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— Dépêche-toi, 3PO, dit Padmé par-dessus son épaule. À moins que tu ne veuilles du Sénat comme ultime résidence.
Le droïde protocolaire hâta le pas.
— Maîtresse, je me déplace aussi vite que mes membres me le permettent, soyez-en assurée. Oh, maudit soit ce corps de métal ! Je vais finir enseveli ici !
Les larges halls ornementés menant à la Grande Rotonde avaient été envahis par les Sénateurs, leurs assistants, les membres du personnel et des droïdes. La plupart avaient les bras chargés de documents et de disques de données, et certains charriaient des présents sans prix offerts par des lobbyistes reconnaissants. Les Gardes Sénatoriaux vêtus de bleu et des soldats casqués faisaient de leur mieux pour contrôler la situation, mais entre la plainte stridente des sirènes et les rumeurs de fuites, celle-ci commençait à sérieusement dégénérer.
— Comment est-ce que ça a pu arriver, demandait un Sullustéen au Gotal à ses côtés. Comment ?
Partout autour d’elle – parmi les Biths, les Gran, les Wookies et le Rodiens – Padmé entendait la même question.
Comment Coruscant a-t-elle pu être envahie ?
Elle-même se le demandait. Mais un autre sujet l’inquiétait davantage encore.
Où est Anakin ?
Elle essayait de l’atteindre par ses pensées, par son cœur.
J’ai besoin de toi. Reviens-moi – vite !
L’attaque de Grievous avait été parfaitement minutée. De nombreux délégués, pas nécessairement sur Coruscant de manière permanente, étaient venus écouter le discours de Palpatine sur l’état de la République, et y étaient restés pour assister aux célébrations sans fin qui lui faisaient suite. À la lumière de cette attaque surprise, les garanties de Palpatine apparaissaient plus tragiquement prématurées encore que lorsqu’ils les avaient proférées. Et même si ses remarques optimistes avaient rencontré un écho plus que favorable partout dans la Grande Rotonde, Padmé ne pouvait s’empêcher de noter que beaucoup de ses pairs s’étaient entourés de leurs gardes du corps, ou bien portaient des armures corporelles, des propulseurs individuels et d’autres dispositifs d’urgence.
Palpatine avait clairement échoué à apaiser les craintes de Coruscant.
Treize ans plus tôt, Padmé aurait pu se prétendre l’une des rares représentantes d’un monde ayant succombé à une invasion puis à une occupation. Convoitée par la Fédération du Commerce, Naboo était tombée aux mains des Neimoidiens ; les propres parents de Padmé, ainsi que leurs conseillers, avaient été arrêtés puis jetés en prison. Désormais, elle faisait juste partie des milliers de Sénateurs dont les mondes avaient connu pareille invasion suivie d’une mise à sac. Pourtant, elle refusait d’admettre que Coruscant puisse elle aussi tomber – même avec une flotte de défense réduite à la moitié de ce qu’elle avait été. Les rumeurs disaient que les bâtiments du Secteur des Ambassades avaient été rasés, que des droïdes de combat avaient pris pied sur la place Loijin, que les lignes aériennes fourmillaient de chasseurs droïdes géonosiens… Même si ces rumeurs disaient vrai, Padmé avait la conviction que Palpatine trouverait le moyen de bouter Grievous hors du Noyau – une fois encore.
Peut-être allait-il rappeler les groupes de combat participant aux Sièges de la Bordure Extérieure.
Anakin…
Elle s’en voulut aussitôt de cet élan d’égoïsme. Mais n’en avait-elle pas le droit ? Ne l’avait-elle pas gagné ?
Pour cette fois seulement ?
Jusqu’à présent, le Sénat avait été épargné. Néanmoins, la Sécurité de Coruscant trouvait plus prudent de tous les conduire jusqu’aux abris situés en dessous de l’hémisphère et de la gigantesque place qui lui faisait front. Avec la plupart des lignes d’autonavigation congestionnées, aucun d’entre eux ne pouvait sérieusement envisager la fuite de toute façon. Et il restait toujours l’espoir que Grievous épargne les cibles civiles, comme il l’avait fait en de maintes occasions.
Emportée par le mouvement de la foule, Padmé entra en collision avec un délégué Gran qui braqua ses trois yeux protubérants sur elle.
— Et dire que vous vous êtes opposée à la loi de Création Militaire, aboya-t-il. Qu’en dites-vous à présent ?
Padmé n’aurait su quoi lui répondre. Elle avait été la cible de tant de reproches similaires depuis le début de la guerre. La plupart du temps formulés sans comprendre que ses craintes concernaient la Constitution, et pas l’ultime sort des zones franches.
Entendant prononcer son nom, elle se retourna pour voir Bail Organa et Mon Mothma essayer de se rapprocher d’elle et de C3-PO. Deux femmes Jedi les accompagnaient – les Maîtres Shaak Ti et Stass Allie.
— Avez-vous vu le Chancelier ? lui demanda Bail dès qu’il le put.
Elle secoua la tête.
Il est probablement dans ses bureaux du Sénat.
— Nous en venons, lui dit Shaak Ti. Ils sont vides. Même ses gardes ont disparu.
— Ils ont dû l’escorter jusqu’aux abris, suggéra Padmé.
Bail regarda par-dessus son épaule, puis leva sa main pour attirer l’attention sur sa personne.
— Mas Amedda, expliqua-t-il à l’intention de Padmé. Lui saura où se trouve le Chancelier.
Le grand Chagrien cornu à la peau grise se fraya un chemin à travers la foule.
— Le Chancelier Suprême n’avait aucun rendez-vous de prévu avant ce soir, dit-il en réponse à la question de Bail. Je suppose qu’il est dans sa résidence.
— Au 500 Republica, murmura Shaak Ti avec une trace de frustration. J’en viens justement.
Amedda la considéra aussitôt avec inquiétude.
— Aucune trace du Chancelier ?
— Je ne m’y trouvais pas pour ça, commença la Jedi, qui poursuivit d’une voix plus faible :
— Maîtresse Allie et moi-même allons vérifier les bâtiments administratifs du Sénat et le Republica. Elle jeta un regard en direction de Padmé, de Bail et des autres.
— Où comptez-vous aller ?
— Où on nous dira d’aller, lui répondit Bail.
— Les turbo-ascenseurs menant aux abris sont bondés, intervint Stass Allie. L’évacuation du Sénat va prendre des heures. Mon skimmer est stationné sur la plate-forme d’atterrissage ouest de la place. Prenez-le et rendez-vous directement aux abris.
— Shaak Ti et vous n’en aurez pas besoin ? s’enquit Padmé.
— Nous utiliserons le motospeeder avec lequel je suis arrivée ici, lui répondit Shaak Ti.
— Nous apprécions le geste, intervint Bail. Mais j’ai entendu dire que la place avait été bouclée.
Stass Allie lui saisit le bras.
— Nous allons vous escorter.
Les soldats en poste dans le couloir leur livrèrent passage, et avant longtemps ils atteignaient la porte ouvrant sur la place, pour aussitôt être bloqués par un commando.
— Impossible de sortir par ici, leur dit-il.
— Ils sont avec nous, lui répondit Shaak Ti.
Au terme de signaux échangés avec plusieurs de ses camarades en armure blanche, le commando s’écarta et les autorisa à sortir. Au-dessus de la place décorée de statues, le ciel était noir de vaisseaux de guerre et d’appareils privés. Des NA-TT, auxquels s’ajoutaient d’autres pièces d’artillerie mobile, avaient déjà été déployés.
Les Jedi laissèrent Padmé, C-3PO, Bail et Mon Mothma aux portes du skimmer. Leur motospeeder était garée à proximité. Shaak Ti passa une jambe par-dessus le siège et démarra le moteur. Stass Allie s’installa derrière elle.
— Bonne chance, dit-elle simplement.
Les Sénateurs et le droïde regardèrent les deux Jedi s’élancer en direction des bureaux administratifs du Sénat ; puis ils montèrent à bord du skimmer ovoïde et, Bail aux commandes, s’enfoncèrent dans le large canyon situé en dessous de la place.
Même là, le trafic s’avéra extrêmement dense, mais les talents de pilote de Bail les menèrent rapidement jusqu’à l’entrée des abris, sise juste en dessous du Centre Médical du Sénat.
Soudain, deux traits de lumière écarlate en provenance des environs du Sénat vinrent frôler leur skimmer.
— Des droïdes Vautours ! s’écria Bail.
Padmé s’agrippa à C-3P0 tandis que Bail virait brutalement pour échapper aux charges de plasma. Le chasseur droïde en configuration aérienne qui leur avait tiré dessus faisait en fait partie de tout un groupe de Vautours occupés à mitrailler véhicules, plates-formes d’atterrissage et constructions du canyon. Les torpilleurs de la République leur collaient au train, pointant sur eux leurs puissants canons situés à l’extrémité de leurs ailes.
La bouche de Padmé s’ouvrit de stupéfaction. Jamais elle n’aurait imaginé être le témoin de pareille chose sur Coruscant.
Bail essayait tant bien que mal d’éviter les décharges de blaster et les tirs de plasma, mais chaque conducteur en faisait de même et bientôt, esquiver les collisions s’ajouta aux épreuves de cette course d’obstacles improvisée. Faisant descendre le skimmer toujours plus bas, Bail commençait à s’approcher de l’entrée des abris les plus proches, tandis que des tirs amis autant qu’ennemis s’approchaient d’eux inexorablement.
Un intense éclair de lumière aveugla un instant Padmé. Le skimmer s’inclina dangereusement, manquant projeter ses occupants hors de leurs sièges. De la fumée s’échappa de la nacelle tribord, et le petit appareil commença à piquer du nez.
— Accrochez-vous ! hurla Bail.
— Nous sommes perdus ! s’écria C-3PO.
Padmé comprit que Bail cherchait à atteindre une plateforme d’atterrissage contiguë à un large pont aérien. Les larmes aux yeux, prise d’une soudaine nausée, elle posa sa main droite sur son abdomen.
Anakin ! se dit-elle. Anakin !