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Ces derniers temps, un rendez-vous avec le Chancelier Suprême Palpatine n’était pas quelque chose à prendre à la légère – même pour un membre du soi-disant Comité Loyaliste.
Un rendez-vous ?
Ça ressemblait bien davantage à une audience.
Bail Organa, qui venait d’arriver sur Coruscant, portait toujours l’épaisse cape bleue, la chemise au faux col froissé et les hautes bottes noires que sa femme lui avait préparées en prévision du voyage. Il ne s’était absenté de la capitale galactique qu’un seul mois standard, et avait du mal à croire aux changements inquiétants qui avaient eu lieu durant ce court laps de temps.
Par contraste, Alderaan ressemblait encore davantage à un paradis, un sanctuaire. La simple évocation de son magnifique monde natal bleu et blanc suffisait à lui faire regretter d’avoir dû une fois encore le quitter, en même temps que sa femme bien-aimée.
— Je vais avoir besoin d’une identification supplémentaire, lui dit le clone en charge de la sécurité de la plateforme d’atterrissage.
Bail lui montra la pastille d’identité qu’il venait d’insérer dans le scanner.
— Tout est là, Sergent. Je suis un membre éminent du Sénat de la République.
Le soldat casqué jeta un coup d’œil à l’écran de visualisation, puis revint sur Bail.
— C’est bien ce qui est marqué. Mais je vais quand même avoir besoin d’une indentification supplémentaire.
Bail soupira d’exaspération avant d’aller pêcher sa puce de crédit dans la poche de poitrine de sa tunique en brocart.
La nouvelle Coruscant, se dit-il.
Des soldats anonymes équipés de blasters sur les plates-formes d’atterrissage des navettes, sur les places, déployés devant les banques, les hôtels, les théâtres, partout où des gens se réunissaient. Scrutant la foule, arrêtant quiconque correspondait un tant soit peu au profil d’un terroriste, menant des recherches sur des individus, des biens, des lieux d’habitation. Pas sur un coup de tête ; non, les soldats clonés n’agissaient jamais ainsi. Ils se contentaient de faire ce pour quoi on les avait entraînés – après tout, les tâches qu’ils accomplissaient l’étaient pour le bien de la République.
On entendait des rumeurs de manifestations anti-guerre réprimées par la force ; de disparitions, de saisies de propriétés privées. Les rares preuves d’abus qui remontaient à la surface étaient aussitôt discréditées.
L’omniprésence des soldats semblait davantage gêner Bail que ses quelques amis sur Coruscant ou ses pairs du Sénat. Il avait tenté d’attribuer sa propre agitation au fait qu’il venait de la pacifique Alderaan, mais cela n’en expliquait au mieux qu’une partie. Ce qui l’inquiétait le plus, c’était la facilité avec laquelle la majorité des habitants de Coruscant s’étaient accoutumés à ces changements. Ce désir presque impatient de renoncer à leurs libertés personnelles au nom de la sécurité – une sécurité illusoire, de surcroît. Car si Coruscant semblait bien loin de la guerre, elle en était aussi le centre.
Désormais, au bout de trois ans d’un conflit qui aurait pu prendre fin aussi brusquement qu’il avait commencé, chaque nouvelle mesure de sécurité était acceptée sans sourciller. À part, bien entendu, par les races les plus directement associées au programme Séparatiste – les Géonosiens, les Muuns, les Neimoidiens, les Gossams et bien d’autres encore. Toutes avaient été frappées d’ostracisme, et la plupart avait dû fuir la capitale. Ayant vécu si longtemps dans la peur et l’ignorance, rares étaient ceux qui parvenaient à prendre le recul nécessaire pour s’interroger sur les événements en cours. Et moins encore le Sénat, tellement occupé à apporter des modifications à la Constitution qu’il avait totalement abandonné son rôle d’interlocuteur critique du gouvernement.
La corruption généralisée qui régnait avant guerre avait fini par étouffer le processus législatif. Les projets de loi dépérissaient les uns après les autres, ou bien restaient bloqués des années avant d’être adressés, chaque vote faisait l’objet de vives contestations et de recomptes interminables… Mais l’un des effets de la guerre avait été de remplacer la corruption et l’inertie par la négligence ou le manquement au devoir. Discourir ou débattre de manière sensée était devenu assez rare pour presque paraître archaïque. Dans un climat politique où les représentants finissaient par craindre de parler librement, il devenait plus facile – sinon plus sûr – de céder le pouvoir à ceux qui semblaient avoir encore quelque compréhension de la vérité.
— Vous pouvez passer, finit par dire le soldat, apparemment convaincu que Bail était bel et bien celui que ses pièces d’identité indiquaient.
Bail rit sous cape.
Pour aller où ? se demanda-t-il.
À cette hauteur, on ne pouvait jouer les piétons sur Coruscant. Une telle activité était réservée aux mangeurs de permabitume qui résidaient dans les niveaux intérieurs, éclairés par réflexion, de Coruscant. Bail héla un taxi aérien et demanda au droïde conducteur de le conduire jusqu’au Sénat.
En dehors des lignes aériennes normales, au-dessus de la myriade de canyons qui lardaient le paysage urbain, loin des patrouilles de sécurité ou des yeux fureteurs des espions de la République, Coruscant ressemblait peu ou prou à la planète que Bail avait toujours connue. Le trafic était aussi dense qu’à l’ordinaire, avec des vaisseaux arrivant sans cesse de tous les points de la galaxie. De nouveaux restaurants avaient ouvert ; la création artistique ne s’était jamais aussi bien portée. Paradoxalement, l’air semblait chargé d’une certaine jovialité ; on avait en fin de compte davantage d’occasions d’assouvir ses vices. En dépit de l’interruption du commerce avec la Bordure Extérieure, nombre d’habitants de Coruscant vivaient plutôt confortablement, et beaucoup de Sénateurs continuaient à profiter des privilèges illimités dont ils avaient joui avant la guerre.
De la position qu’ils occupaient, il fallait y regarder de près pour remarquer les changements.
Depuis l’ovale d’un taxi aérien à double commande, par exemple.
L’écran d’affichage situé en face du siège passager diffusait un message officiel qui chantait les louanges de la COMPRE – pour Commission pour la Protection de la République.
LES NON-HUMAINS N’ONT PAS BESOIN D’Y AVOIR RECOURS.
Et là-bas, illuminant la façade abrupte d’un imposant immeuble de bureaux, les dernières nouvelles de l’HoloNet racontaient par le détail le triomphe de la République sur Cato Neimoidia. Ces derniers temps, la République remportait victoire après victoire – louée soit la Grande Armée de la République, gloire aux clones.
Il était rarement fait mention des Jedi, à part quand Palpatine recommandait l’un d’entre eux à la Grande Rotonde du Sénat. Le jeune Anakin Skywalker, par exemple. Sinon, on ne voyait plus beaucoup de Jedi adultes sur Coruscant. Dispersés à travers la galaxie, ils menaient des compagnies de clones au combat. Sur l’HoloNet, on adorait utiliser l’expression maintien agressif de la paix pour qualifier leurs actions. Dans la mesure où se nouer d’amitié avec eux signifiait quelque chose ; Bail avait fini par en connaître certains : le Maître Jedi Obi-Wan Kenobi, Yoda, Mace Windu, Saesee Tiin – les rares privilégiés également autorisés à rencontrer personnellement Palpatine.
Bail remua dans son siège.
Même les Sénateurs ou les médias les plus critiques à l’égard de Palpatine ne pouvaient le tenir pour entièrement responsable de ce que Coruscant était devenue. Bien que loin d’être aussi innocent qu’il le prétendait parfois, Palpatine n’en méritait pas tant. Selon Bail Antilles, le prédécesseur de Bail au Sénat, il avait dû son élection à son réel talent pour combiner sincérité et exigence.
Il y a treize ans, la seule préoccupation du Sénat était de se débarrasser de Finis Valorum, lui avait dit un jour Antilles. Valorum, qui s’était cru capable de faire du Sénat un lieu où régnerait l’honnêteté. Même alors, Palpatine avait déjà sa part d’amis influents.
Quand bien même, Bail ne pouvait s’empêcher de se demander qui aurait succédé à Palpatine comme Chancelier Suprême si les crises Séparatistes sur Raxus Prime et Antar 4 avaient connu une autre issue, alors même que le mandat de Palpatine arrivait à son terme. Il se rappelait les discussions passionnées au moment de l’adoption de la loi d’état d’urgence ; qu’il était dangereux de « changer de monture en plein milieu d’un désert de sable ». De nombreux Sénateurs estimaient alors que la République devrait attendre son heure et simplement laisser le Comte Dooku s’exclure lui-même du jeu.
Mais ils changèrent d’avis quand l’étendue de la menace Séparatiste devint évidente.
Quand six mille mondes, attirés par la promesse d’un commerce libéré de toute restriction, eurent fait sécession de la République. Quand des corporations lourdement armées comme la Guilde du commerce ou le Techno-Syndicat s’associèrent avec Dooku. Quand l’intégralité de la route commerciale de Rimma en direction de la Bordure devint inaccessible aux vaisseaux de la République.
En conséquence, le Sénat avait voté à une majorité écrasante un amendement à la Constitution qui prolongeait indéfiniment le mandat de Palpatine, étant entendu qu’il se retirerait de son propre chef une fois la crise résolue. Aussitôt, cependant, la perspective d’une résolution rapide du conflit s’était envolée. Auparavant affable et modeste, Palpatine était soudain devenu le héraut de la démocratie ; il s’était juré de rendre au terme de son mandat une République à nouveau unifiée.
Avaient alors commencé à circuler des rumeurs à propos d’une possible loi de création militaire. Mais Palpatine lui-même avait refusé de se déclarer favorable à la création d’une armée de la République. Il avait laissé d’autres que lui s’en charger – que l’on surnomma les Panthères des Sables du Sénat. En fin de compte il avait tenté d’organiser une conférence de paix, mais le Comte Dooku avait refusé d’y assister.
Et la guerre avait éclaté.
Bail se souvenait parfaitement du jour où il s’était tenu avec Palpatine, Mas Amedda, les Sénateurs Malastariens et d’autres encore à un balcon des bâtiments administratifs du Sénat, pour contempler la marche de dizaines de milliers de clones en direction des gigantesques vaisseaux qui allaient porter la guerre jusqu’au Séparatistes. Il se rappelait aussi le sentiment d’abattement absolu qui l’avait envahi. Après un millier d’années de paix, la guerre et le mal venaient de réapparaître.
Plus exactement, on les avait laissés réapparaître.
Inconsidérément, Bail avait mis ses propres sentiments de côté et joué le jeu, avalisant des projets de loi qu’il aurait précédemment dénoncés, soutenant « l’efficace rationalisation d’une bureaucratie tentaculaire » orchestrée par Palpatine. Ses peurs n’avaient commencé à refaire surface et à s’intensifier qu’à l’occasion de l’adoption de l’amendement d’Urgence 121 qui limogeait Hiram Drayson et le remplaçait par Kohl Seerdon, quatorze mois plus tôt. La soudaine disparition du Sénateur Seti Ashgad après qu’il eut protesté contre l’installation de caméras de surveillance dans le bâtiment du Sénat ; l’explosion suspecte du cargo stellaire à bord duquel voyageait Finis Valorum ; l’adoption d’un projet de loi sécuritaire qui assurait à Palpatine des pouvoirs de plus en plus étendus sur Coruscant…
Et que dire du comportement du Chancelier Suprême lui-même – restant la plupart du temps isolé avec sa compagnie de conseillers et sa garde personnelle constituée en dehors de toute légalité ; résolu à continuer le combat jusqu’à la victoire finale… Disparu, l’humble Palpatine qui se dénigrait lui-même. Et avec lui, l’accommodant Bail Organa. Bail, qui s’était alors juré d’exprimer librement ses inquiétudes, avait commencé à cultiver des amitiés avec les Sénateurs qui les partageaient.
Certains d’entre eux l’attendaient quand le taxi aérien atterrit sur la large place qui donnait sur le gigantesque champignon du Sénat. Padmé Amidala, de Naboo ; Mon Mothma, de Chadrila ; les Sénateurs humains Terr Taneel, Bana Breemu et Fang Zar ; et le Sénateur extraterrestre Chi Eekway.
Svelte, cheveux coupés court, Mon Mothma se précipita à la rencontre de Bail et l’étreignit.
— Un moment important, lui murmura-t-elle à l’oreille gauche. Une audience avec Palpatine.
Bail rit dans sa barbe. Tous deux pensaient la même chose.
Padmé le serra également dans ses bras, avec néanmoins une certaine raideur. Elle était resplendissante. Le visage un peu plus rond que dans son souvenir, mais l’image parfaite de la beauté classique avec ses robes élégantes et sa coiffure recherchée. Un droïde protocolaire doré se tenait derrière elle. Elle venait de passer une semaine merveilleuse sur Naboo, en visite dans sa famille, dit-elle à Bail.
— Un monde extraordinaire, lui répondit ce dernier. Je ne comprendrai jamais comment il a pu donner le jour à quelqu’un d’aussi opiniâtre que notre Chancelier Suprême.
Padmé le réprimanda d’un froncement de sourcils.
— Il n’a rien d’opiniâtre, Bail. Vous ne le connaissez pas aussi bien que moi, voilà tout. Je suis sûre qu’il prendra à cœur nos inquiétudes.
— Pour ce que ça changera, intervint Chi Eekway, au bleu visage plissé de mécontentement.
— Ne sous-estimez pas l’acuité de Palpatine, lui dit Padmé. En outre, il apprécie qu’on lui parle franchement.
— Qu’avons-nous fait jusque-là sinon nous montrer francs, Sénatrice ? ajouta Fang Zar en caressant sa longue barbe. Avec un succès bien maigre.
Padmé lança un regard à chacun de ses interlocuteurs.
— Confronté à nous tous, il va sûrement…
— Même avec un dixième du Sénat derrière nous, nous serions toujours minoritaires, dit Bana, drapée de la tête aux pieds dans une soie chatoyante. Mais ça ne nous empêchera pas de nous en tenir à notre intention première.
Eekway hocha gravement la tête.
— On peut toujours espérer, ajouta Fand Sang, sans pour autant compter dessus.
La conversation prit un cours plus personnel tandis qu’ils pénétraient dans la vaste construction. L’animation régnait dans leur groupe quand ils finirent par atteindre les bureaux du Chancelier Suprême, situés juste en dessous de la Grande Rotonde ; là, le secrétaire humain de Palpatine chargé de ses rendez-vous leur demanda de patienter dans la salle d’attente.
Au bout d’une heure, alors que leur enthousiasme commençait à tomber, la porte du bureau de Palpatine s’ouvrit, laissant apparaître Sate Pestage, l’un des principaux conseillers du Chancelier Suprême.
— Sénateurs, quelle surprise ! commença-t-il.
Bail se releva aussitôt et prit la parole au nom de tous :
— Étrange. Nous avons reçu confirmation de ce rendez-vous il y a plus de trois semaines.
Pestage jeta un coup d’œil en direction du secrétaire.
— Vraiment ? Je n’en ai pas été informé.
— Vous avez certainement dû l’être, lui dit Padmé, puisque c’est par l’intermédiaire de votre bureau que nous avons obtenu ce rendez-vous.
— Plusieurs d’entre nous ont pris de gros risques pour effectuer le voyage jusqu’ici, ajouta Eekway.
Pestage écarta ses mains d’une manière condescendante.
— Notre époque requiert certains sacrifices, Sénateur. À moins que vous estimiez prendre davantage de risques que le Chancelier Suprême.
Bail éleva la voix.
— Personne ici ne met en doute le dévouement… inlassable du Chancelier Suprême. Il n’en demeure pas moins qu’il a accepté de nous recevoir, et nous ne comptons pas partir d’ici avant qu’il ait honoré sa promesse.
— Nous ne sollicitons pas beaucoup de son temps, ajouta Terr Taneel sur un ton plus apaisant.
— Sans doute pas, mais il vous faut comprendre à quel point il est occupé. Chaque jour apporte son lot de nouveaux développements. Pestage dévisagea Bail.
— Je me suis laissé dire que vos liens avec le Conseil Jedi s’étaient resserrés. Pourquoi ne pas leur rendre visite le temps que je parvienne à vous trouver un nouveau rendez-vous ?
La colère envahit le visage barbu de Bail.
— Nous ne partirons pas avant de l’avoir vu, Sate.
Pestage se força à sourire.
— Telle est votre prérogative, Sénateur.