11

La navette dont les feux d’atterrissage avaient attiré l’attention d’Obi-Wan sur Cato Neimoidia ne transportait pas seulement des spécialistes du renseignement et des techniciens. Yoda se trouvait à bord, impatient de voir par lui-même ce qu’Obi-Wan et Anakin avaient découvert.

Les techniciens étaient parvenus à extraire l’image de Lord Sidious de l’holoprojecteur incorporé dans la mécanochaise, et les cryptographes de la République ne doutaient pas que cet appareil unique leur dévoilerait de plus grands secrets encore une fois transféré sur Coruscant et examiné de manière approfondie.

Refusant de laisser la chaise hors de sa vue, Anakin avait demandé à superviser son transfert jusqu’à la navette en attente. Désœuvrés, Obi-Wan et Yoda décidèrent d’aller faire un tour dans le palais désormais occupé de Gunray. Le vénérable Maître Jedi marchait pensivement, et seul le bruit de lointaines décharges de blasters et le tic-tic du bâton de Gimer de Yoda sur le sol poli venaient briser le silence.

Obi-Wan ne savait pas trop si Yoda réfléchissait à l’image de Sidious, ou aux deux Jedi tués durant l’assaut sur Cato Neimoidia. Chaque jour l’Ordre déplorait de nouvelles pertes. Nombre d’entre eux avaient subi le même sort que les soldats clones. Blessés, rendus aveugles, défigurés, amputés d’un bras ou d’une jambe… rafistolés tant bien que mal par les bota et les bacta. Plus d’un millier de Padawans avaient perdu leur Maître ; plus d’un millier de Maîtres, leur Padawan. Lors de leur réunion, désormais, les Jedi ne discutaient plus de la Force, mais de campagnes militaires. Les nouveaux sabres laser qu’on construisait ne servaient plus aux exercices de méditation, mais à affronter les rigueurs du combat rapproché.

Une fois arrivés au bout du couloir, Obi-Wan et Yoda tirent demi-tour. Sans quitter le sol des yeux, Yoda se mit à parler :

— Quelque chose d’important, trouvé tu as, Obi-Wan. Que le Comte Dooku soit de connivence avec quelqu’un, la preuve cela en constitue. Que dans cette guerre un rôle plus important que nous l’imaginions les Sith jouent.

Le nom de Sidious n’était apparu qu’en une seule occasion depuis le début de la guerre – sur Géonosis, quand Dooku avait dit à un Obi-Wan alors à sa merci qu’un Seigneur Sith portant ce nom tenait des centaines de Sénateurs sous sa coupe. Sur le coup, Obi-Wan avait présumé que Dooku mentait afin de le persuader qu’il demeurait fidèle aux Jedi, qu’il tentait en fait de contrecarrer le côté obscur de la Force par ses propres méthodes. Pourtant, même après que Dooku eut fini par révéler son entraînement Sith, Yoda et le reste du Conseil continuaient croire qu’il avait menti à propos de Sidious. Deux membres du Conseil étaient même persuadés que Dooku était le Seigneur Noir, qu’il était parvenu – au moyen d’un holocron Sith, peut-être – à apprendre seul les usages du côté obscur de la Force.

Maintenant qu’il apparaissait que Sidious existait bel et bien, Obi-Wan ne savait plus que penser.

Les alliés Sith de Dooku étaient pourchassés depuis que la guerre avait commencé. Dooku était connu pour avoir initié des Jedi aux arts obscurs – des Chevaliers Jedi n’ayant plus foi dans les idéaux de la République, des Padawans fascinés par la puissance du côté obscur, des novices désinformés tels qu’Asajj Ventress, qui avait eu un mentor Jedi –, mais la question restait entière : qui avait enseigné à Dooku ce qu’il savait ?

Treize ans plus tôt, lorsque Obi-Wan avait combattu et vaincu un Sith sur Naboo, avait-il tué un Maître ou un apprenti ? La question prenait ses racines dans une croyance selon laquelle les Sith avaient tiré comme leçon de leur défaite un millénaire plus tôt que jamais une armée Sith ne pourrait exister, et qu’il ne devrait toujours y avoir que deux Sith à un moment donné, de peur qu’un duo d’apprentis ne mette leurs forces en commun pour conspirer contre la vie d’un Maître.

Davantage une doctrine qu’une règle ; mais une doctrine qui avait réussi à maintenir en vie l’Ordre Sith, bien dissimulé, pendant un millier d’années.

Mais le Sith cornu et tatoué que Obi-Wan avait tué n’avait pu entraîner Dooku, car ce dernier appartenait encore à l’Ordre Jedi à ce moment-là. Le côté obscur avait beau rendre maintes choses nébuleuses, Dooku n’avait tout simplement pas pu vivre une double vie au sein même des murs du temple.

— Maître Yoda, reprit Obi-Wan, pensez-vous possible que Dooku n’ait pas menti lorsqu’il affirmait que Sidious tenait le Sénat sous son contrôle ?

Yoda secoua brièvement la tête en continuant à marcher.

— Examiné le Sénat sous toutes les coutures, nous avons. Et beaucoup risqué nous avons en le faisant – en surveillant en secret ceux que nous servons. Mais aucune preuve, nous n’avons trouvé. (Il leva les yeux vers Obi-Wan.) Si sous le contrôle de Sidious le Sénat était, vaincue la République ne serait-elle pas déjà ? La Confédération, au Noyau et à la Bordure Intérieure n’appartiendrait-elle pas déjà ?

Yoda se tut quelques instants, puis ajouta :

— Peut-être qu’à Géonosis, accidentellement Dooku s’est trahi. Sans cela, recherché Sidious et laissé la guerre de Dooku s’intensifier nous aurions. Qu’en penses-tu, Obi-Wan ? Mmmmh ?

Obi-Wan croisa les bras.

— J’ai souvent repensé à ce jour, Maître, et je crois vraiment que Dooku n’a pu s’empêcher de se trahir – quand bien même il l’aurait regretté aussitôt. Au moment où il fuyait vers son vaisseau, on aurait dit qu’il cherchait à ce qu’on le voie ; comme s’il avait voulu nous défier. J’ai cru tout d’abord qu’il essayait de garantir la fuite de Gunray et des autres leaders Séparatistes, mais mon instinct me disait qu’il essayait de nous montrer à quel point il était devenu puissant. Je pense que votre arrivée l’a vraiment pris par surprise. Mais au lieu de nous tuer, Anakin et moi, il nous a délibérément épargnés, pour adresser un message aux Jedi.

— Raison tu as, Obi-Wan. Trahi par son orgueil, il a été. Forcé à nous montrer son véritable visage.

— A-t-il pu être entraîné par ce… Sidious ?

— Aller de soi, cela semble aller. Accepté par Sidious il a été, après la mort de celui que tu as tué.

Obi-Wan considéra le problème.

— J’ai entendu des rumeurs sur la fascination précoce de Dooku pour le côté obscur. N’y a-t-il pas eu un incident au Temple à propos d’un Holocron Sith volé ?

Yoda ferma fort les yeux et hocha la tête.

— Vraie, cette rumeur est. Mais comprends bien, Obi-Wan, un Jedi Dooku était. Depuis de nombreuses années. Difficile est la décision de quitter l’Ordre. Influencé il a été par bien des choses. La mort de ton ancien maître, pour commencer – même si vengé Qui-Gon a été. (Il dévisagea Obi-Wan.) Compliqué tout ceci est. Pas seulement pour ce que nous savons, mais aussi pour ce que nous ignorons ; ce que présumer il nous faut.

Yoda s’arrêta, puis montra d’un geste un banc sculpté.

— S’asseoir un instant, nous allons. T’éclairer, je peux.

Obi-Wan s’assit, son cœur battant à tout rompre.

— Un sévère Maître Dooku était, pour Qui-Gon et d’autres encore, commença Yoda. Puissant il était ; habile, dédaigneux. Plus important encore, convaincu il était de l’imminent avènement du côté obscur. Des signes, il y avait, bien avant la venue de Qui-Gon. Flagrantes injustices, favoritisme, corruption… De plus en plus, appelés les Jedi étaient pour imposer la paix. De plus en plus de morts il y avait. Hors de contrôle les événements devenaient.

— Le Conseil a-t-il pressenti le retour des Sith ?

— Jamais absents ils ne furent, Obi-Wan. Mais plus forts soudainement ils redevinrent. Juste sous la surface. De la prophétie, Dooku parlait beaucoup.

— La prophétie de l’Élu ?

— Une prophétie plus grande encore ; que s’épanouir le côté obscur allait désormais. Qu’en leur sein est né l’Élu, pour rééquilibrer la balance de la Force.

— Anakin, murmura Obi-Wan.

Yoda le regarda un long moment. Puis :

— Difficile à dire, dit-il dans un souffle. Peut-être oui, peut-être non. Plus épais le voile du côté obscur est devenu. Beaucoup, beaucoup de discussions Dooku a eues. Avec moi, avec d’autres membres du Conseil. Surtout, avec Maître Sifo-Dyas. (Obi-Wan attendit que Yoda reprenne.) Proches ils étaient. Liés ensemble par la Force. Mais inquiet pour Maître Dooku, Sifo-Dyas était. Préoccupé par ses désillusions vis-à-vis de la République ; de son égocentrisme parmi les Jedi. Les suites de la mort de Qui-Gon, Silo-Dyas y vit. Remonté à la surface le Sith en Dooku elles avaient. (Yoda secoua la tête avec mélancolie.) Au courant du départ imminent de Dooku, Maître Sifo-Dyas était. Pressenti, peut-être a-t-il, la naissance du mouvement Séparatiste.

— Pourtant le Conseil a destitué Dooku pour idéalisme, intervint Obi-Wan.

Les yeux de Yoda ne cessaient de fixer le sol.

— De mes propres yeux ce qu’il est devenu j’ai vu, et refusé d’y croire.

— Mais comment Dooku a-t-il pu débusquer Sidious ? Ou bien est-ce le contraire qui est arrivé ?

— Comment savoir ? Mais comme mentor, Dooku a bel et bien accepté Sidious.

— Sifo-Dyas a-t-il également pu prévoir cela ?

— Impossible à dire. Peut-être cru a-t-il que Dooku, en chasse Sidious avait pris. Pour le détruire.

— Est-ce ça a pu inciter Dooku à quitter l’Ordre ?

— Peut-être. Par le pouvoir du côté obscur, même le cœur le plus loyal peut être séduit.

Obi-Wan se retourna pour faire face à Yoda.

— Maître, Sifo-Dyas a-t-il passé commande de l’armée des clones ?

Yoda inclina la tête.

— Contacté les Kaminoiens, il a.

— Sans que vous en ayez eu connaissance ?

— Non, en effet. Mais un enregistrement de leur contact initial, il existe.

Obi-Wan laissa libre cours à sa frustration.

— J’aurais dû poursuivre plus avant l’interrogatoire de Lama Su.

— Interrogés, les Kaminoiens ont été. Beaucoup d’informations, ils nous ont fournies.

— Ah bon ? s’écria de surprise Obi-Wan. Et quand cela ?

— Réticents ils étaient lors de ma première visite sur Kamino. Rien d’autre que ce qu’ils t’avaient dit, je n’ai entendu. Que Sifo-Dyas la commande avait passé ; que Tyranus le clone donneur avait fourni. Qu’à la République, les clones étaient destinés. Rencontré les Kaminoiens, ni Sifo-Dyas ni Tyranus n’avaient. Mais par la suite, après l’attaque de Kamino, davantage j’en ai appris de Taun We et de Ko Sai. À propos des paiements.

— Effectués par Sifo-Dyas ?

— Par Tyranus.

— Peut-être Tyranus était-il le nom d’emprunt de Sifo-Dyas ? N’aurait-il pas pu s’en servir pour se réserver une possibilité de démenti vis-à-vis des Jedi au cas où l’armée des clones serait découverte ?

— Cet espoir, j’avais. Mais tué Sifo-Dyas a été, avant que sur Kamino Jango Fett n’arrive.

— Assassiné ?

Yoda pinça ses fines lèvres.

— Non résolu reste ce crime, mais oui, assassiné.

— Quelqu’un savait, dit Obi-Wan pour lui-même. Dooku ? demanda-t-il à Yoda.

— Une théorie j’ai – rien de plus. Ce meurtre, Dooku a commis. Puis, des archives Jedi, Kamino il a effacé. De cette falsification, Maître Jocasta Nu a trouvé la preuve – même si bien cachée elle était.

Obi-Wan se rappela sa visite aux archives pour trouver la position de Kamino, lorsqu’il s’était entendu dire par Jocasta Nu que ce système planétaire n’existait pas. Qu’est-ce qui l’avait poussé, alors, dans cette bibliothèque, à regarder aussi intensément le buste en bronzium représentant le Comte Dooku ?

— Il n’en demeure pas moins que le financement de l’armée des clones a continué à être assuré, finit-il par dire. Sifo-Dyas et Tyranus pouvaient-ils être de mèche ?

— De notre ignorance, voici un autre exemple. Mais double jeu Jango Fett jouait à l’évidence. Par un partisan de la République, choisi il a été sur Bogg 4 pour être le modèle des clones. Mais Dooku il servait, comme tueur à gages. Avec le changelin qui a pris Amidala pour cible, d’intermédiaire il a servi.

Obi-Wan se représenta Fett dans l’arène d’exécution de Géonosis, debout derrière Dooku dans une loge réservée aux dignitaires.

— Il connaissait les deux armées. C’est peut-être lui qui a tué Sifo-Dyas.

— Peut-être.

— Êtes-vous parvenus à remonter jusqu’à la source des paiements – au-delà de Tyranus, je veux dire ?

— À partir de Bogg 4, dans un dédale de déceptions la piste nous a conduits.

— Les Kaminoiens auraient-ils évoqué une quelconque tentative pour les dissuader de fabriquer cette armée ?

— Intercédé, personne n’a. Se manifester aussi tôt, nos ennemis ne pouvaient.

— Et donc Dooku n’avait d’autre choix que de créer une armée avant que les clones n’aient reçu leur entraînement et soient prêts à en découdre.

— Se passer ainsi cela a dû.

Obi-Wan demeura silencieux quelques instants.

— Quand j’étais retenu captif sur Géonosis, Dooku m’a dit que la Fédération du Commerce avait fait alliance avec Sidious au cours du blocus de Naboo, mais qu’il les avait trahis par la suite. Dooku a prétendu que Gunray s’était alors tourné vers lui et qu’il avait essayé d’en appeler au Conseil. Il m’a affirmé que même après plusieurs mises en garde, le Conseil a refusé de le croire. Y a-t-il quelque chose de vrai dans tout ça, Maître ?

— Encore des mensonges, répondit Yoda. Toute une thèse Dooku a bâtie pour t’enrôler dans sa cause.

Rejoins-moi, Obi-Wan, lui avait dit Dooku, et ensemble nous détruirons les Sith !

— Si Gunray n’avait pas tenu à ce point à faire assassiner Padmé Amidala, songea Obi-Wan, si je n’avais pas réussi à suivre la trace du saberdard qui a tué le changelin…

— Ignorants à propos des clones, nous serions restés.

— Mais les Kaminoiens nous auraient certainement contactés, Maître.

— Au bout du compte. Mais de devenir plus forte l’armée Séparatiste aurait eu le temps. Invincible, peut-être.

Les yeux d’Obi-Wan se rétrécirent.

— Ça n’était certainement pas un coup de chance.

Yoda secoua la tête.

— Destinés à apprendre l’existence de cette armée, nous étions. À mener cette guerre.

— Juste à temps. Le Conseil n’a jamais pu voir en Dooku autre chose qu’un idéaliste. Peut-être Dooku ne croyait-il pas que les Jedi pourraient devenir de bons généraux.

— Absurde. Des guerriers, toujours nous avons été.

— Mais nos actions contribuent-elles à rétablir l’équilibre de la Force, ou bien à renforcer le côté obscur ?

Yoda grimaça.

— D’en discuter, mon impatience grandit. Sibyllin est ce conflit – son origine comme son déroulement. Mais au nom des idéaux de la République, nous combattons. De restaurer la paix, notre priorité doit rester. Alors dans les sombres profondeurs de cette question, nous creuserons. La vérité, nous découvrirons.

Yoda avait raison, se dit Obi-Wan. Si les Jedi n’avaient pas découvert l’existence de l’armée des clones, les Séparatistes de Dooku auraient un jour fait irruption avec des dizaines de millions de droïdes de combat, une flotte entière de vaisseaux de guerre, et aurait fait sécession de la République sans coup férir. Mais sans coexistence possible avec la Confédération. Au bout du compte, la République aurait fini saignée à blanc. Une guerre aurait forcément eu lieu, et les Jedi s’y seraient pareillement retrouvés impliqués.

Mais pourquoi Yoda avait-il omis de lui parler de Sifo-Dyas ?

À moins qu’il ne s’agît d’une nouvelle leçon, à l’instar de la quête qui l’avait conduit sur Kamino ? Une manière pour Yoda de lui dire de chercher quelque chose qui ne semblait pas se trouver là en analysant ses effets sur le monde qui l’entourait. La différence entre la connaissance et la sagesse, aurait pu dire Dex, l’ami d’Obi-Wan, ainsi qu’il l’avait fait lorsqu’il avait identifié l’origine du saberdard qui avait tué Zam Wessel, ce dont les droïdes analystes du Temple s’étaient montrés incapables.

Yoda était en train de le regarder quand il leva la tête.

— Trahi par tes pensées tu es, Obi-Wan. T’en parler plus tôt j’aurais dû, tu crois.

— La sagesse des siècles est vôtre, Maître.

— Peu importent les années. Très occupé à combattre, tu as été. À servir de mentor à ton impétueux Padawan. À poursuivre Dooku et ses sous-fifres… Assombries, les perspectives se sont. À leur usage personnel, Dooku et Sidious cherchent à détourner cette guerre.

— Nous mettrons la main sur Dooku avant qu’il n’y parvienne.

— Après ta victoire sur Naboo, le voile du côté obscur ne s’est pas levé. Bien au-delà de Dooku, cette guerre a grandi. Désormais traduits en justice, les deux doivent être. Comme tous ceux que Sidious du côté obscur a conduits. (Yoda regarda fixement Obi-Wan.) Une chance de mettre fin à cette guerre, Anakin et toi nous avez donnée.