30

Macrobinoculaires plaquées contre ses yeux, Mace étudiait l’immeuble lointain de haut en bas, s’attardant sur les fenêtres cassées, leurs rebords fissurés, les balcons de travers.

Situé au centre d’un complexe d’une demi-douzaine d’édifices, l’immeuble en question avait été construit plus de trois siècles auparavant et tombait en ruine. Sur les deux tiers de sa hauteur, il n’était qu’une colonne sans ornement avec un sommet arrondi. Sa superstructure reposait sur une base circulaire renforcée par des piliers massifs. Là où ladite superstructure et le haut incliné des contreforts se rencontraient, le bâtiment présentait des fenêtres ainsi que d’antiques portes d’arrimage crénelées. La plupart des panneaux de permaverre et des lucarnes restaient intacts, mais le temps et la corrosion avaient fait leur œuvre sur leurs écoutilles verticales.

Une enquête était en cours pour déterminer qui avait fait construire l’édifice, et à qui il appartenait désormais – même si, de sa localisation éminente au sein des Usines, on pouvait d’ores et déjà conclure qu’il avait dû servir de siège d’entreprise aux manufactures et autres installations d’assemblages qui l’entouraient.

Escorté d’une équipe composée de Jedi, de commandos et d’analystes du Renseignement, Mace se trouvait à un kilomètre à l’est de la structure, dans une zone de squats et de fonderies aux toits en pointe surmontés de cheminées en permabéton éructant encore leur fumée. Trouver un lieu plus déprimant du côté d’Eriadu ou de Korriban n’aurait pas été chose facile, se dit Mace. Cinq heures passées ici valaient bien cinq années ailleurs. Le Maître Jedi pouvait presque sentir les dommages que chacune de ses respirations lui causait, de même que la dangerosité des surfaces crasseuses qu’il touchait et l’odeur pestilentielle des vagabonds qui flottait dans l’air. Les acides saturant l’air digéraient à peu près n’importe quoi, mais insuffisamment vite à ses yeux pour certaines choses. D’ambitieux urbanistes avaient entrepris de réhabiliter le quartier en y introduisant des mites de pierre, des limaces mangeuses de duracier et des vers des conduits pour faciliter le travail des pluies acides, sans même tenir compte des risques qu’ils faisaient ainsi encourir aux gratte-ciel tout proches du District Sénatorial.

Tout bien pesé, l’environnement rêvé pour un Seigneur Sith.

— Les sondes télécommandées sont en route, Général Windu lui rapporta le CRA.

Mace braqua ses macrobinoculaires sur le troupeau de droïdes sphériques d’un mètre de diamètre qui manœuvraient dans le plus grand chaos en direction du bâtiment.

Le Comité de surveillance des activités de Renseignement du Sénat avait tenté de leur interdire l’usage de commandos et de droïdes sondes. L’idée qu’un bastion Séparatiste puisse exister sur Coruscant paraissait absurde aux yeux des membres de ce comité. Par chance – et inopinément, il fallait en convenir – le Chancelier Suprême Palpatine avait passé outre et Mace avait été autorisé à monter une équipe de rêve comprenant non seulement le commandant CRA Valiant et le capitaine Dyne du Renseignement, mais aussi le Maître Jedi Shaak Ti et plusieurs Padawans fort capables.

— Rien n’indique que les sondes soient en acquisition, poursuivit le CRA.

Mace regarda les sphères noires pénétrer par des vitres brisées les endroits de la superstructure où la façade s’était désintégrée, exposant les ossements de son squelette de plastacier.

Le moment de vérité, pensa-t-il.

La pilote lethienne qu’Obi-Wan et Anakin étaient parvenus à dénicher sur Naos III n’avait pas été capable de leur fournir autre chose qu’un portrait de l’immeuble où elle avait livré le long-courrier. Produit par le Laboratoire des Projets Avancés Sienar, l’appareil avait été modifié – peut-être à l’insu de Sienar lui-même – à l’intention du Sith que Qui-Gon Jinn avait tué. On avait bien fourni à la pilote des coordonnées d’atterrissage sur Coruscant, mais elle ne s’était pas trouvée à bord du long-courrier quand celui-ci s’y était posé ; après qu’on lui eut payé l’intégralité de la somme prévue, on l’avait emmenée en taxi jusqu’à Westport où elle avait aussitôt pris la direction de Ryloth. Connaître la destination du vaisseau n’avait pas été d’une grande aide. Bien qu’abritant moins de constructions en hauteur que la plupart des zones équatoriales de Coruscant, les Usines s’étendaient sur des centaines de kilomètres carrés sur lesquels s’élevaient des milliers d’immeubles correspondant à sa description.

La chance n’avait commencé à leur sourire que lorsque le Maître Jedi Tholme s’était rappelé un détail du débriefing de son ancien Padawan, Quinlan Vos. Dans le cadre de sa mission d’infiltration des apprentis du Comte Dooku, Vos avait été chargé d’assassiner un Sénateur félon nommé Viento. Juste après le meurtre – qui avait donné lieu à un violent duel avec Maître K’Kruhk – Vos avait rencontré brièvement Dooku dans les Usines. Là-bas, le Comte avait informé son soi-disant protégé qu’il s’était trompé en soupçonnant Viento d’être un Sith, et lui avait répété que lui-même ne répondait à aucune allégeance.

À l’époque, personne n’avait prêté attention aux remarques de Vos car celui-ci semblait perdu pour l’Ordre après avoir basculé du côté obscur. Nul n’avait vu dans le lieu du rendez-vous en question autre chose qu’un endroit de rencontre discret. Les Jedi et le Renseignement s’étaient focalisés sur le fait qu’à l’évidence, Dooku était parvenu à se poser sur Coruscant et à en repartir sans se faire détecter.

— Les holo-images de l’intérieur nous sont parvenues, dit Valiant.

Mace abaissa les macrobinoculaires et tourna la tête en direction de l’holoprojecteur de terrain. Brouillées par des lignes diagonales d’électricité statique, les images 3D représentaient des pièces désertes, des kilomètres de couloirs sombres et de vastes espaces vides.

— Le bâtiment semble complètement abandonné, Général. Aucun signe de droïdes ou d’êtres vivants – à part les espèces habituelles dans ce genre de ruines industrielles.

— Abandonné, peut-être, mais certainement pas tombé dans l’oubli, intervint le Capitaine Dyne de derrière Valiant.

Il y a de la vie dans le building. On capte de l’énergie et l’éclairage fonctionne.

— Ça ne veut pas dire grand-chose, lui répondit Mace. De nombreuses structures dans ce district sont autosuffisantes d’un point de vue énergétique, parfois grâce à de dangereux carburants hautement instables. Il embrassa le paysage d’un large geste.

— Ils rejettent toujours de la fumée.

Dyne hocha la tête.

— Mais celle-ci montre les signes d’une consommation d’énergie récente et régulière.

Mace fit face à Valiant.

— Très bien, Commandant. Donnez l’ordre d’assaut.

De derrière et des deux côtés du poste d’observation, les canonnières d’assaut à basse altitude décollèrent dans le ciel rempli de fumée. Les snipers balayaient la zone d’intervention de leurs blasters à répétition, tandis que les commandos se tenaient prêts à se déployer depuis les soutes des torpilleurs. Ailleurs, des NA-TT et d’autres véhicules d’artillerie mobile commencèrent à traverser pesamment le paysage urbain délabré qui les séparait de leur cible.

Valiant se tourna vers les soldats qui composaient l’équipe Aurek.

— Le bâtiment est une zone de combat. Considérez quiconque comme potentiellement hostile. (Il fit claquer une recharge de gaz neuve dans son blaster compact.) Soldats : traquez, trouvez, tuez !

Peu importait combien de fois Mace avait entendu ceci, il ne pouvait s’empêcher de trouver dérangeant le grognement de réponse collective au cri de ralliement des CRA. Même si aux yeux des soldats, cela ne devait sans doute pas être très différent du Que la Force soit avec vous que les Jedi échangeaient entre eux.

Il détourna les yeux et adressa à Shaak Ti un signal de la main.

— Je vais suivre l’équipe Aurek. Toi, l’équipe Bacta.

Aussi belle qu’une fleur, aussi mortelle qu’une vipère, Shaak Ti était le type même de Jedi qu’on souhaitait avoir à ses côtés en cas de coup dur. Dotée du talent de se déplacer avec rapidité à travers les foules et les faibles espaces, elle était souvent la première à engager le combat, ses montrals rayées en alerte, son sabre laser bleu prompt à trouver ses marques. Elle avait joué un rôle clé dans la défense de Kamino et de Brentaal IV, et Mace se réjouissait de pouvoir compter sur elle en cet instant.

Le temps qu’il pénètre dans le vaisseau d’assaut de l’équipe Aurek, celui-ci avait déjà fait le plein de soldats et de Padawans. Une fois en l’air, la canonnière d’assaut se dirigea droit sur le sommet du bâtiment. La stratégie choisie consistait à progresser de haut en bas, à nettoyer les lieux étage par étage jusqu’aux plus bas niveaux où les unités d’infanterie et d’artillerie étaient déjà en train de prendre position de tir autour des fondations soutenues par des contreforts. La totalité de la zone était creusée de tunnels ayant servi au transport de travailleurs, de droïdes et de matériel. S’il n’était pas possible de surveiller chaque issue, la plupart des principaux tunnels reliés aux soubassements de l’immeuble avaient été équipés de senseurs capables de détecter droïdes comme êtres vivants.

On n’avait découvert aucune aire d’atterrissage en état de marche suffisamment grande pour convenir à un vaisseau d’assaut. Les commandos avaient donc recommandé d’utiliser des explosifs pour pratiquer une ouverture dans la superstructure, mais les ingénieurs craignaient qu’une explosion de la puissance requise ne fasse s’effondrer l’intégralité du bâtiment. Aussi, les canonnières devaient-elles transporter l’équipe jusqu’à la plus large des fenêtres soufflées situées juste en dessous du sommet, en restant en sustentation le temps que tout le monde ait bondi à l’intérieur.

Une fois à l’intérieur, Mace activa son sabre laser et ordonna aux Padawan d’en faire de même.

Armes à l’épaule, les commandos se dispersèrent en binômes et entreprirent de pénétrer plus avant dans le bâtiment, vérifiant chaque pièce et chaque alcôve avant de déclarer un niveau sûr. La lame de Mace luisait d’une couleur améthyste dans les ténèbres. Sa perception accrue par la Force pouvait sentir la présence du côté obscur. Le fait que Quinlan Vos ne l’ait pas lui-même senti ne pouvait vraiment s’expliquer que par sa soumission à ce même côté obscur.

D’après Yoda, qui l’en avait averti avant l’opération, le côté obscur pourrait embrumer son esprit et l’empêcher de percevoir certaines pièces et certains couloirs – des endroits que les Seigneur Sith ne voulaient pas que Mace découvre – mais il sentait tous ses sens en alerte. En outre, c’était précisément pour cette raison qu’ils avaient fait appel aux commandos.

Ils progressèrent toujours plus bas, sans rencontrer la moindre résistance ou trouver quoi que ce soit d’intéressant.

— Aussi tranquille qu’une tombe, Général, dit Valiant une fois sécurisés les dix étages les plus élevés.

Mace étudiait la carte 3D affichée par le projecteur intégré dans le gant du CRA.

— Informez l’équipe Bacta que nous les rejoindrons comme prévu au secteur 3.

Valiant allait lui répondre quand son comlink retentit.

— Commandant, ici le leader de l’équipe Bacta, dit une voix. Nous avons trouvé au niveau six une aire d’atterrissage montrant les signes d’une utilisation récente. Je ne saurais trop vous conseiller de venir y jeter un œil…

Le sol qui avait servi de terrain d’atterrissage était à peine assez large pour un vaisseau d’assaut, mais il brillait comme si des droïdes l’avaient quotidiennement nettoyé et ciré. Le plus long côté du rectangle était garni d’une rangée d’éclairages élancés.

— Que personne ne bouge, dit le capitaine Dyne lorsque Mace et le reste de l’équipe Aurek apparurent à l’entrée du couloir qui rejoignait l’aire d’atterrissage en son milieu.

Déployés en formation circulaire, Shaak Ti et les Padawans intégrés à l’équipe Bacta étaient regroupés au centre de la salle.

Assisté de deux autres agents du Renseignement, Dyne essayait d’interpréter les données envoyées par plusieurs droïdes sondes qui voletaient un peu partout autour d’eux, certains maculant le sol d’une substance hautement volatile. Une porte verticale parfaitement lubrifiée était ouverte sur l’extérieur, révélant un ovale de ciel assombri.

— Un voilier solaire d’Huppla Pasa Tisc se trouvait ici il y a moins de deux semaines standard, lança Dyne assez fort pour que tout le monde l’entende.

« Le positionnement sur le sol de son train d’atterrissage et de sa rampe d’embarquement le désignent comme étant le sloop interstellaire Punworcca de classe 116 qui a quitté Géonosis au moment des combats.

— Le vaisseau de Dooku, dit Mace.

— Voilà une supposition fort raisonnable, Maître Windu, répondit Dyne à voix haute. Après avoir longuement consulté les écrans de surveillance de ses équipements et s’être entretenu avec ses collègues, il ajouta : Nous avons relevé les empreintes de pas de deux personnes qui se trouvaient là en même temps que le vaisseau.

La lumière verdâtre de l’un des droïdes se reflétait sur les panneaux de sol en alliage. Après avoir orienté ses recherches sur certaines zones plus précises, Dyne étudia les données recueillies.

— Le premier a quitté le voilier solaire et a marché jusque-là. (Il indiqua une zone à proximité de la porte ouverte.) Si l’on considère la taille et la forme des empreintes, je dirais qu’on a affaire à quelqu’un d’environ un mètre quatre-vingt-quinze, et botté.

Dooku ! se dit Mace.

Le droïde concentra son éclairage sur une autre zone, et Dyne poursuivit.

— Là, le premier a rencontré le second, plus léger, peut-être plus petit, et portant…

— Dyne consulta ce que Mace imagina être une sorte de base de données.

— … quelque chose comme des chaussures à semelles souples ou des pantoufles. L’inconnu venait des turbo-ascenseurs situés à l’est du bâtiment, et a accompagné… Dooku – supposons qu’il s’agissait de lui – jusqu’à une niche en balcon au-dessus de la porte. Ils sont revenus par le même chemin puis se sont séparés : Dooku a rejoint son vaisseau, notre proie inconnue sans doute les turbo-ascenseurs.

Dyne donna pour tâche aux droïdes sondes de suivre les traces de pas du second individu, puis suggéra à Mace, Shaak Ti et les commandos de se joindre à eux.

— En file derrière moi, avertit Dyne. Que personne ne s’en écarte.

Mace et Shaak Ti lui emboîtèrent le pas, aussitôt suivis des Padawans et des commandos. Le temps que les deux Maîtres Jedi rattrapent Dyne et ses droïdes, cependant, l’analyste du Renseignement se tenait déjà devant un antique turbo-ascenseur.

— Contrôlé, annonça Dyne avec un sourire de contentement. L’individu numéro deux s’en est servi.

Se tournant face au mur, il pressa sa main gantée sur le bouton d’appel. Quand la cabine appelée apparut, il installa un scanner sur son clavier de contrôle.

— D’après la mémoire de la cabine, elle est descendue jusqu’au niveau deux. Si nous ne parvenons pas à trouver des indices là-bas, il nous faudra remonter un à un les niveaux jusqu’à dénicher quelque chose.

Le turbo-ascenseur était juste assez grand pour Dyne, ses collègues, Mace, Shaak Ti, les deux amiraux d’équipe et une paire de droïdes sondes. En communication par comlink avec les soldats restés en dehors du bâtiment, Valiant leur ordonna de se rendre jusqu’au soubassement deux, mais les avertit de rester éloignés du turbo-ascenseur est, ainsi que des couloirs et tunnels attenants.

Les droïdes sondes sortirent de la cabine en premier, pour aussitôt déployer un écran de fumée dans les deux directions. L’un d’eux n’avait pas avancé de cinq mètres qu’il s’immobilisa en l’air et commença à faire jouer ses éclairages de détection sur la surface du sol.

— Des empreintes de pas, leur expliqua Dyne avec enthousiasme. Nous n’avons pas perdu sa trace.

Faisant un pas prudent hors de la cabine, il suivit le droïde sonde jusqu’à l’entrée d’un large tunnel. Lorsque les droïdes eurent fini d’en explorer les abords, Dyne se tourna vers Mace, qui attendait avec les autres devant le turbo-ascenseur.

— Les empreintes disparaissent ici. À partir de là, notre inconnu a utilisé un véhicule – certainement à répulseur, même si les droïdes ne détectent aucune émission fantôme.

Mace et Shaak Ti rejoignirent Dyne et ses coéquipiers à l’entrée du tunnel.

Shaak Ti scruta les ténèbres.

— Où est-ce que ça conduit ?

Dyne consulta une holocarte.

— Si l’on est prêt à faire confiance à une carte plus vieille que n’importe lequel d’entre nous, ce tunnel est connecté à tous ceux qui parcourent le sous-sol des Usines – jusqu’aux immeubles adjacents, aux fonderies, à un terrain d’atterrissage provisoire… Il doit y avoir des centaines d’embranchements.

— Oubliez les embranchements, dit Mace. Jusqu’où mène celui-là ?

Dyne fit apparaître toute une série d’affichages et les étudia en silence. Finalement, il reprit la parole :

— Le tunnel principal conduit à la limite occidentale du District Sénatorial.

Mace fit quelques pas dans l’obscurité, puis fit courir ses mains sur le mur carrelé du tunnel.

Des centaines de Sénateurs sous l’influence d’un Seigneur Sith appelé Dark Sidious, avait dit Dooku à Obi-Wan sur Géonosis.

Se tournant pour faire face à Shaak Ti et aux deux amiraux, il dit :

— Nous allons avoir besoin de davantage de troupes.