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Bossue et décorée de gravures complexes, la mécanochaise aux pieds grossiers se trouvait dans l’aire de lancement de la forteresse désormais tombée, perdue parmi un tas de possessions tout aussi exquises abandonnées par les Neimoidiens en fuite.
Obi-Wan tournait autour, caressant de sa main droite son menton barbu.
— Je crois que j’ai déjà vu cette chaise quelque part.
Accroupi à proximité, Anakin leva les yeux dans sa direction.
— Où ça ?
Obi-Wan s’arrêta de marcher.
— Sur Naboo. Juste après l’emprisonnement du vice-roi Gunray et de sa cour à Theed.
Anakin secoua la tête.
— Elle ne me dit rien.
Obi-Wan émit un grognement.
— Tu devais être trop excité d’avoir fait sauter le vaisseau de contrôle droïde pour t’intéresser à quoi que ce soit d’autre. Qui plus est, je ne l’ai vue qu’un instant. Mais je me rappelle parfaitement avoir été frappé par le dessin de la table holographique. Je n’en avais jamais vu de telles auparavant – ou depuis, d’ailleurs.
Le chasseur aux lignes épurées d’Anakin était stationné à l’autre bout, masse jaune sur son aire de stockage. R2-D2 se tenait à proximité, en communication avec TC-16. Le commandant Cody et le reste de l’escouade 7 sillonnaient le palais, occupés à le « nettoyer », selon l’expression consacrée chez les clones.
Anakin entreprit d’examiner l’holoprojecteur de la chaise en évitant de le toucher. L’ovale en alliage cannelé était équipé d’une paire de prises dorsales prévues pour accueillir des cellules de données de diverses sortes.
— Ceci est inhabituel, Maître. Il y a peut-être des messages de valeur stockés dans ces cellules.
— Raison de plus pour ne rien toucher avant que les services de renseignements n’y aient jeté un œil.
Anakin se renfrogna.
— Ça va prendre un temps fou.
Obi-Wan croisa les bras et fixa le jeune homme.
— Tu as quelque chose sur le feu, peut-être ?
— Pour ce que nous en savons, ces cellules pourraient être programmées pour s’auto-effacer.
— As-tu une quelconque preuve de ce que tu avances ?
— Non, mais…
— Dans ce cas, mieux vaut attendre avant de pouvoir établir un diagnostic adéquat.
Anakin grimaça.
— Que connaissez-vous à ces choses, Maître ?
— J’ai déjà mis les pieds dans les cyberlabos du Temple, Anakin.
— Je sais. Mais R2 peut parfaitement s’en occuper.
Il fit signe aux droïdes de le rejoindre devant la mécanochaise.
— Anakin… commença Obi-Wan.
— Vraiment, Messieurs, il est de mon devoir de protester, l’interrompit TC-16 qui se hâtait derrière R2-D2.
— Ces articles demeurent la propriété du vice-roi Gunray et de sa suite.
— On ne t’a pas demandé ton avis, lui répondit Anakin.
R2-D2 trilla et siffla à l’intention du droïde protocolaire cabossé. Tous deux avaient commencé à se chamailler dès l’arrivée de R2-D2 quelques instants plus tôt.
— J’ai parfaitement conscience de l’état déplorable de mes circuits, lui répondit TC-16. Pour ce qui concerne ma posture, je ne puis guère y remédier avant qu’on ne révise mon articulation pelvienne. Vous autres astro-droïdes avez une bien haute opinion de vous-mêmes, sous prétexte que vous savez piloter un chasseur.
— Ne fais pas trop attention à R2, lui dit Anakin. Il a été traumatisé par un autre droïde protocolaire. Pas vrai, R2 ?
En guise de réponse, le petit droïde déploya son interface informatique dont il inséra l’extrémité magnétique dans une des prises de la chaise.
— Anakin ! s’exclama Obi-Wan.
Anakin se leva et rejoignit Obi-Wan sur la plate-forme de lancement. Obi-Wan pointait du doigt une lumière vacillante qui grandissait à chaque seconde dans le ciel nocturne.
— C’est très probablement le vaisseau que nous attendions. Et les officiers du renseignement à bord ne vont certainement pas apprécier que l’on ait mis notre nez dans leurs petites affaires.
— Messieurs, dit TC-16 derrière eux.
— Pas maintenant, le coupa Obi-Wan.
R2-D2 se mit à émettre toute une série de sifflements et de pépiements.
— S’ils nous donnent leur aval, et seulement à ce moment-là, poursuivit Obi-Wan, tu pourras t’amuser à disséquer entièrement cette satanée chaise, si ça te chante.
— Ce n’est pas ce que vous croyez…
— Qui-Gon aurait peut-être dû te laisser dans la brocante de Watto, finalement.
— Vous n’êtes pas sérieux, Maître.
— Bien sûr que non. Mais je sais à quel point tu aimes tripatouiller ce genre de choses.
— Messieurs…
— Ferme-là, TC, gronda Anakin.
R2-D2 klaxonna de plus belle, mais comme de loin.
— Pareil pour toi, R2.
Obi-Wan jeta un coup d’œil derrière lui ; sa mâchoire s’affaissa.
— Où est la mécanochaise ?
Anakin balaya la pièce des yeux.
— Où est R2 ?
— C’est ce que j’essayais de vous dire, Messieurs, reprit TC-16 en désignant de sa main la porte à ouverture en iris de l’aire d’atterrissage. La chaise est partie – en emportant avec elle votre petit droïde prétentieux.
Obi-Wan dévisagea Anakin avec perplexité.
— Il n’a de toute façon pas pu aller bien loin, Maître.
Tous deux se précipitèrent dans le couloir, vide des deux côtés. Aussi commencèrent-ils à fouiller les pièces aliénantes à l’aire de lancement. Un long cri électronique les ramena dans le couloir principal.
— C’est R2, dit Anakin.
— Soit c’est lui, soit TC a développé un sacré talent d’imitateur.
Suivis de loin par le droïde protocolaire, ils pénétrèrent dans une salle informatique exiguë au milieu de laquelle ils découvrirent R2-D2, son interface informatique toujours branchée à la chaise. Tendu de tout son long, un câble de liaison informatique connectait désormais la mécanochaise à une sorte de console de contrôle. Le pied en forme de talon de la chaise ne cessait de bouger, s’efforçant de trouver une prise sur le sol lisse pour rapprocher la chaise de la console.
— Qu’est-ce qu’elle est en train de faire ? demanda Obi-Wan.
Le visage d’Anakin s’allongea.
— Elle se recharge ?
— Jamais vu une mécanochaise aussi tenace.
R2-D2 jacassait et soufflait.
— Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Obi-Wan à TC-16.
— Que la mécanochaise vient à l’instant de déclencher son mécanisme d’autodestruction, Monsieur.
Sans réfléchir, Anakin se rua sur la console.
— R2, débranche-toi ! lui cria Obi-Wan. Anakin, éloigne-toi de cette chose !
Les doigts d’Anakin tentaient déjà de dénouer les fils qui reliaient l’unité d’holoprojection à la chaise.
— Impossible, Maître. C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose de stocké dans cette chaise qu’on veut nous empêcher de découvrir.
Obi-Wan jeta un regard inquiet en direction de R2-D2.
— Encore combien de temps, R2 ?
TC-16 traduisit la réponse de l’astromec.
— Plus que quelques secondes, Monsieur !
Obi-Wan se précipita aux côtés d’Anakin.
— Nous n’avons pas le temps, Anakin. Sans compter qu’elle est sans doute réglée pour exploser si on la manipule.
— J’y suis presque, Maître.
— C’est nous que tu vas réussir à désactiver !
Obi-Wan sentit soudain une perturbation dans la Force.
Sans réfléchir, il cloua Anakin au sol juste avant que la chaise ne projette une vapeur blanche à l’endroit précis où le jeune homme s’était tenu.
Obi-Wan, qui commençait à tousser, couvrit sa bouche et son nez avec la large manche de sa robe.
— Du gaz empoisonné ! Dix contre un que c’est le même que Gunray a utilisé contre Qui-Gon et moi-même sur Naboo.
— Merci, Maître, dit Anakin. À combien sommes-nous ? Vingt-cinq ou trente-sept ?
— Trente-six – pour peu que ça t’intéresse vraiment.
Anakin étudia la chaise un moment.
— On doit prendre le risque.
Avant qu’Obi-Wan ne puisse ne fût-ce que penser à l’arrêter, Anakin s’était penché en avant et avait arraché le râble de la console de contrôle.
R2-D2 se mit à miauler, tandis que TC-16 lançait un gémissement de détresse.
Une vague d’énergie bleue entoura la chaise et la console, frappant Anakin dans le dos.
Au même moment, l’holotable de la chaise projeta un hologramme haute résolution dans la pièce.
R2-D2 lança un miaulement affolé.
Et à l’image d’un mètre de haut vêtue d’une cape à capuche, la voix inimitable du vice-roi Nute Gunray disait :
— Oui, oui, bien sûr. Croyez bien que je m’en occuperai personnellement, Seigneur Sidious.