28

Avec un horrible bruit de succion, la jambe droite d’Anakin s’enfonça quasiment jusqu’au genou dans la boue de ce qui était supposé être la rue principale de Naos 111. Un son tout aussi onomatopéique accompagna la reconquête de sa jambe tandis qu’il parvenait à poser son pied gauche sur un sol ferme en lâchant des jurons. Passant sa jambe droite par-dessus la gauche, il essaya de débarrasser sa botte d’un peu de la terre souillée qui la recouvrait, puis pointa du doigt une substance fibreuse rosâtre qui refusait de partir.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il avec un évident dégoût. Son souffle formait des nuages à chacun de ses mots.

À contrecœur, Obi-Wan se baissa vers Anakin pour examiner la botte glissante.

— C’est peut-être vivant, ou peut-être que ça l’a été, à moins que ça ne provienne de quelque chose qui le soit.

— Eh bien, peu importe ce que c’est, ça va devoir se trouver une autre victime.

Obi-Wan se redressa et fourra ses mains dans les manches de sa robe.

— Je t’avais bien dit qu’il y avait des endroits pires que Tatooine.

Des constructions basses en préfabriqué s’alignaient des deux côtés de la rue boueuse, leurs toits en métal recouverts de neige cristalline et de gros glaçons. Les restes d’une voie aérienne écroulée avaient été déplacés hors de la route, puis laissés à mariner dans une flaque chauffée par le système de dégel du revêtement dégradé en permabéton – une flaque similaire à celle dans laquelle Anakin avait barboté par inadvertance.

Anakin entreprit de marteler sa botte sur la glace. Au bout du compte, la chose rose et collante décida qu’elle en avait assez et se laissa tomber dans une congère.

— Des endroits pires que Tatooine, grommela-t-il. Et vous comptez les visiter jusqu’au dernier ? Quand nous autorisera-t-on à retourner sur Coruscant ?

— C’est Thaï K’sar qu’il faut blâmer. C’est lui qui nous a suggéré de commencer nos recherches ici.

Anakin parcourut des yeux les alentours.

— Je ne peux pas m’ôter de la tête l’idée que la prochaine planète sera pire encore.

Tous deux se turent un moment, puis dirent en chœur :

— À vous faire regretter Escarte.

Anakin grimaça.

— Vous savez, il vaut mieux se séparer quand on en arrive à ce degré d’intimité. En fait, je vous verrais bien faire équipe avec Yoda. Vous partagez ses propensions à la prudence et aux lectures.

— Oui, on se ressemble tous les deux, le vieux Yoda et moi.

Ils poursuivirent leur pénible marche jusqu’à ce qui paraissait être le centre-ville.

La majeure partie de sa courte année, la lune connue sous le nom de Naos III était une petite boule glaciale sur laquelle les jours semblaient ne pas avoir de fin. Les carnivores et herbivores autochtones avaient rapidement été exterminés par les colons venus de Rodia et de Ryloth dans l’espoir de découvrir de riches filons d’épices ryll dans le réseau de grottes volcaniques qui sillonnait Naos III. Les créatures les plus communes désormais étaient les rycrits bovins et des banthas hyperlaineux.

La colonisation de la lune avait été rendue possible par l’exploitation d’un poisson à la peau rose délicate péché dans les rivières recouvertes de glace dont le flot tumultueux plongeait dans les montagnes presque abruptes qui les entouraient. Connu sous le nom de Dents de Sabre de Naos, ce poisson ne frayait que dans les montagnes les plus froides. Après congélation éclair, on l’exportait sur d’autres mondes où il était vendu à des prix exorbitants dans les restaurants de Mon Calamari ou de Corellia. Néanmoins, bien peu de locaux amassaient suffisamment de crédits pour quitter la planète ; ils réinvestissaient généralement leurs maigres profits dans le Marché de Naos III, qui gérait l’industrie du Dents de Sabre et possédait peu ou prou chaque magasin, hôtel, salon de jeu et taverne des environs.

Les humanoïdes taciturnes qui avaient colonisé la lune ne s’étaient jamais donné la peine d’attribuer un nom à leur principal centre de population, qui s’appelait donc lui aussi Naos III. Les visiteurs s’attendant à trouver un spatioport classique tombaient en fait sur tout un ensemble de collines fortifiées interconnectées par des ponts qui surplombaient un delta de voies navigables. Cette lune si pauvre en matière de créativité avait attiré des nomades et des aventuriers aux mœurs discutables, désireux en tout cas de s’oublier ou de se réinventer. Si les Twi’leks Ruthiens et Lethiens étaient majoritaires, les humains et autres humanoïdes s’avéraient assez bien représentés. Quelques pêcheurs sportifs venaient s’y installer chaque année, mais Naos III était tout simplement trop éloignée et ses infrastructures par trop insuffisantes pour faire du tourisme une véritable activité commerciale.

Cette lune semblait un lieu rêvé pour se cacher si l’on était un Twi’lek à la peau rouge, mais Obi-Wan doutait de pouvoir y retrouver Fa’ale Leh. Pour commencer, elle devait certainement avoir changé de nom, voire la couleur de son épiderme. Plus important encore, Naos III n’offrait guère d’opportunités de travail à une ancienne chasseuse d’épices – à moins que Leh ne fût l’une des quelques casse-cou qui transportaient les cargaisons de Dents de Sabre jusqu’à l’amas Tion ou en direction de la Bordure par la voie Perlemienne.

D’après K’sar, Leh œuvrait dans le transport d’épices de Ryloth jusqu’aux mondes de l’espace Hutt quand Sienar l’avait engagée pour livrer l’appareil expérimental pour lequel le Bith avait construit un transceveur identique à celui qu’il avait ajouté à la mécanochaise de Gunray.

Pour Obi-Wan, le vaisseau en question ne pouvait être que le long-courrier spatial modifié ayant appartenu au Sith qu’il avait tué sur Naboo ; la République l’avait confisqué après la bataille qui avait eu lieu sur cette planète. Les systèmes de vol, d’armes et de communication s’étaient autodétruits quand les agents du Renseignement avaient loupé leur tentative de pénétrer dans le long-courrier, mais seules quelques personnes savaient que sa carcasse grillée reposait désormais dans un hangar clandestin de Theed. On avait longtemps supposé que le Sith Zabrak tatoué s’était lui-même chargé des modifications, mais les informations fournies par K’sar laissaient entendre que le Laboratoire des Projets Avancés Sienar n’avait pas seulement assuré la construction du vaisseau, mais aussi la mise en œuvre des plans de Dark Sidious.

Obi-Wan et Anakin auraient pu se rendre directement à la source – Raith Sienar – si le Chancelier Suprême n’avait pas opposé son veto à cette idée.

Le second plus grand fournisseur d’armes de la République, la société des Chantiers Navals Kuat, alimentait notoirement les deux camps durant la guerre. Par l’intermédiaire de sa filiale Ingénierie Lourde de Rothana – le constructeur des vaisseaux d’assaut du type Acclamator, mais aussi des NA-TT bipodes –, CNK avait aussi produit pour la Confédération les appareils composant la Flotte Fantôme, qui avait sévi sous le nom de « Terreur de la Perlemienne » jusqu’à ce que l’intervention d’Obi-Wan et d’Anakin la mette hors d’état de nuire.

La neige ne cessant de tomber sur Naos III, les deux Jedi firent halte pour s’orienter. D’un geste, Obi-Wan désigna une taverne toute proche.

— Ça doit être la quinzième que nous croisons.

— Rien que dans cette rue, commenta Anakin. Si nous prenons un verre dans chacune, nous serons saouls avant d’avoir atteint le pont.

— Avec de la chance. Mais c’est là qu’on risque de glaner le plus d’informations.

— Et de s’amuser le plus.

Anakin sourit jusqu’aux oreilles.

— Moi, ça me va. Par laquelle voulez-vous commencer ?

Au terme d’un tour sur lui-même, Obi-Wan pointa du doigt une taverne située de l’autre côté de la rue. Au Pilote Indigent.

Quatre heures plus tard, à moitié saouls et frigorifiés, ils pénétrèrent dans la dernière taverne avant le pont. Après avoir brossé la neige sur leurs épaules et abaissé leur capuche, ils scrutèrent la clientèle entassée dans le bar, occupant presque toutes les tables.

— Guère d’occupations sur Naos III à part pêcher, commenta Anakin.

— J’ai comme l’impression qu’ici, on boit aussi pendant les heures de travail.

Prenant la place de deux Rodiens qui s’éloignaient du bar en titubant, ils commandèrent à boire.

Anakin sirota tranquillement son verre.

— Dix tavernes, autant de femmes lethiennes, chacune d’entre elles affirmant qu’elle est née ici. À vue de nez, nous allons rester dans le coin un certain temps.

— K’sar ne t’a pas fourni d’autres détails utiles – cicatrices, lekkus tatoués, ce genre de choses ?

Anakin secoua la tête.

— Rien du tout. Comme Obi-Wan faisait signe au tenancier humain, il ajouta : Commandez-moi un autre apéritif Twi’lek, et je vous coupe un bras.

Obi-Wan éclata de rire.

— J’ai trouvé le cocktail dans le bar précédent très goûteux.

Anakin ingurgita une nouvelle gorgée.

— En parlant de bras…

— On parlait de bras ?

— Oui. Enfin je crois. Peu importe. Vous vous rappelez l’épisode au Barbare, quand vous êtes parti chercher un verre ? Vous vous êtes douté que Zam Wessel allait vous suivre ?

— Bien au contraire, je pensais qu’elle allait te suivre.

— Ce qui voudrait dire que les changelins ont un petit faible pour moi ?

— Vu la manière dont tu te pavanais, quelle gente damoiselle aurait pu te résister ? Imitant la voix d’Anakin, Obi-Wan dit :

— Affaires Jedi.

— Donc vous l’admettez – vous vous êtes servi de moi comme appât.

— C’est l’un des privilèges qui accompagnent le statut de Maître. Tu as fait plus que te rattraper depuis, de toute façon.

Anakin leva son verre.

— Portons un toast à cela !

Voyant le tenancier approcher, Obi-Wan enfonça une puce de crédit sous son verre vide, qu’il fit glisser en avant.

— Un autre verre. Et gardez la monnaie.

Rouquin athlétique aux cheveux lui tombant jusqu’à la taille, le tenancier jeta un coup d’œil sur la puce de crédit.

— Une bien belle rémunération pour une libation aussi rudimentaire. Peut-être ces messieurs me laisseront-ils leur concocter quelque chose d’un peu plus goûteux.

— Pour tout vous dire, le goût que je préfère est celui des informations.

— Vous m’en direz tant.

— Nous sommes à la recherche d’une Lethienne, dit Anakin.

— Qui ne l’est pas.

Obi-Wan secoua la tête.

— Strictement pour affaires.

— C’est souvent le cas avec elles. Je vous suggère d’essayer l’Hôtel Palace.

— Vous n’avez pas compris.

— M’est avis que si.

— Écoutez, reprit Anakin, celle-là n’est probablement pas une… masseuse.

— Ou une danseuse, crut bon d’ajouter Obi-Wan.

— Et qu’est-ce qu’elle ferait sur Naos III, dans ce cas ?

— C’est une ancienne pilote – avec un goût prononcé pour l’épice.

Obi-Wan regarda attentivement le tenancier.

— Elle serait arrivée sur Naos III il y a moins de dix ans.

Leur interlocuteur plissa les yeux.

— Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? C’est Genne, à tous les coups.

— On nous a donné le nom de Fa’ale Leh.

— Mes bonhommes, sur Naos III un nom n’est rien de plus qu’une commodité.

— Mais vous la connaissez, insista Anakin.

— Oui.

— Alors vous savez où on peut la trouver.

Le tenancier secoua le pouce.

— En haut des escaliers. Chambre 7. Elle m’a dit que vous n’alliez pas tarder.

— Elle nous attend ? s’exclama Obi-Wan.

Le rouquin haussa ses massives épaules.

— Elle ne m’a pas dit qui elle attendait. Juste que si quelqu’un la demandait, je devrais le faire monter.

Ils annulèrent leur commande et marchèrent jusqu’au pied d’une longue rangée de marches.

— Un tour de passe-passe Jedi ? demanda Anakin.

— Si tel est le cas, je l’ai fait sans m’en rendre compte.

— Dix verres et vous voilà capable de miracles.

— C’est peut-être le cocktail Twi’lek. Mais le plus probable, c’est qu’on nous a tendu un piège.

— Alors tenons-nous sur nos gardes.

— Oui, Anakin, ce serait bien.

Obi-Wan le précéda dans les escaliers et frappa bruyamment à la porte en plastacier de la chambre 7.

— C’est ouvert, dit une voix à l’intérieur.

Ils s’assurèrent que leurs sabres laser étaient à portée de main, mais les laissèrent fixés à leur ceinture et les dissimulèrent. Obi-Wan appuya sur le bouton d’ouverture de la porte, puis suivit Anakin dans la chambre glaciale.

Vêtue de pantalons, de bottes et d’un blouson isolant, Genne – ou Fa’ale Leh, peut-être – était allongée sur un lit étroit, son dos et ses lekkus contre le dosseret, ses longues jambes étendues croisées au niveau des chevilles. Sur une petite table derrière elle trônait une bouteille à moitié vide de ce qu’Obi-Wan suspecta d’être du tord-boyaux artisanal.

Se mettant en quête de deux verres à peu près propres, elle proposa :

— Vous buvez quelque chose ?

— Nous avons déjà dépassé le seuil légal, lui répondit Anakin, sur ses gardes.

La remarque la fit sourire.

— Naos III ne connaît pas les limites légales, gamin. Elle avala une bonne rasade du contenu de son propre verre en les observant du coin de l’œil.

— En toute franchise, je ne m’attendais pas à des types dans votre genre.

— Bonne ou mauvaise surprise ? demanda Anakin.

— À quoi vous attendiez-vous ? enchaîna Obi-Wan.

— Aux gros bras habituels. À des larbins du Soleil Noir, des chasseurs de primes. Vous deux… vous ressemblez davantage à des Jedi qui auraient perdu leur chemin.

Elle marqua une pause, puis ajouta :

— Peut-être est-ce exactement ce que vous êtes. Les Jedi ont la réputation de jouer les punisseurs, eux aussi.

— Seulement quand il le faut, répondit Anakin.

Elle haussa les épaules d’un air absent.

— Vous voulez régler ça tout de suite ou vous allez m’offrir un dernier repas avant ?

— Régler quoi tout de suite ?

— Me tuer, bien sûr.

Anakin s’avança d’un pas.

— Il reste toujours cette possibilité.

Le regard de la Lethienne passa d’Anakin à Obi-Wan.

— Méchant Jedi. Gentil Jedi.

— Nous voulons vous parler d’un long-courrier que vous auriez piloté pour les Projets Avancés Sienar.

Elle inclina la tête en direction d’Obi-Wan.

— Évidemment. Un round de questions/réponses, puis un coup de blaster – non, d’épée laser dans la tête.

— Vous êtes donc bien Fa’ale Leh.

— Qui vous a dit où je me trouvais ? Thaï K’sar, je présume ? C’est le seul encore en vie. Ce petit traître de Bith…

— Parlez-nous du long-courrier, la coupa Anakin.

Quelque chose qu’elle semblait se rappeler la fit sourire.

— Un vaisseau extraordinaire – l’œuvre d’un génie. Mais au moment où je l’ai accepté, je savais que ce job reviendrait me hanter. Dont acte.

Obi-Wan parcourut la chambre du regard.

— Vous vous cachez ici depuis plus de dix ans.

— Non, je suis venue pour les plages. (Elle amorça un geste pour les congédier.) Vous savez, ils ont tué les ingénieurs, les mécaniciens, la moindre personne ayant travaillé sur l’appareil. Mais je m’en doutais. J’ai procédé à la livraison, récupéré ce qui m’était dû, et j’ai filé. Pas assez loin, malheureusement. Ils ont suivi ma trace sur Ryloth, puis sur Nar Shaddaa, puis sur la moitié des mondes abandonnés du Bras de Tingel. J’ai eu ma part d’échappées belles. Vous voulez voir mes cicatrices ?

— Ça va aller, lui répondit Obi-Wan alors que Fa’ale passait déjà sa lekku par-dessus son épaule.

Elle se servit un autre verre.

— Alors, dites-moi qui vous envoie – Sienar ? Ou celui pour qui ce long-courrier a été construit ?

— Et pour qui a-t-il été construit ? s’enquit Anakin.

Elle le considéra un moment.

— C’est le plus drôle de l’histoire. Sienar – Raith Sienar soi-même – m’a dit qu’il était destiné à un Jedi. Mais le mec à qui j’ai livré l’appareil – eh bien, ce n’était pas un Jedi. Oh, il avait un sabre laser et tout, mais… je sais pas, il avait quelque chose de bizarre.

Obi-Wan hocha la tête.

— Nous avons déjà eu l’occasion d’avoir affaire à lui.

— Où avez-vous livré le vaisseau ? la pressa Anakin.

— Eh bien, sur Coruscant, évidemment.

Obi-Wan leva les yeux au plafond.

Un instant après, celui-ci s’effondra en une pluie de chevrons de plastacier, de panneaux de toit couverts de neige, de tuiles et de deux mercenaires trandoshans lourdement armés – Obi-Wan avait eu le temps de courir jusqu’au lit, de le retourner, et de jeter Fa’ale Leh, le matelas en mousse et les couvertures sur le sol glacé.

Le rai de lumière bleue du sabre laser d’Anakin tourbillonnait déjà pour dévier les décharges de blaster et parer les coups de la vibrohache d’un Falleen à la peau rouge qui venait de défoncer la porte. Le Falleen était suivi par deux humains qui, dans leur hâte de pénétrer dans la pièce, avaient percuté le cadre de la porte.

Tournoyant en tous sens, Obi-Wan récupéra son sabre laser dans sa ceinture puis bondit en direction de la porte, sa lame tranchant net les mains des deux humains. Le hurlement d’agonie qui accompagna la chute du premier transperça l’air glacé. Le second tomba en avant directement sur la lame d’Obi-Wan. Une odeur de chair grillée emplît aussitôt la pièce, rendant encore plus irrespirable l’air déjà vicié par la fumée que les explosifs utilisés pour arracher le plafond avaient dégagée. Sans compter les énormes flocons de neige qui tombaient par l’ouverture.

À la gauche d’Obi-Wan, toujours au centre de la pièce, Anakin continuait de se mesurer aux deux aliens reptiliens ainsi qu’au propriétaire de la vibrohache. Les décharges de blaster qu’il parait allaient directement s’attaquer aux minces cloisons murales, au grand effroi des voisins de chambre de Fa’ale. Des portes s’ouvrirent puis claquèrent, et des bruits de pas résonnèrent sur le sol de l’entrée.

Pivotant sur son pied gauche, le Falleen essaya d’abattre sa vibrohache sur la tête d’Obi-Wan. Celui-ci esquivant le coup, passa au-dessous de la lame et parvint de justesse à entailler le Falleen au niveau de la cuisse gauche.

L’attaque ne fit qu’alimenter la fureur de l’humanoïde. Après avoir soulevé la hache au-dessus de sa tête, il s’élança avec l’intention évidente de sectionner Obi-Wan de haut en bas. D’un saut périlleux en arrière le Jedi s’écarta de la trajectoire de l’arme, mais la table de nuit de Fa’ale n’eut pas cette chance et finit fendue en deux. Les deux moitiés de table tombèrent au sol, projetant la bouteille d’alcool Twi’lek à travers la pièce jusqu’à rencontrer la tête du plus imposant des deux Trandoshans. Hurlant de rage, l’alien leva une main griffue jusqu’à son crâne ensanglanté, alors même que son autre main continuait à appuyer sur la détente de son blaster. Les tirs devenaient de moins en moins précis, aussi Anakin éleva-t-il sa main gauche en direction du Trandoshan et fit-il appel à la Force pour le repousser en arrière en direction de l’unique fenêtre de la chambre.

Déterminé à profiter de l’inattention d’Anakin, le partenaire du reptiloïde se fendit d’un mouvement dans sa direction.

Obi-Wan suivit des yeux le vol de l’alien à travers la pièce jusqu’à l’entrée, où quelqu’un poussa un hurlement à vous glacer le sang. Le Falleen, conscient qu’il se retrouvait seul face aux deux Jedi, leva la hache devant lui et commença à la faire tournoyer.

Anakin se recula hors de portée des cercles de la lame, puis se jeta en avant, sabre laser devant lui, pour se laisser glisser sur le sol humide et amputer les jambes du Falleen au niveau des genoux. Raccourci d’un demi-mètre mais pas moins enragé, l’humanoïde lança la vibrohache directement sur Obi-Wan, sortit un blaster de son holster et commença à tirer.

En plein vol de la lame vibrante, Obi-Wan vit Anakin débarrasser le Falleen de son blaster et de sa main, puis pointer son sabre laser directement sur la poitrine de son adversaire. L’armure que l’humanoïde portait sous sa veste parvint à absorber l’énergie de la lame, mais la chaleur du sabre laser mit le feu aux anneaux explosifs que le Falleen portait en bandoulière.

S’éloignant tant bien que mal du sabre laser sur ses jambes cautérisées, le Falleen se mit à taper de plus en plus frénétiquement sur les flammes grandissantes, avant de se retourner et d’exécuter un magnifique plongeon par la fenêtre – pour exploser juste au-dessus des amoncellements de neige qu’il cherchait sans doute à atteindre.

Le silence qui envahit soudain la pièce n’était troublé que par le grésillement des flocons de neige tombant sur les sabres laser.

— Sortons-la d’ici ! cria Obi-Wan.

Une fois son arme désactivée, Anakin sortit Fa’ale de dessous le matelas et la remit sur pied.

Vacillant comme si elle avait bu, elle embrassa des yeux la chambre en ruine.

— Vous deux, vous me plaisez bien – pour des Jedi. Désolée de vous avoir mêlés à tout ça.

Avisant une bouteille qui avait survécu par miracle au carnage, elle s’apprêta à s’en saisir. Quand elle s’aperçut qu’Anakin la retenait, elle ferma les poings et se mit à marteler sa poitrine et le haut de ses bras.

— Arrête de jouer les héros, gamin ! J’en ai marre de toujours courir. C’est la fin – pour nous tous.

— Pas avant que nous en ayons décidé, lui dit Anakin.

Elle s’affaissa dans son étreinte.

— C’est bien le problème. C’est pour ça que nous sommes en guerre.

Anakin entreprit de la tirer jusqu’à la porte.

— Joli timing, dit Obi-Wan depuis la fenêtre.

— Nous allons avoir six invités de plus. Une décharge de blaster détruisit ce qui restait du cadre de la fenêtre.

Anakin hissa une fois encore Fa’ale sur ses pieds et se planta face à elle.

— Ça fait plus de dix ans que vous semez des assassins. Vous avez forcément une issue de secours. Il la secoua violemment.

— Où ça ?

Elle demeura un moment sans réagir, puis ferma les yeux et hocha la tête.

Obi-Wan et Anakin la suivirent jusqu’à un réduit situé au bout de la salle. Dissimulés derrière une fausse cloison, deux poteaux brillants descendaient dans l’obscurité. Fa’ale s’en saisit d’un et disparut aussitôt à leur vue. Anakin passa en second. À travers la porte fermée, Obi-Wan pouvait entendre une foule dépasser le réduit pour se diriger vers la chambre de la Twi’lek. Après s’être agrippé au poteau avec ses bras et ses jambes, il laissa la gravité faire le reste.

Il descendit plus longtemps qu’il ne s’y était attendu. En fait d’aboutir au rez-de-chaussée de la taverne, les poteaux traversaient l’intégralité de la colline sur laquelle cette portion de Naos III avait été construite, et ce jusqu’à la rivière souterraine qui coulait en dessous. Leurs pieds disparaissaient dans une glace épaisse. La faible lumière naturelle permit à Obi-Wan de distinguer autour de lui la caverne qui était devenue une sorte de crique pour la rivière. À proximité de la base des poteaux stationnaient trois traîneaux à effet de sol, équipés de moteurs apparemment puissants et de longues paires de skis.

— Je suis trop saoule pour conduire, lâcha Fa’ale.

Anakin, qui avait déjà enjambé le siège étroit de la machine, en étudiait les contrôles.

— Je m’en occupe, lui dit-il. Une chiquenaude sur un interrupteur suffit à convaincre le moteur de se mettre à tousser ; son bruyant ronronnement se communiqua aussitôt aux profondeurs de la grotte.

Obi-Wan enfourcha un autre traîneau, tandis que Fa’ale se plaçait derrière Anakin.

— Celui-là, puis celui-là, dit Anakin en pointant du doigt les deux boutons de mise à feu. Une fois la démonstration faite, il ajouta :

— Propulseurs, contrôle du tangage, dirigez-le comme ça.

Obi-Wan s’en trouva aussitôt embarrassé.

— Comme ça ?

— Non, comme ça ! Anakin lui expliqua à nouveau le fonctionnement des commandes de vol, puis indiqua à Obi-Wan une autre rangée de boutons sur le panneau de contrôle de leurs machines.

— Répulseurs. Mais uniquement pour passer les petits monticules de glace, les débris gelés, ce genre de choses. Ceci n’est ni un speeder conventionnel, ni même un swoop.

— Tu te rappelles l’endroit où nous avons stationné le croiseur ?

— Je ne me souviens même pas de l’atterrissage. Mais ça ne peut pas être loin d’ici.

— En aval, intervint Fa’ale. Descendez vers le sud en contournant le monticule, passez sous le pont puis prenez à l’ouest autour du monticule suivant. Deux autres ponts, encore un peu de slalom en direction du sud, et nous y serons.

Obi-Wan la dévisagea.

— Je vous suis.

Les deux traîneaux surgirent de la caverne et longèrent le cours de la rivière gelée.

Des décharges de blaster commencèrent à vaporiser la glace autour d’eux avant même qu’ils n’atteignent le premier pont. Regardant par-dessus son épaule, Obi-Wan vit trois traîneaux se rapprocher d’eux depuis l’amont.

Sur le pont, deux créatures engoncées dans un équipement grand froid visaient le Jedi avec un blaster à répétition monté sur pied.