16

Patchwork de rouge terne et de brun pâle, Charros IV emplissait les verrières avant du croiseur de la République. Le vaisseau à double pilotage aurait déjà fait figure d’antiquité vingt ans plus tôt, mais on pouvait encore compter sur ses générateurs d’hyperpropulsion et ses moteurs subluminiques – de toute façon, avec des vaisseaux disséminés sur de multiples fronts, Obi-Wan et Anakin ne pouvaient se permettre de faire la fine bouche. Sa couleur cramoisie originale avait été cachée sous une couche fraîche de peinture blanche ; à cause de la guerre, des canons laser avaient été installés à l’arrière des radiateurs de l’aile ainsi qu’à l’avant, sous le cockpit, là où s’était autrefois trouvé un salon pour les passagers.

Obi-Wan avait calculé les trois sauts nécessaires pour atteindre le monde des Xi Charriens à partir de la Bordure Intérieure, mais c’était Anakin qui avait assuré le pilotage.

— Coordonnées d’atterrissage en cours de réception, annonça Anakin en gardant les yeux fixés sur l’écran d’affichage.

La nouvelle surprit agréablement Obi-Wan.

— Ça m’apprendra à me montrer sceptique. Quand le Renseignement nous a informés de l’avancée de leurs recherches, j’avoue que ça ne m’a pas paru très convaincant.

Anakin éclata de rire en le regardant.

— Qu’est-ce que j’ai dit d’aussi drôle ?

— Je me disais juste : le revoilà.

Obi-Wan se carra dans son siège, attendant patiemment la suite.

— Tout ce que je voulais dire, c’est que pour quelqu’un ayant la réputation de détester les voyages dans l’espace, vous avez eu plus que votre part de missions exotiques. Kamino, Géonosis, Ord Cestus…

Obi-Wan tira doucement sur sa barbe.

— Disons que la guerre m’a incité à considérer tout cela d’un œil neuf.

— Maître Qui-Gon aurait été fier de vous.

— N’en sois pas si sûr.

Obi-Wan était contre cette mission sur Charros IV. Dexter Jettser, son ami Besalisk sur Coruscant, aurait probablement pu révéler aux analystes du Renseignement tout ce qu’ils avaient besoin de savoir sur la mécanochaise du vice-roi Gunray. Mais Yoda avait insisté pour que Obi-Wan et Anakin essaient de rencontrer le Xi Charrien dont le sceau ornait la chaise marchante.

À présent, Obi-Wan se demandait pourquoi ce voyage l’avait à ce point rebuté. En comparaison des derniers mois écoulés, cette mission ressemblait déjà à une permission. Anakin ne se trompait pas, il avait eu plus que son compte de ce genre de missions. Mais il n’avait pas été, loin de là, le seul Jedi contraint à jouer les agents de renseignement depuis le début de la guerre. Aayla Secura et le Jedi caamasi Ylenic It’kla avaient exfiltré un transfuge du Techno-Syndicat sur Corellia ; Quinlan Vos avait agi sous couverture pour infiltrer le cercle des apprentis que Dooku initiait au côté obscur…

Et le Chancelier Suprême Palpatine n’avait été tenu au courant d’aucune de ces opérations secrètes.

Non pas que le Conseil Jedi ne lui fit pas confiance ; simplement, il était devenu difficile de se fier à quiconque.

— Pensez-vous que les Xi Charriens accepteront de nous parler ? demanda Anakin.

Obi-Wan pivota pour lui faire face.

— Ils ont toutes les raisons de se montrer accommodants. Après la bataille de Naboo, la République a cessé toute relation commerciale avec eux pour les punir d’avoir fourni aux Neimoidiens des armes prohibées. Ils essaient désespérément de se racheter, surtout depuis que leur modèle phare est produit à grande échelle et pour moins cher par l’Armurerie Baktoid et d’autres fournisseurs de la Confédération.

La contribution principale des Xi Charriens à l’arsenal des Neimoidiens avait été le chasseur droïde de combat autopropulsé à géométrie variable, un appareil remarquablement conçu, mû par un carburant solide, et capable de s’autoconfigurer selon trois modes différents.

Anakin se pinça les lèvres en une attitude méfiante.

— J’espère qu’ils ne me tiendront pas rigueur de tous les chasseurs que j’ai détruits.

Obi-Wan rit brièvement.

— Oui, espérons que ta renommée ne se soit pas encore répandue aussi loin dans la Bordure Extérieure. Mais en fait, le succès de notre mission repose avant tout sur la capacité de TC-16 à parler le Xi Char aussi couramment qu’il le prétend.

— Maître Kenobi, je parle cette langue presque aussi bien qu’un indigène Xi Charrien, je vous l’assure, clama le droïde protocolaire depuis l’un des sièges arrière du cockpit. Mon service auprès du vice-roi Gunray supposait que je me familiarise avec toutes les langues commerciales utilisées par les espèces de l’Essaim, y compris les Xi Charriens, les Géonosiens, les Colicoïdes, et beaucoup d’autres. Mon aisance d’expression vous garantira une complète coopération de la part des Xi Charriens. J’espère néanmoins que mon apparence physique saura leur inspirer quelque dégoût.

— Pourquoi dis-tu ça ? lui demanda Anakin.

— L’attachement à la technologie de précision constitue le fondement des croyances religieuses Xi Char. Ils acceptent comme un fait divin qu’un travail méticuleux équivaille à une prière ; leurs ateliers ressemblent d’ailleurs davantage à des temples qu’à des usines. Lorsqu’un Xi Charrien est blessé, il part de lui-même en exil, afin d’éviter aux autres le spectacle de ses imperfections ou difformités. Selon un adage Xi Char, « Dieu est dans les détails ».

— Porte fièrement tes imperfections, TC, lui dit Anakin en levant sa main droite. Comme je porte les miennes.

Le croiseur entamait sa descente dans la nuageuse atmosphère glacée de Charros IV. Penché en avant contre la verrière, Obi-Wan contemplait ce monde aride presque dépourvu de végétation. Les Xi Charriens vivaient sur des hauts plateaux cernés par des chaînes de montagnes au sommet enneigé. De gigantesques lacs d’eau noire parsemaient le paysage.

— Quelle planète désolée, dit-il.

Anakin procéda à quelques réglages pour compenser la force des vents qui secouaient le vaisseau.

— C’est toujours mieux que Tatooine.

Obi-Wan haussa les épaules.

— Je connais des endroits bien pires que Tatooine.

La plate-forme d’atterrissage vers laquelle on les avait dirigés finit par s’offrir à leur vue. D’une taille et d’un ovale parfaitement adaptés au croiseur, elle semblait comme neuve.

— Je suis certain qu’elle vient d’être construite à notre intention, dit TC-16. Voilà pourquoi les Xi Charriens nous harcelaient pour connaître les dimensions exactes du croiseur.

Anakin regarda Obi-Wan.

— La République pourrait faire appel à leurs services dès à présent.

Il posa le croiseur sur les larges disques de son train d’atterrissage et déploya la rampe d’embarquement tribord du vaisseau. Au sommet de la rampe, Obi-Wan releva sa capuche pour se protéger du vent glacial qui hurlait sur les pentes. Devant eux, un coursier en alliage brillant se détacha d’une structure en forme de cathédrale située à environ cinq cents mètres de la plate-forme d’atterrissage. Des deux côtés du coursier se tenaient des centaines de Xi Charriens excités.

— On dirait qu’ils n’ont pas souvent des invités, dit Anakin en commençant à descendre la rampe en compagnie d’Obi-Wan et de TC-16.

Les créations technologiques d’une espèce reflètent souvent sa propre anatomie. Avec leurs petits corps chitineux, leurs quatre jambes pointues, leurs pieds s’agitant en ciseaux et leur tête en forme de larme, le peuple Xi Char ressemblait à une version vivante des Vautours métamorphes à la production desquels ils avaient contribué à l’intention de la Fédération du Commerce – en mode marche/patrouille, en tout cas. Les pépiements sauvages de leur comité d’accueil étaient si forts qu’Anakin dut élever la voix pour qu’on l’entende.

— Quel accueil de stars ! Je sens que je vais me plaire ici !

— Contente-toi de suivre mon exemple, Anakin.

— J’essaierai, Maître.

Les pépiements devinrent de plus en plus assourdissants à mesure que les deux Jedi et le droïde protocolaire s’approchaient des abords de la plate-forme d’atterrissage. Obi-Wan ne savait trop comment gérer l’état de pure excitation dans lequel ces aliens se trouvaient. C’était comme si une course à pied allait commencer d’un instant à l’autre. Importés par l’enthousiasme général, des Xi Charriens bondissaient régulièrement sur le coursier soigneusement poli pour être aussitôt ramenés sans ménagement dans la foule par leurs congénères.

— TC, sont-ils toujours aussi zélés ? demanda Obi-Wan.

— Oui, Maître Kenobi. Mais leur entrain ne nous est pas destiné, c’est au vaisseau qu’ils s’intéressent !

Le sens de sa remarque s’éclaira lorsque tous trois furent descendus de la plate-forme d’atterrissage. Aussitôt, les Xi Charriens déferlèrent sur le vaisseau et se mirent à grimper dessus, le recouvrant de sa proue aplatie jusqu’aux propulseurs de la poupe. Obi Wan et Anakin regardèrent interdits des pièces de carbone disparaître corps et biens, des bosses être redressées, des éléments de superstructure réalignés et les verrières de transparacier astiquées.

— N’oublions pas de leur laisser un pourboire en parlant, dit Anakin.

De temps à autre un Xi Charrien sautait sur TC-16 pour saisir l’un de ses membres, mais le droïde parvenait sans trop de peine à s’en défaire.

— Dans leur désir de me perfectionner, ils risqueraient de m’effacer la mémoire, expliqua le droïde.

— Serait-ce si terrible après ce que tu prétends avoir traversé ? lui demanda Anakin.

— Comment puis-je espérer apprendre de mes erreurs si je ne peux plus m’en souvenir ?

Ils se trouvaient à mi-chemin du coursier quand deux Xi Charriens plus imposants que la moyenne se précipitèrent à leur rencontre. TC-16 échangea quelques pépiements avec eux, puis traduisit :

— Ces deux-là vont vous conduire au Prélat.

— Ils n’ont pas d’armes, dit calmement Anakin. C’est bon signe.

— L’espèce Xi Char est pacifique, expliqua le droïde. Ils ne s’intéressent qu’à l’ingénierie technologique, pas à ses applications pratiques. Voilà pourquoi ils se sont sentis injustement accusés et durement jugés par la République pour le rôle que leurs chasseurs droïdes ont joué dans la bataille de Naboo.

L’énorme bâtiment que TC-16 avait qualifié d’atelier s’élevait à une hauteur de deux cents mètres. Il était surmonté de flèches en treillis et de tours chantant au gré du vent. La lumière y pénétrait par des rangées de hautes lucarnes qui ouvraient sur le vaste intérieur, dans lequel des milliers de Xi Charriens besognaient. Des arcades aux colonnes finement gravées supportaient un plafond aux voûtes renforcées qui abritait des milliers d’autres Xi Charriens suspendus par leur bras et bourdonnant avec contentement.

— L’équipe de nuit ? se demanda tout haut Anakin.

Leur escorte les conduisit dans une sorte de cour d’équité dont les hautes portes s’ouvraient sur une pièce immaculée qui aurait pu passer pour la cabine du capitaine d’un luxueux yacht spatial. Assis sur un trône au centre de la pièce, un énorme Xi Charrien laissait une douzaine de congénères plus petits s’occuper de lui. Partout ailleurs, des Xi Charriens munis de divers instruments ménagers examinaient en groupes chaque millimètre carré du sol en quête de la moindre particule de poussière.

Sans autre cérémonie, TC-16 s’approcha du Prélat et lui présenta ses salutations. Le droïde avait chargé son vocodeur de fournir à Obi-Wan et Anakin une traduction simultanée de ses paroles.

— Puis-je vous présenter le Jedi Obi-Wan Kenobi et le Jedi Anakin Skywalker, commença-t-il.

Écartant d’un geste son escorte, le Prélat fit pivoter sa longue tête pour considérer Obi-Wan.

— TC, dit ce dernier, dis-lui que nous sommes désolés de l’avoir dérangé pendant ses ablutions.

— Vous ne l’avez pas dérangé, Monsieur. Le Prélat en pratique de telles à chaque heure de la journée.

Le Prélat se mit à pépier.

— Excellence, j’ai appris votre langue lors de mon précédent emploi à la cour du vice-roi Nute Gunray. Le droïde écouta la réponse du Prélat, puis ajouta : Oui, je comprends parfaitement que ça ne me rend pas sympathique à vos yeux. Mais pour ma défense, sachez que le temps que j’ai passé parmi les Neimoidiens a été le plus éprouvant de mon existence. Ce dont mon apparence physique ne peut qu’attester, à ma plus grande honte.

Visiblement calmé, le Prélat se remit à jacasser.

— Ces Jedi sont venus vous demander la permission d’interroger l’un des adeptes de l’atelier Xcan – un certain t’laalak-s’lalak-t’th’ak.

TC-16 produisit chaque pause glottale et chaque claquement nécessaires à la prononciation de ce nom.

— Un graveur virtuose, cela ne fait aucun doute, Excellence. Pour revenir à l’intérêt que les Jedi lui portent, ils espèrent qu’une de ses réalisations leur fournira un indice sur l’emplacement actuel d’un important leader Séparatiste. Le droïde écouta la réponse du Prélat, puis reprit : Oserais-je ajouter que tout ce qui fait plaisir au peuple Xi Char satisfait également la République.

Les rainures oculaires du Prélat fixèrent une fois encore le Jedi.

— Les sabres laser ne sont pas des armes, Excellence, poursuivit TC-16 après un bref échange. Mais si vous subordonnez leur rencontre avec t’laalak-s’lalak-t’th’ak au fait de vous remettre leurs sabres laser, je suis sûr qu’ils s’y plieront.

Obi-Wan s’était déjà mis en quête de son sabre laser, mais Anakin semblait hésiter.

— Tu m’as promis de suivre mon exemple.

Anakin ouvrit sa cape.

— Je vous ai promis d’essayer, Maître.

Ils tendirent leur sabre laser à TC-16, qui les présenta au Prélat pour inspection.

— Le fait que vous y voyiez matière à perfectionnement me surprend quelque peu, Excellence, dit le droïde au bout d’un moment. Mais après tout, quel instrument ne tirerait pas bénéfice de passer entre les mains d’un Xi Charrien ? Il écouta, puis ajouta : Je suis certain que les Jedi ne doutent pas que vous honorerez votre promesse de laisser intactes les imperfections.

— Ça s’est passé mieux que prévu, dit Obi-Wan tandis qu’on les escortait, Anakin, TC-16 et lui-même, jusqu’au cœur de l’atelier Xcan.

Anakin n’en était pas convaincu.

— Vous êtes trop confiant, Maître. Je ressens beaucoup de méfiance.

— Remercions-en Raith Sienar, au moins pour une bonne part.

Près de vingt ans plus tôt, le richissime et influent propriétaire de Sienar Technologies – un des fournisseurs principaux de la République en matière de chasseurs stellaires – avait passé du temps parmi le peuple Xi Char pour maîtriser les techniques d’ingénierie de haute précision qu’il comptait incorporer plus tard dans ses propres créations. Convaincu « d’incroyance », Sienar s’était retrouvé exilé de Charros IV, en même temps que la cible de chasseurs de primes – il était parvenu à en coincer quatre dans un trou noir connu de lui seul – et autres virtuoses de l’exploration hyperspatiale. Sienar avait par la suite mouillé dans diverses affaires d’espionnage industriel impliquant la Fédération du Commerce, l’Armurerie Baktoid, la Corporation d’ingénierie Corellienne et la Corporation Incom, mais les Xi Char avaient de la mémoire pour tout ce qu’ils considéraient comme sacrilège. Six ans avant la bataille de Naboo, une seconde tentative d’assassinat sur Raith s’était soldée par la mort de son père, Narro, sur la planète Dantooine. Mais une fois encore l’hérétique avait réussi à prendre la fuite.

Dix ans plus tôt, Obi-Wan et Anakin avaient eux-mêmes eu affaire à Sienar sur la planète vivante connue sous le nom de Zonama Sekot. L’implication de Sienar dans la disparition de Zonama Sekot avait fini de convaincre les Xi Charriens de ne plus jamais accepter d’apprentis humains.

L’atelier Xcan recelait des merveilles.

Les artisans Xi Charriens travaillaient seuls ou en groupes allant de trois à trois cents individus, sur du matériel aussi divers que des applications domotiques, des chasseurs stellaires, en passant par diverses améliorations, ornementations, modifications et personnalisations de toutes sortes. Devant les yeux d’Obi-Wan et d’Anakin s’exhibaient tous les appareils inestimables qu’ils avaient découverts entassés dans la citadelle de Gunray sur Cato Neimoidia. Le cadre contrastait totalement avec la frénésie assourdissante qui caractérisait une forge Baktoid, comme celle que la République avait réquisitionnée sur Géonosis. Les Xi Charriens parlaient rarement entre eux, ils prêteraient amplifier leur concentration par la répétition incessante de stridulations haut perchées analogues à des chants. Les rares qui prêtèrent attention aux trois visiteurs s’intéressèrent davantage à TC-16 qu’aux Jedi.

Et pourtant, en dépit du travail d’orfèvre accompli dans l’atelier Xcan, l’usine-cathédrale ne représentait qu’un pis-aller pour de nombreux Xi Charriens, qui aspiraient à travailler pour les Ingénieries Haor Chall parties de Charros IV pour aller s’installer sur d’autres mondes de la Bordure Extérieure.

Les deux aliens géants qui avaient escorté Obi-Wan et Anakin devant le Prélat les guidèrent jusqu’à l’atelier de t’laalak-s’lalak-t’th’ak, situé dans la colonnade ouest de l’usine, aux piliers décorés de mosaïques et de carreaux gravés. Loin au-dessus de leurs têtes, des Xi Charriens au repos étaient pendus tête en bas aux chevrons incurvés qui supportaient le toit, tels des soldats droïdes configurables agencés dans un transporteur de la Fédération du Commerce.

Obi-Wan se rendait compte à quel point leur bourdonnement incessant pouvait s’avérer perturbant.

T’laalak-s’lalak-t’th’ak était plongé dans la gravure d’un logo corporatif sur la console d’un chasseur stellaire. Des douzaines de pièces détachées s’amoncelaient d’un côté ; celles qu’il avait montées se trouvaient de l’autre. À la prononciation de son nom, il leva la tête de son travail.

L’escorte pépia dans sa direction, puis TC-16 prit le relais.

— T’laalak-s’lalak-t’th’ak, tout d’abord permettez-moi de vous féliciter pour l’exceptionnelle qualité de votre travail ; les dieux eux-mêmes doivent l’admirer avec convoitise.

Le Xi Charrien accepta humblement le compliment, et jacassa une réponse.

— Nous serions honorés de vous voir au travail, mais pour tout vous dire nous connaissons déjà certains de vos talents, et c’est justement à cause d’une de vos œuvres que nous sommes venus d’aussi loin pour vous parler. Une œuvre que nous avons récemment mise à jour sur Cato Neimoidia.

Le Xi Charrien prit un long moment pour répondre.

— Une mécanochaise que vous avez ornée pour le vice-roi de la Fédération du Commerce, Nute Gunray, il y a environ quatorze années standard. TC-16 écouta sa réponse, puis ajouta : Mais ça ne pouvait être que vous, puisque l’intérieur de la jambe arrière porte votre symbole de dévotion. (À nouveau, il écouta.) Une forge Baktoid ? Insinuez-vous que votre travail puisse être si facilement imité ?

Anakin poussa légèrement du coude Obi-Wan : les Xi Charriens qui travaillaient à proximité commençaient visiblement à s’intéresser à leur conversation.

— Nous comprenons votre répugnance à discuter de tels sujets, ajouta calmement TC-16. Le fait est que cette pièce portait votre autographe, ce qui pourrait être interprété par le Prélat comme un acte de fierté.

T’laalak-s’lalak-t’th’ak ne cachait pas sa colère.

— Non qu’elle ne soit pas motif à fierté, bien entendu. Mais si le Prélat venait à apprendre qu’elle résidait à proximité d’un personnage tel que le vice-roi Gunray…

Sans autre pépiement, le Xi Charrien laissa tomber ses instruments et s’élança de sa palette de travail – non pas sur TC-16 ou l’un des Jedi, mais directement dans l’écheveau de poutrelles au-dessus de leurs têtes. Ignorant les cris perçants des Xi Charriens réveillés en sursaut, il se mit à sauter d’une poutrelle à l’autre avec l’intention manifeste d’atteindre l’une des hautes lucarnes qui perçaient le toit.

Obi-Wan l’observa un moment, puis se tourna vers Anakin.

— J’ai comme l’impression qu’il n’a pas envie de nous parler.

Anakin gardait ses yeux fixés sur t’laalak-s’lalak-t’th’ak.

— Comme s’il avait le choix.

Sur ce, il s’élança à son tour à sa poursuite.

— Anakin, attends ! cria Obi-Wan avant d’ajouter, davantage pour lui-même : « Oh, à quoi bon » et de bondir en direction du plafond.

Se jetant d’une poutre à l’autre comme un artiste de cirque, Anakin atteignit rapidement le réseau complexe qui entourait la fenêtre de toit partiellement ouverte par laquelle t’laalak-s’lalak-t’th’ak essayait désespérément de passer. Les jambes antérieures du Xi Charriens étaient déjà dehors quand Anakin lui sauta dessus, se cramponnant à lui pour essayer de le ramener à terre. Mais l’alien se révéla plus fort qu’il ne le paraissait. Pépiant comme un damné, il bondit en direction d’une fenêtre plus haute en emportant Anakin avec lui.

À dix mètres de là, Obi-Wan suivait en parallèle la progression du Xi Charrien vers le faîte du plafond voûté, où la chasse avait fini par attirer des dizaines de Xi Charriens, qui incitaient d’autres encore de leurs congénères à les rejoindre.

Anakin essayait toujours d’entraîner sa proie vers le sol, mais il ne pesait pas assez lourd pour cela. Redoutant de voir Anakin faire appel sans retenue à la Force – Obi-Wan pouvait sans peine imaginer l’intégralité de l’usine s’écrouler dans ce cas – le Jedi continuait coûte que coûte la poursuite, profitant du point culminant de son ascension pour se saisir des jambes postérieures de t’laalak-s’lalak-t’th’ak.

Et ils commencèrent à tomber.

Tous trois entrelacés, ils emportaient plus de trente Xi Charriens dans leur chute en direction du sol. Dans le mouvement, Obi-Wan et Anakin perdirent leur prise sur t’laalak-s’lalak-t’th’ak, soudain impossible à distinguer des autres Xi Charriens. Mais cela était devenu le cadet de leurs soucis, car partout dans l’atelier, des Xi Charriens se précipitaient pour venir en aide à ceux que les Jedi avaient fait tomber des chevrons. Certains d’entre eux essayaient déjà de soumettre les Jedi au moyen de divers instruments de soudure et de gravure, tandis que d’autres s’affairaient à construire un hémisphère en plastacier pour contenir l’explosion de violence.

— Pas de destructions inutiles ! cria Obi-Wan.

Anakin lui adressa un regard stupéfait de derrière un tas de Xi Charriens courroucés de trois mètres de haut.

— À qui parlez-vous exactement ?

Obi-Wan considéra d’un regard l’ensemble de l’atelier.

— Fais tomber quelque chose – vite ! Avant qu’ils ne terminent leur dôme !

D’une poussée de sa main libre, Obi-Wan renversa une petite table située à vingt mètres de lui, répandant par là même diverses piles de comlinks à peine gravés et d’appels-droïdes. Pépiant de panique, la moitié des Xi Charriens qui le maintenaient au sol – et la plupart de ceux qui se précipitaient sur lui – détalèrent aussitôt pour réparer les dégâts.

— Vite, Anakin !

Malgré ses mains coincées sous son corps, Anakin parvint à renverser une palette d’ustensiles de cuisine puis une autre pleine de jouets soigneusement rangés. Ensuite, il arracha du mur plus d’une demi-douzaine d’appliques.

Jacassant de consternation, d’autres Xi Charriens accoururent.

— Arrête de prendre ça pour un jeu ! l’avertit Obi-Wan.

Ses yeux rivés sur un coffre rempli d’instruments de musique, il était sur le point de se débarrasser de ses derniers persécuteurs quand une décharge de blaser traversa l’atelier. Et au milieu de la multitude de Xi Charriens furieux, le Prélat lui-même fit son apparition, assis dans une litière à six porteurs, une arme dans chaque pied.

Vingt Xi Charriens s’aplatirent au sol au moment où le Prélat pointa les blasters sur Obi-Wan et Anakin. Mais avant qu’il ne puisse tirer, un TC-16 au corps réaligné poli au point d’en paraître lustré, émergea d’une galerie attenante et cria :

— Regardez ce qu’ils m’ont fait !

La voix du droïde avait un ton à la fois angoissé et émerveillé, mais sa nouvelle physionomie était à ce point remarquable que le Prélat et ses porteurs ne purent qu’ouvrir toute grande la bouche, comme si un miracle avait eu lieu devant eux. Ils échangèrent quelques pépiements, puis le Prélat se tourna à nouveau face à Obi-Wan et Anakin, ses deux blasters levés.

— Mais leurs intentions n’étaient pas mauvaises, Excellence ! intervint le droïde. T’laalak-s’lalak-t’th’ak a pris la fuite en réponse à leurs questions ! Maître Obi-Wan et le Jedi Skywalker cherchaient simplement à en comprendre la raison !

Le regard du Prélat se posa sur t’laalak-s’lalak-t’th’ak.

TC-16 traduisit ses dires.

— Maître Kenobi, le Prélat vous conseille de poser vos questions, puis de quitter Charros IV avant qu’il n’ait changé d’avis.

Le regard d’Obi-Wan passa de t’laalak-s’lalak-t’th’ak à TC-16.

— Demande-lui s’il se souvient de la chaise.

Le droïde relaya la question.

— Il s’en souvient à présent.

— La gravure a-t-elle été réalisée ici ?

— La réponse est oui, Monsieur.

— La chaise a-t-elle été transportée ici par les Neimoidiens ou par quelqu’un d’autre ?

— Par quelqu’un d’autre, Monsieur.

Obi-Wan et Anakin échangèrent un regard impatient.

— Le transceveur hyperspatial était-il déjà installé ? demanda Anakin.

TC-16 écouta la réponse.

— Le transceveur ainsi que l’holoprojecteur, Monsieur. Il prétend n’avoir rien fait d’autre qu’embellir les jambes de la chaise avec des gravures et légèrement modifier son système de déplacement. Parlant moins fort, le droïde ajouta : Je dois dire, Messieurs, que la voix de t’laalak-s’lalak-t’th’ak est… tremblotante. Je le soupçonne de nous cacher quelque chose.

— Il a peur, dit Anakin. Et pas de Nute Gunray.

Obi-Wan regarda TC-16.

— Demande-lui qui a conçu le transceveur. Et d’où il a été expédié.

Les pépiements de t’laalak-s’lalak-t’th’ak semblaient contrits.

TC-16 traduisit :

— Le transceveur est arrivé d’un lieu connu sous le nom d’Escarte. T’laalak-s’lalak-t’th’ak pense que son concepteur s’y trouve toujours.

— Escarte, s’enquit Anakin.

— Un astéroïde minier appartenant à la Guilde du Commerce, expliqua TC-16.