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L’obscurité gagnait peu à peu l’hémisphère occidental de Cato Neimoidia, malgré les faisceaux laser qui déchiraient la nuit tombante du monde assiégé. Sous le ciel fissuré, dans le verger d’arbres manax qui longeait les remparts inférieurs de la majestueuse redoute du vice-roi Gunray, des compagnies de clones et des droïdes de combat se massacraient les uns les autres avec une sanglante précision.

Un flash d’énergie bleue éclaira les troncs d’un bouquet d’arbres : le sabre laser d’Obi-Wan Kenobi.

Assailli par deux droïdes sentinelles, Obi-Wan tenait sa position, faisant tournoyer sa lame de tous côtés pour renvoyer les décharges de blaster sur ses ennemis. Coupés en deux par leurs propres salves, les deux droïdes tombèrent en pièces, dispersant çà et là leurs membres d’acier.

Obi-Wan reprit sa marche.

Il effectua une culbute sous le thorax segmenté d’un scarabée moissonneur neimoidien, puis se leva d’un bond et se mit à courir. Les flashes de lumière qui jaillissaient des boucliers déflecteurs de la citadelle tachetaient le sol fertile autour des arbres, projetant les longues ombres de leurs troncs en contrefort. Inconscients du chaos qui les entourait, les moissonneurs longs de cinq mètres continuaient d’avancer en colonnes, imperturbables, en direction du monticule qui supportait la forteresse. Elles transportaient entre leurs dents acérées ou sur leur large dos incurvé leur cargaison de feuillage élagué. Les bruits assourdissants de leur incessant rangement conféraient une cadence sinistre aux détonations grondantes ainsi qu’au sifflement strident des blasters.

À la gauche d’Obi-Wan s’éleva un bref clic de servomoteurs. À sa droite, un cri d’avertissement étouffé.

— Maître, baissez-v… !

Il s’accroupit avant même que les lèvres d’Anakin n’aient pu former la dernière syllabe, son sabre laser dirigé vers le sol pour éviter d’empaler son ancien Padawan qui arrivait à toute allure. Un halo d’énergie bleuâtre grésilla à travers l’air humide, aussitôt accompagné par une forte odeur de circuit grillé caractéristique de l’ozone. Une décharge de blaster atteignit le sol meuble, puis la tête allongée d’un droïde de combat tomba au sol à moins d’un mètre des pieds d’Obi-Wan en projetant des étincelles. Au bout de quelques rebonds elle roula hors de vue, répétant sans cesse :

« Bien reçu… bien reçu… »

Dans un sursaut d’énergie, Obi-Wan pivota sur son pied droit juste à temps pour voir s’effondrer le corps grêle du droïde. Qu’Anakin lui sauve la vie n’avait rien de nouveau, mais sa lame était passée un peu trop près de lui à son goût. Les yeux écarquillés de surprise, il se remit sur pied.

— Tu as failli me décapiter.

Anakin écarta sa lame. Dans la lumière stroboscopique de la bataille, ses yeux bleus brillaient avec ironie.

— Pardon, Maître, mais votre tête se trouvait là où mon sabre laser devait passer.

Maître.

Anakin faisait usage de ce titre honorifique non comme un élève l’aurait fait pour s’adresser à son professeur, mais comme un Chevalier Jedi face à un membre du Conseil Jedi. Le galon qui définissait son précédent statut avait été rituellement coupé après son coup d’éclat sur Praesitlyn. Sa tunique, ses bottes hautes et son pantalon serré avaient la couleur de la nuit. Son visage arborait une cicatrice héritée du combat l’ayant opposé à Asajj Ventress après que celle-ci eut reçu l’enseignement de Dooku. Il avait dissimulé sa main droite mécanique dans un gant qui lui recouvrait tout l’avant-bras. Ses cheveux, qu’il avait laissés pousser ces derniers mois, tombaient presque jusqu’aux épaules. Contrairement à Obi-Wan, dont la mâchoire puissante s’ornait d’une courte barbe, il se rasait de près.

— Je dois sans doute m’estimer heureux que ton sabre laser ait eu besoin de passer là plutôt que d’en avoir envie.

Le rictus d’Anakin se transforma en un large sourire.

— La dernière fois que j’ai vérifié, nous étions du même côté, Maître.

— Il n’empêche que si j’avais réagi plus lentement…

Anakin donna un coup de pied dans le blaster du droïde.

— La peur n’est qu’une vue de l’esprit.

Obi-Wan assortit sa réponse d’un grognement :

— Sans ma tête, il ne me resterait plus beaucoup d’esprit à l’heure qu’il est, non ?

Au terme d’une botte splendide, il hocha la tête en direction de l’allée d’arbres manax.

— Après vous.

Ils repartirent à la charge, se déplaçant avec la grâce et la vitesse que seule la Force pouvait conférer. Les victimes du bombardement initial gisaient sur le sol, mêlées aux nombreux droïdes tombés durant le combat. D’autres pendaient, telles des marionnettes cassées, des branches dans lesquelles elles avaient été projetées.

Des hectares entiers du couvert forestier luxuriant étaient la proie des flammes.

Deux droïdes légèrement brûlés aux bras et au torse levèrent leurs armes à l’approche des Jedi ; Anakin se contenta de lever la main gauche pour les repousser grâce à la Force.

Les deux Jedi poursuivirent leur route en zigzaguant, effectuant d’abord une culbute sous les larges corps de deux scarabées moissonneurs, puis progressant parmi un enchevêtrement de broussailles acérées qui étaient parvenues à s’enraciner dans ce verger pourtant méticuleusement entretenu. Ils sortirent des arbres pour se retrouver au bord d’un large canal d’irrigation, alimenté par un lac qui délimitait la citadelle neimoidienne sur trois côtés. À l’ouest, trois croiseurs d’assaut de classe Venator déchiraient les nuages dans un ciel chaotique. Les faisceaux ioniques, les turbolasers et mille autres rayons mortels hachaient l’horizon depuis les postes de défense éparpillés en dehors du champ énergétique de la citadelle. Érigée sur un terre-plein au bout de la péninsule, la place forte en étages rappelait les tours de commande des vaisseaux amiraux de la Fédération du Commerce – elle leur avait effectivement servi de source d’inspiration.

Quelque part à l’intérieur, prise au piège par les forces de la République, se terrait l’élite de la Fédération du Commerce.

Avec son propre monde sous la menace des forces de la République, sans oublier Deko et Koru Neimoidia, tous deux dévastés, le vice-roi Gunray aurait dû avoir la sagesse de battre directement en retraire jusqu’à la Bordure Extérieure, à l’instar de ce que devaient être en train de faire les autres membres du Conseil Séparatiste. Mais prendre des décisions rationnelles n’avait jamais été le fort des Neimoidiens, surtout quand restaient sur Cato Neimoidia des biens dont le vice-roi, semblait-il, ne pouvait se passer. Sous la protection d’un groupe de combat de la Fédération, il avait sauté jusqu’à la planète dans l’intention de vider la citadelle avant qu’elle ne tombe. Mais les forces de la République l’attendaient là, bien décidées à le capturer vivant pour le livrer à la justice – treize ans trop tard, aux dires de beaucoup.

Cato Neimoidia se trouvait plus près de Coruscant qu’Obi-Wan et Anakin ne l’avaient été eux-mêmes ces quatre mois standard. Le Noyau et les Colonies ayant désormais été débarrassés des ultimes bastions séparatistes, les deux Jedi espéraient rejoindre la Bordure Extérieure avant la fin de la semaine.

Obi-Wan entendit quelque chose bouger de l’autre côté du canal.

Un instant plus tard, il vit quatre soldats sortis des arbres sans un bruit se mettre en position de tir parmi les rochers à moitié immergés qui longeaient le fossé. Loin derrière eux brûlait un vaisseau de combat à terre. Dépassant de la cime des arbres, la queue épointée de la canonnière d’assaut arborait le symbole à huit rayures de la République Galactique en guerre.

Planant sans bruit depuis l’aval, une canonnière manœuvra jusqu’à l’endroit où attendaient les deux Jedi. Debout à sa proue, le commandant Cody adressa un signe de la main aux soldats à terre ainsi qu’à ceux de la canonnière, qui se déployèrent aussitôt pour établir un périmètre de sécurité.

Les clones pouvaient communiquer entre eux grâce aux comlinks intégrés à leurs casques, mais les commandos de reconnaissance avaient élaboré un système gestuel destiné à contrecarrer les tentatives ennemies pour écouter leurs conversations.

Quelques bonds agiles conduisirent Cody devant Obi-Wan et Anakin.

— J’ai reçu les dernières informations du commandement aérien, mon Général, dit-il à l’adresse d’Obi-Wan.

— Montrez-les-nous, lui répondit Anakin.

Cody s’agenouilla puis, de sa main droite, activa un instrument intégré à l’articulation de son gant. Un cône de lumière bleue s’en éleva, dans lequel apparut l’hologramme du commandant du corps expéditionnaire, Dodonna.

— Généraux Kenobi et Skywalker, l’unité de reconnaissance régionale nous signale que le vice-roi Gunray et sa suite sont en train de se diriger vers la partie nord de la redoute. Nos troupes s’attaquent au bouclier par le haut et de divers points situés le long de la rive, mais le site du générateur est renforcé et difficile à atteindre. Nos vaisseaux de combat essuient un feu nourri des turbolasers placés sur les remparts inférieurs. Si votre équipe a toujours pour mission de prendre Gunray vivant, il va vous falloir contourner ces défenses et trouver un autre moyen de pénétrer dans le palais. Dans l’immédiat, nous ne pouvons pas vous envoyer de renforts ; je répète, aucun renfort.

Une fois l’hologramme disparu, Obi-Wan dévisagea Cody :

— Des suggestions, commandant ?

Cody effectua des réglages sur son projecteur, duquel apparut un schéma en 3D de la redoute.

— Dans l’hypothèse où la forteresse de Gunray est similaire à celles que nous avons trouvées sur Deko et Koru, les niveaux souterrains contiendront des champignonnières et des entrepôts. Il y aura un accès entre ces entrepôts et les couveuses à larves situés à mi-niveau, à partir desquels nous pourrons nous infiltrer dans les étages supérieurs.

Cody portait le blaster compact DC-15, l’armure blanche et le casque à système de visée intégré qui avaient fini par symboliser la Grande Armée de la République – élevée, éduquée et entraînée sur le lointain monde de Kamino trois ans plus tôt. En cet instant, cependant, on ne voyait du blanc qu’en de rares endroits épargnés par la boue ou le sang séché. Le grade de Cody était indiqué par les marques orange sur le cimier de son casque et sur ses protections d’épaules. Le haut de son bras droit arborait des rayures représentant les campagnes auxquelles il avait participé : Aagonar, Praesitlyn, Paracelus Minor, Antar 4, Tribin, Skor II, ainsi que des dizaines d’autres mondes entre le Noyau et la Bordure Extérieure.

Au fil des ans, Obi-Wan avait établi un compagnonnage d’armes avec plusieurs Commandos de Reconnaissance Avancée – Alpha, avec qui il s’était retrouvé emprisonné sur Rattatak, et Jangotat, sur Ord Cestus. La première génération de CRA avait reçu l’enseignement du Mandalorien qui avait servi de modèle aux clones, Jango Fett. Alors que les Kaminoiens étaient déjà parvenus à donner à l’armée régulière une bonne part des qualités de Fett, ils s’étaient montrés encore plus sélectifs dans le cas des CRA. En conséquence, ceux-ci faisaient preuve d’esprit d’initiative et de réelles capacités de commandement. En résumé, ils ressemblaient davantage au chasseur de prime décédé, ce qui les rendait au bout du compte plus humains. Alors que, génétiquement parlant, Cody n’était pas un CRA, il en avait l’entraînement et de nombreux attributs.

Dans les premières phases de la guerre, on ne traitait pas les clones différemment des véhicules de combat qu’ils pilotaient ou des armes avec lesquelles ils faisaient feu. Nombreux étaient ceux qui ne les différenciaient guère des droïdes de combat déversés par dizaines de milliers des forges de l’Armurerie Baktoid sur les mondes tenus par les Séparatistes. Mais cette position évolua à mesure que le nombre de décès parmi les clones augmentait. Le dévouement sans faille des clones à l’égard de la République et de l’Ordre Jedi leur valut bientôt d’être considérés comme de vrais compagnons d’armes, méritant le respect de tous et la compassion qu’on leur offrait désormais. Les Jedi eux-mêmes, soutenus par certains politiques progressistes, avaient œuvré pour que la seconde et la troisième génération de clones obtiennent un nom plutôt qu’un numéro, afin d’encourager une camaraderie de toute façon grandissante.

— Nous pouvons sans doute atteindre les niveaux supérieurs, finit par répondre Obi-Wan, mais comment proposez-vous d’accéder aux champignonnières en premier lieu ?

Cody se redressa et de toute sa hauteur, pointa son doigt en direction des vergers :

— Avec les moissonneurs.

Obi-Wan jeta un coup d’œil hésitant à Anakin, puis lui fit un signe de côté.

— Juste nous deux. Qu’en penses-tu ?

— J’en pense que vous êtes trop stressé, Maître.

Obi-Wan croisa ses bras contre sa poitrine.

— Et qui s’inquiétera pour toi si je ne le fais pas ?

Anakin pencha la tête et sourit :

— Vous n’êtes pas le seul.

— Tu parles sans doute de C-3PO. Et il a fallu que tu le construises.

— Pensez ce que vous voudrez.

Obi-Wan plissa les yeux d’un air entendu :

— Oh, je vois. Mais je t’aurais cru plus attiré par la Sénatrice Amidala que par le Chancelier Suprême Palpatine. Avant qu’Anakin ne puisse lui répondre, il ajouta : Même si elle fait de la politique, elle aussi.

— Croyez-vous que je n’ai pas essayé d’attirer son attention, Maître ?

Obi-Wan considéra Anakin quelques instants.

— Qui plus est, si le Chancelier Palpatine s’inquiétait vraiment de ton bien-être, il t’aurait gardé plus près de Coruscant.

Anakin posa sa main artificielle sur l’épaule gauche d’Obi-Wan.

— Peut-être, Maître. Mais dans ce cas, qui s’occuperait de vous ?