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Pour attendre l’arrivée d’Obi-Wan et d’Anakin, le comte Dooku s’était installé dans la salle d’archives en ruines des installations de LiMerge Énergie. La pièce était proprement immense, trente mètres de haut et presque cent de circonférence. Dooku l’imaginait grouillante de vie et d’activité, avant la catastrophe. Néanmoins, ce qui en restait d’intact rendait honneur à ses constructeurs. Et contemplant ces murs incurvés tapissés d’hololivres et de disques de données – trop irradiés pour être récupérables – Dooku comprenait qu’on puisse espérer y trouver, dissimulés quelque part, certains secrets de la pire sorte.

Des Jedi comme Kenobi et Skywalker par exemple, qui ne demandaient qu’à croire.

En dépit de leur crédulité, ils s’avéraient rien moins que tenaces, et – osait-il l’admettre ? – exceptionnels.

Par les risques qu’ils acceptaient de prendre.

Par les illusions qu’ils refusaient de perdre – sur bien des points.

Par le zèle sans bornes dont ils faisaient preuve pour le capturer, quitte à faufiler leurs chasseurs stellaires à travers le toit du plus grand des dômes d’endiguement de l’usine à plasma – sans y perdre la vie. De telles prouesses quasi surhumaines auraient presque suffi à convaincre Dooku que la Force était toujours avec eux.

Si au moins ils n’étaient pas si naïfs, si facilement manipulables.

Une fois encore, Dark Sidious avait anticipé leurs actions bien avant qu’ils ne les aient décidées. Son talent relevait moins d’une capacité à voir le futur que d’un accès aux cours méandreux des possibles. Sidious n’était pas infaillible. On pouvait le surprendre lorsqu’il baissait sa garde – Géonosis, la mécanochaise de Gunray – mais jamais très longtemps. Sa maîtrise du côté obscur de la Force le dotait du pouvoir de déchiffrer les courants qui composaient le futur, et de comprendre qu’il n’y en avait pas un nombre infini.

Cette maîtrise faisait partie des talents qui distinguaient Sidious de Yoda, lequel croyait le futur à ce point mouvant qu’on ne pouvait le lire avec clarté – et plus encore lors des périodes d’ascension du côté obscur. Mais comment Yoda aurait-il pu s’attendre à voir l’intégralité du schéma avec un œil fermé ?

Délibérément fermé.

Les Jedi acceptaient comme un acte de foi le fait qu’embrasser le côté obscur signifiait nécessairement se couper de la lumière, alors qu’en fait le côté obscur vous ouvrait pleinement à la Force.

Car, après tout, il n’y avait que la Force en fin de compte.

Il était fort regrettable pour les Jedi qu’ils se croient les seuls à même d’honorer la Force et d’en user. Cette certitude était patente dans la manière fervente dont Kenobi et Skywalker invoquaient la Force au cours de leurs confrontations, dont ils ouvraient des portes ou se débarrassaient : des obstacles sur leur chemin d’un mouvement de la main ; dont ils se déplaçaient, à une vitesse et avec une agilité presque sacrées à leurs yeux ; dont ils brandissaient leurs lames bleues comme si celles-ci avaient été investies de la volonté même de la Force…

Et en même temps, quelle inconscience…

Dooku prit un moment pour installer avec soin son compact cadeau de bienvenue, puis traversa en hâte une série de chambres de décontamination qui le conduisirent jusqu’à la salle de contrôle de l’installation, de laquelle on voyait l’arrière des archives et le vaste espace clos par le dôme d’endiguement proprement dit. Une fois sur place, il activa un second holoprojecteur de petite taille et se positionna face à l’holocaméra. À cause des interférences, les images de la salle d’archives étaient loin d’avoir la clarté espérée – quant au retour son, mieux valait ne pas en parler. Le plus important, néanmoins, était que Kenobi et Skywalker puissent le voir.

Au bout d’un long moment, les deux Jedi pénétrèrent enfin côte à côte dans la salle, pour aussitôt s’immobiliser devant son holo-image grandeur nature projetée par l’holoprojecteur compact qu’il y avait laissé.

— Dooku ! s’écria le jeune Skywalker, comme si le ton de sa voix avait pu suffire à faire frissonner l’échine de leur adversaire.

— Montrez-vous !

À quelques pièces de là, Dooku se contenta de les accueillir d’un geste de la main, puis se mit à parler dans le microphone de l’holoprojecteur.

— N’aie pas l’air aussi surpris, jeune Jedi. N’est-ce pas ainsi que tu as aperçu Seigneur Sidious pour la première fois ?

En guise de réponse, Kenobi toucha le bras de Skywalker et ensemble, ils se mirent à fouiller la pièce, faisant manifestement appel à la Force pour essayer de le localiser.

— Vous ne me trouverez pas, Jedi…

— Nous savons que vous êtes ici, Dooku, le coupa Obi-Wan d’une voix distordue par la transmission. Nous pouvons sentir votre présence.

Dooku soupira de déception. Ils ne l’écoutaient pas. Pire encore, le retour vidéo commençait lui aussi à faire des siennes. Aussi fut-ce davantage grâce à la Force que par l’holocaméra qu’il les vit s’approcher de la porte qu’il avait prise pour atteindre la salle de contrôle.

Exceptionnel, pensa-t-il.

En dépit de sa maîtrise de la technique Quey’tek censée le dissimuler aux yeux de la Force, ils étaient parvenus à le localiser ! Très bien, dans ce cas le moment était venu de les divertir, selon les vœux de Sidious.

Après avoir arraché son comlink de sa ceinture, Dooku parcourut du pouce le petit combiné.

Annoncés par le bruit de leurs pas métalliques, cinquante droïdes d’infanterie pénétrèrent dans la salle d’archive par deux portes disposées perpendiculairement à celle par laquelle les deux Jedi étaient entrés.

— … commence à… des choses presque aussi… je déteste le sable… disait Anakin à son ancien mentor en haussant son sabre laser jusqu’à l’épaule.

Kenobi écarta les jambes et leva son propre sabre devant lui.

— Eh bien… donnons un coup de balai !

Touché par leur camaraderie, Dooku sourit intérieurement. Dark Sidious allait avoir bien du travail pour convertir Skywalker au côté obscur.

Il appuya du pouce sur une dernière touche.

Ce faisant, les droïdes pointèrent leurs fusils blasters sur les Jedi et ouvrirent le feu.

Yoda s’abandonna aux courants de la Force. Parfois, quand ses flots étaient rapides et constants, il pouvait voir à travers les yeux de ses camarades Jedi comme si ceux-ci avaient fait office de lointains senseurs au service du Temple. En d’autres circonstances, lorsque le cours s’avérait particulièrement violent, qu’il paraissait dévaler de très haut, Yoda pouvait entendre la voix de Qui-Gon Jinn aussi clairement que s’il avait été encore en vie.

Maître Yoda, aurait-il pu dire, nous avons encore beaucoup à apprendre. La Force n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais une autre clé a été trouvée pour les dévoiler. Nous allons devenir plus puissants que jamais…

Ce jour n’en faisait pas partie. En ce jour, le courant était brisé par des remous et des tourbillons, autant de pièges hydrauliques dont le rugissement couvrait les voix que Yoda désespérait d’entendre. En ce jour, les flots n’étaient pas pellucides, mais souillés par de la terre rougeâtre érodée des rives lointaines, traîtres et impurs.

Bien qu’il fût à peine conscient de cela, le Maître Jedi avait les paupières fermement closes, ses globes oculaires dansaient derrière comme incapables de se concentrer sur un seul point. Il se voyait en train d’écarter un voile pour en trouver aussitôt un autre, puis un autre encore.

Le côté obscur contrariait tous ses efforts pour voir clairement.

Une expérience toujours nouvelle pour lui.

Même s’il avait eu des siècles pour s’habituer à ses prémonitions, il avait vécu bien plus d’années encore sans n’en expérimenter aucune. Le côté obscur ne disparaissait jamais complètement – il affleurait la surface comme un insecte rampant à travers un panneau de transparacier –, et Yoda avait perçu chacune de ses poussées quand les Jedi ou la République commettaient une faute ; et il sentait que bientôt, les deux allaient… unir leurs efforts en la matière.

Emportés par les erreurs de la République, les Jedi ont été. Mais en toute connaissance de cause, et parfois délibérément. Le côté obscur prendre racine, ils ont laissé. L’arrogance infecter l’Ordre, ils ont laissé. Une priorité, préserver leur puissance est devenu. Enorgueillis de leurs propres conquêtes, les Jedi se sont.

Certains Jedi croyaient que Yoda n’en était pas conscient, qu’il n’avait pas fait assez pour contenir le flot du côté obscur. Certains croyaient que le Conseil avait agi improprement ou, pire encore, stupidement. Ce qu’ils ne parvenaient pas à comprendre, c’est qu’une fois enraciné du côté obscur croissait inexorablement, et ne pouvait être contrecarré que par celui venu au monde pour rétablir l’équilibre dans la Force.

Et Yoda n’était pas celui-là.

Vieux, expérimenté, diplomate, brillant au sabre laser… oui, il était tout cela. Et bien conscient du pouvoir du côté obscur. Aussi comprenait-il parfaitement à quel point ce nouveau Seigneur Sith pouvait s’avérer dangereux. Du moins l’avait-il compris après avoir combattu Dooku sur Géonosis.

Au terme d’un millier d’années d’exil, les Sith ne s’étaient pas contentés de choisir le meilleur moment pour réapparaître et exercer leur revanche ; ils avaient surtout attendu la naissance d’un être suffisamment fort pour embrasser pleinement le côté obscur et devenir son parfait instrument. Voilà ce qu’était Sidious : assez puissant pour se cacher à la vue de tous. Pour donner à son apprenti, Dooku, l’instruction de dévoiler son existence et pourtant rester introuvable.

Et aussi arrogant qu’un Jedi. Convaincu que sa voie était la seule et unique possible.

Savait-il à propos de Skywalker ?

Certainement. Quelle meilleure manière de s’assurer une victoire totale que tuer ou corrompre l’Élu ? Et s’il ne s’agissait pas d’Anakin, son taux de midichloriens était tout aussi élevé… Quelqu’un engendré par la Force elle-même, aurait dit Qui-Gon – qui n’avait jamais envisagé que la mère d’Anakin ait pu lui mentir.

Ce garçon n’avait pas de père.

Personne dont je choisisse de me souvenir. Personne que je veuille honorer de ce titre.

Les Sith savaient pour Skywalker. Comment réagirait-il le jour où ils essaieraient de le séduire ?

Les yeux de Yoda s’ouvrirent brusquement. Une perturbation dans la Force – d’une telle ampleur qu’elle l’avait expulsé du courant.

D’une pensée, il ouvrit les volets de ses appartements et embrassa Coruscant du regard, au-delà de la plaine des Usines. Le ciel avait quelque chose d’étrange. L’amoncellement de nuages avait pris les teintes rouge et doré des fumées toxiques : une tempête de lumière palpitante, plus brillante que les rayons blafards du soleil de Coruscant. Des objets en mouvement, également ; étrangers à l’enveloppe animée de Coruscant. Si Yoda ne pouvait les voir, il pouvait les sentir.

Une attaque.

La réponse du Seigneur Sith à leur chasse à l’homme ? Était-ce vraiment possible ?

Yoda perçut Mace en train de courir dans les couloirs du Temple ; il se retourna au moment où Mace apparut sur le seuil de sa porte, hors d’haleine. Au même instant, un vaisseau de la République en flammes frôla les flèches du Temple avant d’aller s’écraser violemment en plein cœur des Usines.

— Tiin, Koon, Ki-Adi-Mundi et quelques autres se dirigent droit sur le puits gravitationnel, lui dit Mace. J’ai envoyé Stass Allie aider Shaak Ti à veiller sur le Chancelier Palpatine.

Yoda opina de la tête avec sagesse.

— Bien entraînés sont les Gardes Rouges du Chancelier Suprême. Mais de sa sécurité, les Jedi doivent s’assurer.

— Des rapports du commandement naval ne sont pas clairs, poursuivit Mace. De toute évidence, l’attaque a pris notre flotte par surprise. Des groupes de vaisseaux Séparatistes ont réussi à pénétrer dans l’enveloppe avant que les nôtres n’aient le temps d’engager le combat. D’après les derniers comptes rendus, nos vaisseaux tiennent leurs positions.

L’expression de Yoda mélangeait colère et confusion.

— Les points de réversion hyperspatiale, nos amiraux ne surveillaient pas ?

Les yeux de Mace se rétrécirent.

— La flotte Séparatiste a sauté depuis le Noyau Profond.

— Secrètes, ces routes étaient. Connues de nous et de quelques autres. Yoda dévisagea Mace. Un libre accès aux archives, Dooku avait. Assez pour effacer toute référence à Kamino. Assez pour être au courant de nos explorations dans le Noyau Profond.

Mace approcha de la fenêtre et contempla le ciel.

— Ce n’est pas Dooku qui mène cette attaque. Obi-Wan nous a confirmé qu’il se trouve sur Tythe.

— Manifeste est l’importance de Tythe. Davantage de Jedi dans la Bordure Extérieure il faut envoyer.

— La prochaine fois, Palatine tiendra peut-être davantage compte des avertissements du Conseil.

— Peu probable. Mais peut-être.

Mace se retourna.

— C’est Grievous. Mais il ne peut escompter occuper Coruscant. Tous les droïdes de combat de la galaxie n’y suffiraient pas.

— Désespéré il est, murmura Yoda.

— Le désespoir ne fait pas partie de sa programmation.

Yoda leva les yeux.

— Pas Grievous – Sidious.

Mace prit quelques instants pour lui répondre.

— Si c’est le cas, nous sommes plus près de le trouver que nous le pensions. Mais nous n’allons pas pour autant renoncer à le dénicher, il doit bien le savoir.

— De démoraliser Coruscant, Grievous a pour mission. De harceler ceux qui vivent dans les hauteurs et qui détiennent le pouvoir. À trouver des refuges plus sûrs, cette attaque va les contraindre. À interrompre les travaux du Sénat.

Mace longeait les fenêtres d’un pas lent.

— Cela n’aura pour effet que d’inciter Palpatine à tripler la taille de son armée de clones, à construire encore davantage de vaisseaux de guerre et de chasseurs, et à attaquer toujours plus de mondes. Le Sénat sur la touche, il n’y aura plus personne pour s’opposer à lui.

— Un autre visage cette guerre est en train de prendre. Rappeler tous les Jedi disponibles, nous devons.

— L’HoloNet est hors-service, fit remarquer Mace. Les communications de surface sont déformées par les boucliers de défense.

Yoda opina du chef.

— Utiliser le système d’alarme d’urgence, nous allons.