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Mace Windu ne pouvait se rappeler une visite dans les appartements du Chancelier Suprême dans le bâtiment du Sénat sans que son attention ne soit troublée par les étranges statues quasi religieuses dont Palpatine faisait la collection. À une occasion, le Chancelier avait même piqué la curiosité de Mace en lui racontant par le menu, et avec quel enthousiasme, quand et comment il était entré en possession de certaines de ces pièces. Celle-ci acquise lors d’une vente aux enchères sur Commenor ; celle-là obtenue auprès d’un vendeur d’antiquités corellien au terme de maintes années d’effort – et pour un prix prohibitif ; une autre récupérée dans un antique temple découvert sur une des lunes de la géante gazeuse Yavin ; celle-là offerte par le Conseil Theed de Naboo ; l’autre par les Gungans…

En cet instant, les yeux de Mace étaient posés sur une petite statuette en bronzium qui d’après ce que Palpatine lui avait dit un jour représentait Wapoe, le mythique demi-dieu Sistros de l’artifice.

— Je suis soulagé de vous voir ici, Maître Jedi, disait le Chancelier Suprême de l’autre côté de son spacieux bureau. J’allais de toute façon vous contacter pour un sujet de la plus haute importance.

— De ce sujet parlons en premier, dans ce cas, dit Yoda.

Pour changer, celui-ci se tenait assis au sommet d’une chaise rembourrée qui le faisait paraître plus petit encore qu’il ne l’était. Mace se trouvait à sa gauche, les jambes écartées, ses avant-bras reposant sur ses genoux.

Palpatine fit courir ses longs doigts sur sa lèvre inférieure, prit une inspiration, puis se rassit au fond de son fauteuil.

— C’est assez délicat, Maître Yoda, mais je ne serais guère étonné que ce soit le même qui vous ait amenés ici, Maître Windu et vous. Belderone.

Yoda serra les lèvres.

— Juste, votre intuition a vu. Au sujet de Belderone, à dire beaucoup de choses nous avons.

Palpatine leur adressa un sourire sans dents.

— Eh bien, sans doute devrais-je commencer par vous féliciter pour votre récente victoire là-bas ; j’aurais juste aimé que vous m’informiez au préalable de vos plans.

— Nous n’avions pas le temps de corroborer les informations en notre possession, lui répondit Mace sans la moindre hésitation. Nous avons estimé préférable d’engager aussi peu de vaisseaux de la République que possible. C’était avant tout une opération Jedi.

— Une opération Jedi, répéta lentement Palpatine. Et si j’en crois tous les rapports c’est vous, les Jedi, qui êtes parvenus à mettre les forces de Grievous en déroute.

— En déroute, Grievous n’a pas été mis, intervint Yoda. Dans l’hyperespace, il a fui. Mais les leaders Séparatistes, il cherchait à protéger.

— Je vois. Et qu’allez-vous faire maintenant ?

Mace se pencha en avant.

— Attendre qu’il refasse surface et le réattaquer.

Palpatine le considéra.

— Puis-je espérer en être informé la prochaine fois ? N’avons-nous pas eu une petite discussion lorsque Maître Yoda est passé pour mort sur Ithor ? Avant que Mace ne puisse lui répondre, il poursuivit : Voyez-vous, nous sommes confrontés ici à une question d’apparences. Si moi-même j’ai parfaitement conscience de la nécessité de garder secrètes certaines informations, d’autres au Sénat ne partagent pas ce point de vue. Dans le cas de Belderone – et en grande partie parce la République l’a emporté –, je suis parvenu à apaiser les peurs de certains Sénateurs quant aux risques de voir les Jedi prendre cette guerre en mains sans plus répondre de leurs actes.

Les narines de Mace se dilatèrent.

— Nous ne pouvons laisser le Sénat continuer à dicter le cours de la guerre.

Yoda hocha sagement la tête.

— Dans l’expectative, certaines décisions du Sénat nous laissent. (Il regarda de côté Palpatine.) À une question d’apparences, nous avons affaire.

Mace ajouta avec emphase :

— Nous ne sommes pas des bandits.

Palpatine écarta les mains dans un geste d’apaisement.

— Bien sûr que non. Rien ne serait plus éloigné de la vérité. Mais ce que je voulais dire… voilà, faute de mieux, le Sénat doit au moins croire qu’on le tiendra informé – surtout si l’on considère les pouvoirs extraordinaires qu’il a accordés à ce gouvernement. (Il se laissa tomber dans son fauteuil.) Pas un jour ne passe sans que je sois sujet à la suspicion et aux accusations, sans qu’on me soupçonne d’arrière-pensées. Et laissez-moi vous dire que la suspicion ne se limite pas au gouvernement. Elle s’étend au rôle que jouent les Jedi dans cette guerre. Maître Jedi, nous devons à tout prix éviter d’être perçus comme étant de connivence.

Yoda fronça les sourcils.

— De connivence, nous devons être, si la victoire notre objectif demeure.

Palpatine lui adressa un sourire indulgent.

— Maître Yoda, loin de moi l’intention de donner à quelqu’un de votre vaste expérience des leçons de politique. Mais dans la situation présente, avec la guerre désormais circonscrite à la Bordure Extérieure, nous devons nous montrer judicieux quant aux campagnes que nous entreprenons, et quant aux objectifs que nous assignons à nos forces. Si d’aventure nous voulons rétablir une paix durable une fois cette folie derrière nous, nous devons dès aujourd’hui soupeser chacun de nos actes avec une infinie délicatesse. (Il secoua la tête.) Les circonstances nous ont conduits à sacrifier de nombreux mondes fidèles à la République. Certains parmi ceux qui ont rejoint les Séparatistes aimeraient revenir dans notre giron. Ce ne sont pas là des sujets dont j’entends accabler les Jedi. Mais ils sont des ressortissants de ce gouvernement, et je dois les garder en tête de liste de mes priorités.

— Les leçons tirées d’un millénaire passé au service de la République ne nous ont pas totalement échappé, répondit durement Mace. Le Conseil Jedi est parfaitement conscient de cette situation.

Palpatine accepta le reproche sans sourciller.

— Parfait. Dans ce cas, parlons d’autre chose.

Mace et Yoda attendirent qu’il reprenne la parole.

— Puis-je vous demander comment les Jedi ont pris connaissance du plan d’attaque de Grievous sur Belderone ?

— Un transceveur hyperspatial ayant appartenu au vice-roi Gunray a été saisi sur Cato Neimoidia, expliqua Mace. Cet appareil a permis au Renseignement de déchiffrer le code Séparatiste. Nous avons capté un message transmis par le Général Grievous à l’intention du vice-roi Gunray, et agi en conséquence.

Palpatine lui jeta un regard incrédule.

— Nous sommes capables d’écouter les transmissions Séparatistes ?

— Improbable, intervint Yoda. Pas après Belderone.

Palpatine considéra la réponse du Maître Jedi, puis se renfrogna.

— Pour sauver Belderone vous avez renoncé à pouvoir espionner les Séparatistes. Il respira à fond le temps de se calmer.

— Si l’on m’avait demandé mon avis, je vous aurais certainement soutenu. Mais ça n’enlève rien, Maître Jedi, à mon mécontentement d’en avoir été circonvenu. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Dois-je en déduire que vous ne me faites plus confiance ?

— Non, aboya presque Yoda. Mais dans ce bureau, beaucoup vont et viennent. Nos intentions, secrètes nous avons gardé.

Le visage de Palpatine s’empourpra soudain.

— Et pourtant vous continuez à faire totalement confiance à ceux qui vous entourent ? Imaginez-vous ce que d’aucuns pourraient conclure de cela, alors qu’ils sont nombreux dans votre Ordre à s’être délibérément tenus à l’écart de la guerre – et que certains ont même pris fait et cause pour les Séparatistes ?

— D’une décennie, de tels reproches datent, Chancelier Suprême.

— J’ai bien peur que vous vous berciez d’illusions si vous croyez que le passage des années a rendu ces reproches moins valables aux yeux de vos contempteurs, Maître Yoda.

Nous sommes en train de perdre le contrôle de la conversation, se dit Mace, qui se força au calme avant de reprendre la parole.

— Une autre raison, plus importante encore, nous a conduits à ne pas vous parler du transceveur.

Ce fut au tour de Palpatine d’attendre.

— Dans sa mémoire, nous avons retrouvé un message que Dark Sidious a adressé au vice-roi Gunray.

Des rides d’incertitude apparurent sur le large front de Palpatine.

— Sidious. Ce nom me dit quelque chose…

— Le Maître Sith de Dooku, Sidious est. De lui Maître Kenobi a entendu parler sur Géonosis. Mais de son existence, toujours nous avaient échappé les preuves.

— Oui, je m’en souviens à présent, dit Palpatine. On a dit à Obi-Wan que ce Sidious avait d’une manière ou d’une autre infiltré le Sénat.

— Cette hypothèse, nous avons écartée. Mais au sujet de Sidious, Dooku ne mentait pas.

Palpatine fit pivoter son fauteuil jusqu’à se retrouver face à l’immense fenêtre incurvée qui ouvrait sur Coruscant.

— Encore un autre Sith. Se retournant, il ajouta : Pardonnez-nous, mais en quoi cela devrait-il constituer un tel sujet d’inquiétude ?

— Fort équilibrée, cette guerre a été jusqu’à présent. Des Victoires de la République, des victoires Séparatistes. À la prolonger, les Sith pourraient avoir œuvré.

Cette fois encore, Palpatine prit le temps de considérer les paroles de Yoda.

— Je commence à comprendre les raisons de tous vos secrets. Les Jedi cherchent à démasquer Sidious.

— En quête d’indices, nous sommes.

— La capture de Sidious mettra-t-elle un terme à la guerre ?

— Elle en précipitera la fin, répondit Mace.

Palpatine hocha la tête d’un air décidé.

— Eh bien, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses. Faites tout ce que vous estimerez nécessaire pour traquer Sidious.