenait au milieu du wagon, entouré par un cordon de Gardes Rouges. À une fenêtre au carreau délibérément brisé, Shaak Ti et Stass Allie fixaient quant à elles l’arrière du train.

— Ces chasseurs auraient facilement pu faire dérailler le train avec une torpille, dit Shaak Ti une fois que Mace et Kit se furent approchés.

Mace se pencha à la fenêtre, cherchant des yeux le canyon.

— Et les droïdes de combat ne tombent pas du ciel comme ça. Il y a un troisième appareil.

Les yeux noirs globuleux de Kit indiquèrent Palpatine.

— Ils veulent le prendre vivant.

À peine venait-il de prononcer ces mots que quelque chose heurta le train avec assez de force pour les projeter tous d’un côté à l’autre du wagon, et inversement. Les Gardes Rouges étaient en train de recouvrer leur équilibre quand le toit se mit à résonner à la cadence de pas lourds, métalliques, en provenance de l’arrière du train.

— Grievous, maugréa Mace.

Kit lui jeta un regard.

— Et c’est reparti.

Une fois dans le vestibule séparant les deux wagons de tête, tous deux se projetèrent sur le toit. À trois voitures d’eux, ils virent marcher dans leur direction Grievous accompagné de deux de ses droïdes d’élite, leurs capes claquant derrière eux dans le vent, leurs bâtons électriques contre leur poitrine en forme de tonneau.

Derrière eux, attaché par des griffes presque animales au toit du train, trônait la canonnière de laquelle était sorti l’effroyable trio.

Sans s’arrêter, Grievous retira deux sabres laser de sa cape tournoyante. Le temps qu’il les active, Mace était déjà sur le cyborg. Il écarta les deux lames, puis décocha un coup dans les jambes artificielles de Grievous avant de s’attaquer à son visage de squelette.

Les sabres laser raclèrent et chuintèrent dans un jaillissement de lumière éblouissante. Dans un coin de son esprit, Mace se demandait à quels Jedi les lames de Grievous avaient appartenu. Tout comme la Force empêchait Mace d’être éjecté du toit du maglev, un quelconque dispositif magnétique maintenait le Général solidement en place. Les mouvements du cyborg s’en trouvaient néanmoins autant entravés que facilités, tandis que Mace ne restait jamais très longtemps en place. Les trois lames se rencontraient sans cesse, les parades répondaient aux attaques féroces.

Grievous avait été bien entraîné aux arts Jedi. Mace pouvait aisément reconnaître la patte de Dooku dans sa technique. Ses coups étaient plus puissants que tous ceux que Mace n’avait jamais dû contrer, sa vitesse hallucinante.

Mais il ne connaissait pas Vaapad – la technique flirtant avec le côté obscur dans laquelle Mace excellait.

À l’arrière du wagon, où les deux MagnaGardes de Grievous avaient commis l’erreur d’accepter la confrontation avec Kit Fisto, la lame du Nautolan évoquait un cyclone de lumière bleue. Résistantes à l’énergie dégagée par un sabre laser, les bâtons revêtus de phrik constituaient des armes puissantes, mais comme toute arme il leur fallait atteindre leur cible – ce que Kit ne semblait pas prêt à laisser faire. D’un mouvement qu’une danseuse Twi’lek aurait pu lui envier, il tournait autour des deux gardes en les amputant d’un membre à chaque rotation : une jambe gauche, un bras droit, une jambe droite…

La vitesse du train se chargea du reste ; elle finit par éjecter du toit les deux droïdes comme l’auraient été deux insectes du pare-brise d’un motospeeder.

Les ordinateurs intégrés au cerveau organique de Grievous prirent sans doute note de la perte de ses confédérés, mais cela ne parut pas le distraire ni même le ralentir. Parvenus à analyser le style de Mace, ces mêmes ordinateurs suggéraient à Grievous comment ajuster sa posture, de même que l’angle de ses parades, ripostes et botte.

Le résultat n’imitait pas Vaapad à la perfection, mais il s’en rapprochait, ce qui incitait Mace à ne pas prolonger le duel plus que de nécessaire.

Il s’accroupit, pointa son sabre en direction du sol, transperça le toit du wagon et guida la lame perpendiculairement à la progression de Grievous. Mace vit à l’expression de surprise qui s’emparait des yeux reptiliens du cyborg qu’en dépit de toute sa force, de sa dextérité et de sa résolution, sa partie vivante n’était pas parfaitement synchronisée à ses servomoteurs d’acier. À l’évidence, Grievous – celui qui jadis avait commandé des troupes de chair et de sang – comprenait ce que Mace avait fait et voulait s’échapper, tandis que le Général Grievous – actuel commandant de droïdes et de machines de guerre – ne voulait qu’une chose, allonger une botte à Mace pour l’empaler avec ses deux lames.

Glissant dans l’ouverture pratiquée par le sabre de Mace, le talon gauche de Grievous perdit sa prise magnétique sur le toit, faisant chanceler le Général. Mace bondit de sa position accroupie en pointant sa lame sur les entrailles de Grievous, mais au dernier instant les cybersynapses du cyborg lui firent effectuer un brusque demi-tour censé lui permettre de trancher la tête de Mace dans sa chute. Mais grâce à la Force, le Jedi parvint à freiner son saut et à éviter les lames tranchantes ; il atterrit hors de portée au moment même où Grievous glissait du toit en se contorsionnant.

Mace se précipita aussitôt au bord du wagon pour essayer de suivre le plongeon du général dans le vide, sans succès.

Grievous était-il tombé dans le canyon ? Était-il parvenu à planter ses griffes de duranium dans les flancs du wagon, voire à s’accrocher aux rails du maglev ?

Mace ne pouvait se permettre de perdre du temps en conjectures. À une centaine de mètres de lui, la canonnière rétracta son train d’atterrissage et s’éleva du toit en utilisant ses répulseurs. Des tirs en provenance d’un des torpilleurs à sa poursuite la contraignirent à obliquer puis à plonger aussitôt en direction du canyon, son poursuivant à ses trousses.

Mace et Kit regardèrent les deux vaisseaux tourner autour du maglev en échangeant des tirs nourris. S’éloignant du nez pointu du train, là où étaient logés ses contrôles magnétiques, la canonnière fit semblant de virer à l’ouest, pour aussitôt faire un virage sur l’aile en direction de l’est.

À ce moment-là, cependant, le torpilleur – suivant sa cible à l’ouest – avait déjà fait feu.

Transpercé par une nuée de traits mortels, le système de contrôle explosa, projetant l’avant du train en l’air.