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Vaisseau amiral de la flottille Séparatiste, le croiseur long de plusieurs kilomètres du Général Grievous – La Main Invisible – était positionné en orbite stationnaire au-dessus du District Sénatorial de Coruscant désormais baigné de lumière solaire, forêt d’immeubles dont la cime des plus majestueux tutoyait les nuages. Des holo-images grossies du secteur s’élevaient de la table tactique située sur le pont du croiseur. Grievous les étudia un moment avant de retourner à sa place coutumière dans la baie d’observation avant.
Traits de lumière dans la lumière du jour, les gargantuesques vaisseaux d’assaut en forme de coin qui faisaient à raison la fierté de la République s’étaient disposés de manière à assurer la couverture des centres névralgiques de la planète. Dans les premiers instants de l’attaque éclair, Grievous en avait surpris quelques-uns boucliers contractés – les malchanceux flottaient désormais telles des torches enflammées au-dessus de la face nocturne de Coruscant, leurs embarcations anti-incendie et vaisseaux de secours dans leur sillage, occupés à récupérer les capsules et chaloupes de sauvetage. Les croiseurs survivants tentaient de tenir à distance leurs équivalents Séparatistes – bien que cela n’ait guère d’importance, puisque ni le bombardement aérien ni l’invasion n’étaient fondamentaux dans les desseins de Sidious.
Du point de vue des amiraux navals de la République, Grievous devait avoir donné l’impression de manquer d’un plan d’ensemble ; le désespoir résultant de ses précédentes défaites dans les Bordures Médianes et Extérieures devait l’avoir poussé à rassembler ce qui restait de sa flotte pour les engager dans une bataille perdue d’avance. Et Grievous faisait précisément tout son possible pour alimenter leur méprise. Les vaisseaux de guerre sous son commandement semblaient dispersés au hasard, vulnérables à une contre-attaque ; ils concentraient leurs tirs sur des satellites de communication ou des miroirs orbitaux, ne tirant que des salves intermittentes et guère efficaces de plasma sur le monde dont l’assaut excessivement risqué avait de surcroît exigé d’eux un fort long voyage.
Tout ceci était crucial pour les desseins de Sidious.
La tactique de la terreur y avait sa place.
De centaines de secteurs des faces nocturne et éclairée de Coruscant, s’élevaient des colonnes de vaisseaux cargos et de ligne résolus à atteindre la sécurité de l’espace profond. Il y en avait presque autant qui cherchaient à s’enfuir qu’à se poser, ce qui ralentissait considérablement le trafic sur les voies d’autonavigation et faisait d’eux des proies faciles. Un peu à l’écart dans l’espace, les vaisseaux qui avaient regagné l’espace réel en dehors de la zone des combats s’étaient détournés de leurs vecteurs d’approche pour demeurer en arrière, à proximité des petites lunes de Coruscant, ou s’éloigner des mondes intérieurs du système à vitesse subluminique.
À mi-distance, chasseurs droïdes et chasseurs stellaires s’entredétruisaient sans relâche. Si une vague de Vautours avait réussi à percer les lignes de la République au commencement de la bataille, beaucoup d’entre eux avaient depuis été abattus par les canons des plates-formes orbitales, les appareils de patrouille à haute altitude ou la DCA de Coruscant. D’autres s’étaient écrasés sur les boucliers défensifs qui garantissaient spécifiquement la sécurité des districts politiques de Coruscant. Mais cela aussi faisait partie du plan destiné à provoquer la panique – la vue de faisceaux laser ou de vaisseaux en piqué explosant contre ces dômes transparents d’énergie pouvait s’avérer terrifiante. La fumée qui montait de certains des plus profonds canyons de la planète capitale confirma à Grievous que quelques droïdes isolés étaient parvenus à échapper tant aux boucliers qu’au tir antiaérien.
De la même façon, les manœuvres hésitantes des vaisseaux appartenant à la flotte de Coruscant lui indiquaient combien leurs amiraux s’impatientaient de rompre leur formation et d’en découdre avec lui. Mais ils avaient un monde à protéger et, plus important encore, n’étaient pas assez nombreux pour agir avec certitude. À n’en pas douter, ils attendaient des renforts en provenance de systèmes lointains. Ayant anticipé une telle manœuvre, Grievous avait réservé une petite surprise aux groupes de combat de la République les plus proches du Noyau, sous la forme de mines à impulsion de masse et de vaisseaux de guerre stationnés aux points de réversion le long des hyperlignes. S’il ne pouvait empêcher les renforts d’arriver, au moins cela les ralentirait-il.
Si tout se passait comme prévu, la Flottille Séparatiste aurait sauté dans l’hyperespace bien avant que des vaisseaux ennemis en nombre suffisant ne constituent une véritable menace.
Grievous contempla un long moment la bataille silencieuse qui se déroulait au-delà du transparacier des baies d’observation de proue. Il détestait se trouver si loin de l’action et de l’odeur du sang. Mais il devait se montrer patient, il le savait. Toute l’attente et la frustration se verraient alors justifiées.
Un Neimoidien s’adressa à lui de l’une des stations de garde.
— Général, les transmissions reviennent à la normale dans certains secteurs de la planète. L’ennemi semble avoir compris que nous utilisons la suite de brouillage déjà employée avec succès sur Praesitlyn.
— Rien d’inattendu à cela, répondit Grievous sans même détourner le regard de la vue. Donnez l’ordre aux amiraux du Groupe Un de continuer à viser les miroirs orbitaux et les satellites de communication. Déplacez la plate-forme de brouillage sur l’écliptique 0-1-0, et intensifiez les boucliers.
— Oui, Général. Le Neimoidien marqua une pause, puis ajouta : Il est de mon devoir de vous rapporter que tous les groupes subissent de lourdes pertes.
Grievous considéra la table tactique. À lui seul, le Groupe Un avait perdu deux transporteurs de la Fédération du Commerce. Les Neimoidiens étaient parvenus à larguer le cœur sphérique de l’un des vaisseaux, mais le second avait été coupé en deux par une explosion. Le Général voyait dans l’holochamp de minuscules points se déverser des bras incurvés désormais dissociés du transporteur – pour autant de chasseurs droïdes.
— Neutralisez les programmes de combat et de survie de ces chasseurs, ordonna Grievous. Donnez-leur l’instruction de se précipiter sur Coruscant. Nous allons les transformer en engins explosifs.
— Devons-nous leur assigner des cibles spécifiques ?
— La périphérie du District Sénatorial.
— Général, certains de nos chasseurs ont déjà infiltré le secteur.
— Excellent. Ordonnez-leur de viser les plates-formes d’atterrissage, les places piétonnes et les abris. Partout où ce sera possible, qu’ils s’attaquent aux forces de défense civiles de Coruscant.
— Affirmatif.
— Les renforts de la République sont-ils arrivés ?
— Un détachement comprenant quatre croiseurs légers vient de sortir de l’hyperespace et approche par la face nocturne de Coruscant.
— Donnez l’ordre à nos amiraux d’engager le combat.
Plus tôt que prévu, se dit Grievous. D’ordinaire, il aurait aussitôt envisagé des mesures d’urgence, mais il ne doutait pas que les Seigneurs Sidious et Tyranus l’auraient informé d’un quelconque changement. Si la flottille n’avait pas emprunté les routes hyperspatiales du Noyau Profond, l’attaque n’aurait jamais pu connaître un tel succès. Ces itinéraires confidentiels lui avaient été fournis par Sidious, qui s’intéressait moins aux tactiques à appliquer sur un champ de bataille qu’aux stratégies à grande échelle. Le genre de guerres que Grievous n’avait jamais pratiqué. Des guerres où la victoire résultait de défaites apparentes ; où l’ennemi n’en était pas forcément un. Des guerres qui laissaient les perdants dénués de tout, et les gagnants tout remporter.
Ni plus ni moins que la galaxie.
L’officier des communications neimoidien s’était tu, semblait-il pour réceptionner une mise à jour en provenance des stations de garde. Enfin, il reprit la parole :
— Général, un groupe de chasseurs stellaires Jedi vient de se libérer du champ gravitationnel de Coruscant.
— Combien sont-ils ?
— Vingt-deux appareils.
— Déployez contre eux autant de chasseurs droïdes que nécessaire.
— Oui, Général.
Grievous se détourna de la baie d’observation.
— La force de frappe est-elle prête ?
L’officier artilleur mit quelques instants à répondre.
— Votre canonnière est prête, et vos forces d’élite attendent dans l’aire de lancement.
— Les droïdes de combat ?
— Cinquante, Général.
Grievous hocha la tête.
— Ça devrait suffire. Il jeta un dernier coup d’œil à travers la baie d’observation, puis se tourna face à l’équipe de pont neimoidienne.
— Continuez. Considérez tout vaisseau de la République comme une cible potentielle.
— Je suis désolé, Maître, mais le système d’alarme d’urgence ne fonctionne toujours pas.
Yoda faisait les cent pas dans la salle informatique du Temple. Il s’immobilisa et pointa son bâton de Gimer en direction du Jedi assis devant la console de contrôle.
— À être désolé, tu n’as pas, le réprimanda-t-il. Des Séparatistes, tout ceci est la faute. Les transmissions, Grievous brouille depuis ce secteur de Coruscant.
Le Jedi – une humaine brune nommée Lari Oll – leva ses mains de la console et secoua la tête de confusion.
— Comment Grievous…
— Dooku, la coupa Yoda. Nos secrets, il partage avec ses confédérés.
— Si un de nos chasseurs pouvait percer le blocus Séparatiste, il y aurait peut-être un moyen de relayer le message par l’HoloNet.
Yoda hocha la tête.
— Considéré cette possibilité, Maître Tin a déjà. De rappeler des Jedi de Belderone, Tythe et d’autres mondes il va essayer.
— Pourront-ils revenir à temps ?
— Hmph. Des objectifs de Grievous, cela dépend. Bientôt se retirer d’une Coruscant à peine meurtrie, il pourrait. Attendre, nous devons, jusqu’à ce que ses plans il dévoile. Yoda marqua un temps d’arrêt pour réfléchir à ses propres paroles, puis fixa Lari Oll du regard en laissant son poids reposer sur son bâton de Gimer.
— Rétablies, les communications ont été ?
— Par intermittence, Maître Yoda.
Il se pencha sur la console de communication.
— Appelez Maître Windu.
Un moment plus tard, la voix de Windu s’éleva, grésillante, des haut-parleurs de la console.
— … Fisto et moi… bâtiment du Sénat. Shaak… Allie… jusqu’aux quartiers du Chancelier au 500 Republica. Nous… avec elles…
— Levés, les boucliers défensifs ont été. L’un avec l’autre, les districts ne peuvent communiquer. Yoda grimaça, puis hocha une nouvelle fois la tête. De joindre Maître Ti, essayez.
Lari Oll essaya plusieurs fréquences avant d’abandonner.
— Je suis déso…
Elle se ressaisit.
— Aucune réponse.
Yoda s’éloigna d’un pas traînant de la console, tournant délibérément le dos à la masse d’instruments, écrans et autres afficheurs de données en guise de contre-mesure.
Fermant les yeux pour s’isoler de son enveloppe physique, il laissa ses sens se déployer jusqu’à ce que l’œil de son esprit perçoive Mace et Kit Fisto en plein milieu du ciel troublé, Shaak Ti et Stass Allie se précipitant vers les quartiers de Palpatine au 500 Republica ; les chasseurs stellaires de Saesee Tiin, Agen Kolar, Bultar Swan et d’autres Jedi sortirent de l’enveloppe de Coruscant, l’espace autour d’eux illuminé de décharges d’énergie, d’explosions globulaires et d’innombrables vaisseaux engagés dans une bataille monumentale…
Les machines de guerre de Grievous ne distinguaient pas les cibles civiles des militaires, et mitraillaient tout ce qui passait à portée de tir. Le Général avait manifestement donné l’ordre à ses chasseurs droïdes de se précipiter sur les écrans défensifs de Coruscant ou de se jeter en plein milieu des voies aériennes pour déclencher des collisions en chaîne.
Et pourtant, toutes les diversions, perturbations et terreurs que ces stratagèmes engendraient n’avaient que peu à voir avec la véritable bataille.
Celle-ci avait lieu au sein de la Force.
Yoda étira davantage encore ses sens, jusqu’à s’immerger totalement dans la Force – pour aussitôt avoir le souffle coupé.
Le froid s’était emparé du courant.
Un froid glacial.
Et pour la première fois, Yoda percevait Sidious. Sur Coruscant !
Le capitaine Dyne fit un pas prudent hors de la plateforme qui avait descendu l’équipe dans les profondeurs inexplorées du 500 Republica. Là, à l’intersection de couloirs sinistres en permabéton recouvert de panneaux de plastacier, l’eau ne coulait nulle part, aucun insecte ne construisait de ruche et nul ver des conduits ne se nourrissait du courant électrique. Et pourtant, contre toute attente, un léger courant d’air frais parcourait les lieux.
Dyne inspira profondément pour calmer ses nerfs. Il avait reçu un entraînement au combat, mais avait passé la majeure partie des dernières années écoulées à effectuer du travail de Renseignement de routine qui avait émoussé ses réflexes jadis affûtés. Après avoir ordonné aux droïdes sondes de passer en mode statique, il désactiva son processeur portatif et l’accrocha à sa ceinture.
Il sortit son blaser Merr-Sonn de son étui, le soupesa, puis d’un pouce en désactiva la sécurité.
Devant lui, fantomatiques dans la lumière lugubre, les commandos s’approchaient de l’épaisse porte située à l’extrémité de la salle, leurs armes levées. Valiant avançait en tête, aussitôt suivi par l’expert en explosifs de l’escouade qui tenait en main un détonateur thermique.
Dyne passa entre deux droïdes sondes inactifs, TC-16 à ses basques.
À peine avaient-ils fait trois mètres dans le couloir que les oreilles de Dyne se dressèrent au son de voix étouffées.
Il sentit TC-16 s’arrêter brusquement derrière lui.
Dyne se retourna pour se retrouver face aux larges bouches de deux armes soniques d’aspect organique tenues par deux drones soldats géonosiens à peine visibles dans l’ombre avec leurs ailes rabattues le long du sol crasseux du couloir.
Les quelques instants suivants se déroulèrent comme au ralenti, dans un parfait silence.
Dyne comprit que ce n’était pas sa vie qui défilait devant ses yeux, mais bien sa mort.
Il vit les commandos tomber de tous côtés, comme soufflés par un vent puissant. Il vit Valiant et l’expert en explosifs quitter le sol pour heurter la porte tête la première. Il vit un ouragan de droïdes sondes tournoyer au-dessus de lui. Il sentit son corps décoller et percuter violemment le mur, ses entrailles devenir spongieuses.
Peut-être, dans cette éternité silencieuse, les soldats avaient-ils réagi assez vite pour expédier quelques décharges, car lorsque Dyne regarda à sa droite, le long du mur qu’il avait heurté ; il ne vit nul signe des Géonosiens, ni d’ailleurs de TC-16.
Pour ce qu’il pouvait en juger, il avait perdu connaissance une durée indéterminée. Il avait vaguement conscience d’être affalé contre le mur dans une position pas vraiment naturelle pour un être humain. Comme si chaque os de son corps était devenu flexible.
Sans un bruit, la lointaine porte s’ouvrit de l’intérieur, laissant la lumière se répandre dans le couloir. Une lumière rouge, à moins qu’elle ne fût teintée par le sang qui remplissait ses globes oculaires rompus.
Toujours au ralenti, le monde qui l’entourait allait et venait devant ses yeux. Ce qui lui restait de vue enregistra une pièce pleine d’équipements clignotants, d’écrans sur lesquels défilaient des données, une table d’holoprojection au-dessus de laquelle flottait un bâtiment de guerre de la Fédération du Commerce coupé en deux et en flammes. Deux créatures artificielles sortirent de la pièce, leur corps tubulaire gracile les identifiant immédiatement comme étant des droïdes assassins. Derrière eux marchait un humain de constitution moyenne, qui s’approcha avec nonchalance du corps grotesquement tordu de Valiant.
Le cerveau liquéfié de Dyne ne le préserva pas de quelques instants de stupéfaction. L’homme était par trop reconnaissable.
Incroyable, pensa-t-il.
Ainsi que les Jedi le suspectaient, le Sith avait réussi à infiltrer les plus hauts niveaux du gouvernement de la République.
Le fait que l’homme n’eut même pas essayé de se dissimuler confirma à Dyne qu’il allait bientôt mourir, ce qu’il ne tarda effectivement pas à faire, presque soulagé.