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Pauvre Gunray, se dit Dooku. Pauvre créature pathétique…

Mais pour avoir oublié la mécanochaise sur Cato Neimoidia, le vice-roi avait mérité la punition que Grievous lui avait infligée.

Dooku, qui venait de parler à Grievous depuis son château isolé sur Kaon, considérait désormais toutes les options à sa disposition pour retourner la situation à son avantage. Même si l’incident de Belderone ne prouvait pas de manière irréfutable que la République était parvenue à déchiffrer le code Séparatiste et à intercepter la transmission que Grievous avait adressée à Gunray, il lui semblait prudent de considérer que tel était le cas. Dooku avait déjà enjoint le Général à se retenir d’utiliser le code jusqu’à nouvel ordre. Mais ce transceveur hyperspatial perdu posait d’autres problèmes. La simple présence de la République à Belderone, outre qu’elle révélait l’espionnage, signifiait que la mécanochaise avait révélé davantage que ce seul renseignement ; qu’elle les avait mis sur la piste de secrets qui stupéfieraient jusqu’à Grievous lui-même.

Le Général n’avait guère l’habitude de perdre une bataille. Même lorsqu’il combattait au nom de sa propre espèce, il n’avait essuyé que fort peu de défaites. C’était d’ailleurs ce qui avait initialement attiré l’attention de Sidious sur lui. Après que le Seigneur Sith en eut parlé à Dooku, celui-ci lui avait servi de relai auprès de San Hill, le président du Clan Bancaire Intergalactique.

Pauvre Grievous, pensa Dooku. Pauvre créature pathétique…

Durant la guerre contre les Huks, et par la suite, après qu’il fut entré au service du CBI, Grievous avait survécu à de nombreuses tentatives d’assassinat, aussi l’idée d’une nouvelle tentative avait-elle été écartée presque immédiatement. Hill lui-même avait fini par suggérer celle d’un accident de navette, bien que cette solution présentât elle aussi certains risques.

Et si Grievous avait péri lors du crash ?

Alors les Séparatistes devraient simplement chercher un autre commandant pour leur flotte, avait dit Dooku à Hill. Mais Grievous s’en était sorti – presque trop bien. En fait, la plupart des blessures fatales qu’il avait reçues avaient eu lieu après qu’on l’eut tiré de l’épave en flammes de la navette, et de façon tout à fait préméditée.

Quand en fin de compte il avait fini par accepter d’être reconstruit, on lui avait promis de ne pas toucher à son cerveau. Mais les Géonosiens savaient modifier un esprit sans même que son propriétaire ne soit conscient de cette altération. Grievous devait croire dur comme fer qu’il avait toujours été ce conquérant sans pitié qu’il était désormais, alors qu’en vérité sa cruauté et ses prouesses devaient beaucoup à sa reconstruction.

Sidious comme Dooku n’auraient pu se satisfaire davantage du résultat. Dooku, en particulier, étant donné que commander une armée de droïdes ne l’intéressait aucunement, et qu’il avait déjà fort à faire avec Nute Gunray, Shu Mai et tous ceux qui finiraient par former le Conseil des Séparatistes.

Sans compter que Grievous s’était révélé être un élève modèle. Nul besoin avec lui de cajoleries pour libérer sa colère, sa rage, contrairement à ce que Dooku avait dû s’abaisser à faire lors de l’entraînement de ses soi-disant disciples. Les Géonosiens avaient fait en sorte que le cyborg ne soit que rage et colère. Et au vu de ses talents de guerrier, rares seraient les Jedi – pour peu qu’il en existât – capables de le vaincre. Parfois, lors des cours pratiques qu’il lui avait prodigués, Dooku lui-même avait été poussé dans ses derniers retranchements.

Gardant pour lui, bien entendu, certains de ses secrets.

Au cas où.

De telles manipulations se trouvaient au cœur de ce que la Sith signifiait – si d’aventure rapprocher les mots Sith et cœur avait un sens quelconque. L’essence du côté obscur résidait dans la volonté de faire usage de tous les moyens possibles pour arriver à ses fins – ce qui, dans le cas du Seigneur Sidious, impliquait de mettre une galaxie entière sous le joug d’un unique et brillant esprit.

La guerre en cours était le résultat d’un millénaire d’une planification minutieuse de la part des Sith – une succession de mentors léguant leur science du côté obscur à leurs disciples. Rarement plus de deux par génération depuis l’époque de Dark Bane, Maître et apprenti s’étaient employés à exploiter la puissance qui affluait du côté obscur, saisissant chaque chance qui se présentait à eux de faire croître l’obscurité. En facilitant la guerre, le meurtre, la corruption, l’injustice et l’avarice chaque fois que possible, partout où ça l’était.

Cela revenait à introduire un cancer indécelable dans le corps politique de la République, puis à surveiller sa croissance d’un organe à l’autre jusqu’à ce qu’il atteigne une masse critique suffisante pour s’attaquer aux systèmes vitaux.

Les Sith avaient appris de leurs propres querelles intestines que lesdits systèmes s’écroulaient souvent de l’intérieur au moment où le pouvoir devenait leur raison d’être. Plus les menaces qui pesaient sur ce pouvoir étaient grandes, et moins le menacé savait résister.

C’était ce qui s’était passé avec l’Ordre Jedi.

Le côté obscur avait déjà commencé à se renforcer deux cents ans avant la venue de Dark Sidious, et pourtant les Jedi n’avaient presque rien fait pour le contrecarrer. Les Sith se réjouissaient de voir les Jedi devenir eux aussi si puissants, car au bout du compte leur droiture les aveuglerait sur ce qui était en train de grandir en leur sein.

Laissons-les donc sur leur piédestal. Laissons-les donc se perdre dans la voie qu’ils ont choisie. Laissons-les oublier que le bien et le mal coexistent. Ne leur donnons pas de raisons de regarder au-delà de leur Temple encensé. Et, par tous les moyens possibles, laissons-les se gorger du pouvoir qu’ils ont acquis, cela rendra leur chute d’autant plus facile.

Non pas que tous parmi eux fussent aveugles, bien entendu. De nombreux Jedi avaient pressenti ces changements, ce mouvement vers l’obscurité. Personne, sans doute, davantage que le vénérable Yoda. Mais les Maîtres qui composaient le Conseil Jedi s’étaient eux-mêmes enfermés dans la certitude de l’inévitabilité de ce mouvement. Plutôt que d’essayer d’arracher les racines de l’obscurité grandissante, ils s’étaient contentés de la contenir. Ils avaient préféré attendre la naissance de l’Élu, croyant à tort que lui seul serait capable de rétablir l’équilibre dans la Force.

Du danger des prophéties…

C’était alors que Dooku était né ; son lien puissant avec la Force lui avait valu d’être placé au sein d’un Ordre qui avait fini par devenir suffisant, arrogant, avide du pouvoir qu’il détenait dans la République. Et par se détourner des injustices que ladite République n’avait guère d’intérêt à voir éradiquées car elles étaient synonymes d’affaires juteuses conclues entre ceux qui tenaient les rênes du pouvoir.

Alors que les midichloriens déterminaient pour partie l’aptitude d’un Jedi à faire usage de la Force, d’autres caractères innés jouaient eux aussi leur rôle – en dépit des incessants efforts du Temple pour les nier et les éradiquer. Ayant hérité d’un titre de noblesse et d’une grande fortune, Dooku aspirait au prestige. Dans sa jeunesse, déjà, l’idée d’apprendre tout ce qu’il pouvait sur les Sith et le côté obscur de la Force l’avait obsédé. Bien sûr, il s’était plié aux règles de l’Ordre Jedi ; il était même devenu le meilleur bretteur et instructeur du Temple. Mais les prémices de sa transformation finale s’étaient trouvées en lui depuis toujours. Sans que les Jedi s’en rendent jamais compte, Dooku avait semé autant de confusion dans l’Ordre que le ferait un jeune garçon ayant grandi comme esclave sur Tatooine.

Son mécontentement avait continué à couver et à croître ; ses frustrations vis-à-vis du Sénat de la République, de l’inefficace Chancelier Suprême Valorum, de la courte vue des membres du Conseil Jedi eux-mêmes. Un blocus de Naboo par la Fédération du Commerce, des rumeurs faisant état d’un Élu découvert sur un monde désertique, la mort de Qui-Gon Jinn des mains d’un Sith… Comment les membres du Conseil pouvaient-ils rester à ce point aveugles ? Comment pouvaient-ils continuer à clamer que le côté obscur assombrissait tout ?

Dooku en avait parlé à quiconque était prêt à l’écouter, sans guère de résultats. Aussi avait-il rangé son mécontentement dans la manche de ses robes. Bien que leurs relations de Maître à élève n’eussent jamais été très faciles, il s’était quand même ouvert de ses mauvais présages à Yoda. Mais Yoda était la preuve vivante du conservatisme qui finissait par envahir les existences prolongées. Le seul véritable confident de Dooku avait été Maître Sifo-Dyas, qui bien que perturbé par ces révélations, s’était montré trop faible pour agir.

La bataille de Naboo avait témoigné du retour des Sith au grand jour ; de l’existence d’un Seigneur Sith à l’œuvre quelque part.

Le Seigneur Sith : celui né avec le pouvoir requis pour accomplir l’ultime étape.

Dooku avait entrepris de partir à sa recherche, peut-être pour le tuer. Mais le peu de foi qu’il plaçait en la prophétie avait néanmoins suffi à le faire douter de l’efficacité d’une telle mesure pour stopper l’avancée du côté obscur.

Un autre Sith viendrait, puis un autre encore.

De toute façon, les circonstances avaient décidé pour lui, car c’était Sidious qui en fin de compte l’avait approché avant qu’il ne se mette en chasse. L’aplomb du Seigneur Sith l’avait pris par surprise, mais avant longtemps il avait commencé à éprouver de la fascination à son égard. Au lieu de se battre dans un duel à mort au sabre laser, ils avaient beaucoup discuté, comprenant peu à peu que leurs desseins pour sauver la galaxie de la dépravation n’étaient finalement pas si différents.

Mais s’associer à un Sith ne faisait pas de vous un Sith.

La puissance du côté obscur passait par un long apprentissage, tout comme l’art des Jedi. Ces derniers n’avaient de cesse d’avertir leurs apprentis que la colère était le chemin le plus court pour tomber du côté obscur, mais la colère n’était rien d’autre qu’une émotion à l’état brut. Pour connaître le côté obscur, il fallait être déterminé à s’élever au-delà d’une soi-disant moralité, à rejeter l’amour et la compassion, on devait parvenir à s’imposer la vision d’un univers sous contrôle – quand bien même cela impliquait de prendre des vies.

L’élève Dooku s’était révélé empressé ; pourtant, Sidious avait continué à le tenir à distance. Peut-être travaillait-il déjà à trouver d’autres successeurs possibles à son précédent apprenti, le féroce Dark Maul, qui n’avait en fait jamais été considéré autrement que comme un sous-fifre, à l’instar d’Asajj Ventress et du Général Grievous. Sidious avait perçu en Dooku les fondements d’un véritable apprenti – un égal œuvrant pour l’autre camp, déjà formé aux arts Jedi, un maître duelliste, un visionnaire politique. Mais il avait besoin de tester la profondeur de son engagement.

L’un de tes confidents au Temple Jedi a perçu les changements à venir ; lui avait dit Sidious. Il a contacté un groupe de cloneurs afin de leur commander une armée pour la République. Bonne initiative, nous pourrons nous en servir le moment venu. Mais Maître Sifo-Dyas ne peut lui survivre, car les Jedi ne doivent pas apprendre l’existence de cette armée avant que nous ne soyons prêts.

Le meurtre de Sifo-Dyas avait marqué l’entière sujétion de Dooku au côté obscur ; Sidious lui avait alors conféré le titre de Dark Tyranus. Son dernier acte dans l’Ordre Jedi avait été d’effacer toute mention de Kamino des archives du Temple. Puis, sous l’identité de Tyranus, il était allé trouver Fett sur Bogg 4 et avait ordonné au Mandalorien de se rendre sur Kamino ; pour finir, il avait fait en sorte que le paiement des clones suive des circuits détournés…

Dix ans avaient passé.

Sous son nouveau Chancelier Suprême, la République s’était en partie redressée avant de devenir plus corrompue, plus fragile encore qu’auparavant. Bien entendu, Sidious et Tyranus faisaient de leur mieux pour encourager cela.

Sidious avait un talent certain pour voir loin dans l’avenir, mais il restait pour partie tributaire d’événements imprévisibles. Par chance, le pouvoir du côté obscur n’était pas contradictoire avec une certaine souplesse.

Après que la piste de Fett l’eut mené sur Kamino, Obi-Wan Kenobi avait pris la direction de Géonosis. Sans coup férir, voilà que Dooku se retrouvait nez à nez avec l’ancien Padawan de Qui-Gon Jinn. Mais quand le comte avait informé Sidious de la présence d’Obi-Wan, le Seigneur Sith s’était contenté de lui répondre : Laissez les événements se mettre en place, Lord Tyranus. Car nos plans se déroulent exactement comme je l’avais prévu. La Force est décidément avec nous.

Et à présent, ce nouvel accroc : à cause de la bourde de Nute Gunray sur Cato Neimoidia, la République et les Jedi disposaient d’un moyen susceptible de les mener jusqu’à Sidious et de le confondre.

L’exceptionnel transceveur de la mécanochaise – comme ses semblables – avait été mis au point pour Sidious par une foule de gens dont peu pouvaient se targuer d’être encore en vie. Et si les agents de la République – ou les Jedi, d’ailleurs – se montraient suffisamment malins et persévérants, ils finiraient par en apprendre plus sur Sidious qu’il n’aurait voulu que quiconque en sache.

On devait l’en informer, se dit Dooku.

Vraiment ?

Il hésita l’espace d’un battement de cœur, le temps d’imaginer le pouvoir qui pourrait être sien.

Puis il se rendit directement auprès du transceveur hyperspatial que Sidious lui avait confié, et débuta sa transmission.