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Qui-Gon Jinn n’avait jamais cru à l’efficacité des leurres, se disait Obi-Wan dans le turbo-ascenseur qui les conduisait jusqu’au niveau inférieur de la forteresse. L’usage de leurres supposait un certain degré d’anticipation, et Qui-Gon n’avait pas assez de patience pour cela.
Il prenait les situations telles qu’elles se présentaient, comptant autant sur ses instincts que sur son sabre laser pour faire face aux conséquences de ses choix. Il avait dû trouver particulièrement difficile la période au cours de laquelle il avait servi un Maître aussi méthodique que Dooku, planificateur accompli, duelliste accompli…
… et désormais un Sith.
Mais cela avait du sens, d’un certain point de vue.
La soif de dominer et de contrôler.
Pendant quelque temps, les mêmes questions avaient sous-tendu toutes les disputes entre Obi-Wan et Anakin. Il était évident qu’Anakin maîtrisait autant la Force que tout autre Jedi ayant jamais siégé au Conseil. Mais Obi-Wan le lui avait répété bien des fois : ce n’était pas en parvenant à la maîtrise de la Force qu’on touchait à l’essence du Jedi, mais en atteignant celle de soi-même.
Le jour où Anakin finirait par accepter cela, il deviendrait proprement irrésistible. Qui-Gon avait eu la perspicacité de le discerner voilà plus d’une décennie, et Obi-Wan se sentait redevable à l’égard de son ancien Maître pour l’aide qu’il avait apportée à Anakin dans l’accomplissement de sa destinée.
Sa foi en Anakin était si forte qu’Obi-Wan était devenu son défenseur le plus ardent face aux membres du Conseil qui avaient commencé à regarder d’un œil inquiet les prouesses du jeune homme, et d’un œil méfiant la relation de confiance presque filiale qu’il entretenait avec le Sénateur Suprême Palpatine. Si Obi-Wan était, aux dires mêmes d’Anakin, le père qu’il n’avait jamais eu, alors Palpatine devait être son oncle plein de sagesse, son conseiller, son mentor pour tout ce qui concernait sa vie en dehors du Temple.
Obi-Wan comprenait qu’Anakin le jalouse d’avoir été nommé au Conseil. Mais comment aurait-il pu réagir autrement, après avoir été consacré rien moins que « l’Élu », bercé par les louanges incessantes de Palpatine, forcé de prouver à son ancien Maître qu’il pouvait devenir le parfait Chevalier Jedi ?
En maintes occasions, les actions audacieuses d’Anakin les avaient sauvés de situations apparemment inextricables. Mais tout aussi souvent, ç’avait été la circonspection d’Obi Wan qui les avait tirés d’affaire. Que la prévoyance fut un don inné chez Obi-Wan, ou bien le résultat de sa fascination ininterrompue pour la Force unificatrice – la double vue –, Obi-Wan n’aurait su le dire. En tout cas il avait appris à faire confiance à l’instinct d’Anakin.
À l’occasion.
Sans cela, il aurait pu jouer le rôle d’appât.
— Nous arrivons, Général, dit Cody derrière lui.
Obi-Wan se retourna ; le commandant clone était en train de recharger son blaster DC-15. L’opération faisait un bruit caractéristique.
D’instinct, il plaça son pouce sur le bouton d’activation de son sabre laser.
— Comment comptez-vous procéder, Général ?
— C’est vous le maître tacticien, commandant. Je vous laisse prendre la tête.
Cody opina du chef, s’autorisant peut-être un sourire sous son casque.
— Eh bien, notre mandat est simple : tuer autant d’ennemis que possible.
Obi-Wan se rappela une conversation qu’il avait eue sur Ord Cestus avec un clone nommé Nate, à propos des analogies qui existaient entre les Jedi et les clones : les premiers, conduits par les midichloriens à servir la Force ; les seconds, élevés et programmés pour servir la République.
Mais l’analogie s’arrêtait là, puisque les soldats ne réfléchissaient jamais aux répercussions de leurs actes. Dans l’épreuve, ils exécutaient leurs ordres au mieux de leurs possibilités, alors qu’à un moment ou à un autre même le plus empressé des Jedi connaissait le doute. Qui-Gon n’avait jamais cessé de critiquer l’autoritarisme du Conseil, sa propension à cultiver des méthodes d’enseignement drastiques. Il voyait le Conseil comme un endroit où des candidats étaient programmés pour devenir des Jedi, plutôt qu’un lieu propice à l’épanouissement de leur identité. Qui-Gon n’était pas étranger à ce que les Jedi appelaient les « négociations agressives », qui impliquaient généralement davantage l’usage du sabre laser que celui de la diplomatie. Mais Obi-Wan se demandait ce que Qui-Gon aurait dit de la guerre. Il se rappelait comme si ça avait été hier les sarcasmes de Dooku sur Géonosis, quand il avait enjoint Qui-Gon d’épouser la cause Séparatiste.
Dès l’arrêt du turbo-ascenseur, deux commandos lancèrent des grenades commotionnantes dans le couloir qui s’ouvrait devant eux. De tous côtés, des droïdes de combat fiaient projetés contre les murs et le plafond. Le couloir se remplit bientôt d’un torrent de décharges de blaster. Obi-Wan, Cody et les autres se jetèrent en plein milieu de la grêle horizontale. Des blasters à répétition s’éveillèrent en rugissant. Le staccato des explosions décimait les droïdes, mais des renforts arrivaient déjà pour leur prêter main-forte.
Deux commandos tombèrent sous le feu ennemi tandis que l’équipe d’Obi-Wan s’ouvrait un chemin dans le couloir en direction des salles de conditionnement et d’embarquement de la citadelle. À mi-chemin, ils tombèrent sur un contingent de super-droïdes de combat que les Neimoidiens avaient lâché pour dénicher les agents infiltrés.
Comparer le filiforme droïde d’infanterie au corps noir du super-droïde de combat revenait à comparer un Muun à un champion de shockball. De promptes décapitations s’avéraient impossibles à cause de sa tête toujours engoncée, presque fusionnée à son large torse. Une lourde armure protégeait ses longs bras et ses jambes. Ses mains à prise unique ne lui servaient qu’à tenir ses blasters à haut degré de dispersion.
— On dirait bien qu’ils ont mordu à l’hameçon, Général ! s’exclama Cody tandis que lui, Obi-Wan et deux commandos se frayaient un chemin jusqu’à une salle attenante.
— Espérons que nous allons survivre à notre succès !
Cody pointa le doigt en direction de l’entrée d’une seconde salle juste en face de leur position.
— Par là, dit-il. Une seconde rangée de turbo-ascenseurs au fond. Il tapota l’épaule d’Obi-Wan. Allez-y, on vous couvre. Maintenant !
Obi-Wan se précipita vers la salle, déviant les tirs des Masters et estropiant deux super-droïdes de combat qui se trouvaient sur sa route. La salle en question était remplie de containers de transport de la taille d’un cercueil, montés sur répulseurs et construits dans quelque alliage léger. Des droïdes ouvriers transportaient les containers supplémentaires dans une aire de conditionnement adjacente. À l’improviste, un droïde de combat apparut sur le seuil de la porte. Obi-Wan jeta un coup d’œil au mécanisme mural qui commandait les portes coulissantes. Adoptant une position de défense, il se contenta de réitérer ce qu’il avait fait dans la grotte, retournant la première des décharges à l’envoyeur, et orientant la seconde de telle sorte qu’elle traverse la pièce jusqu’au mécanisme de contrôle de la porte.
Les choses auraient pu se dérouler comme prévu si un droïde ouvrier n’était entré dans la pièce au même moment, traînant derrière lui un container de transport en lévitation. Ricochant sur le sol, la décharge déviée traversa le container de part en part avant de toucher le mécanisme mural. Les portes coulissantes commencèrent à se fermer, mais le container endommagé les en empêchait désormais ; aussi entamèrent-elles un cycle d’ouverture/fermeture qui semblait ne pas vouloir prendre fin.
À chaque fois qu’elles s’ouvraient, un droïde de combat faufilait son blaster dans la pièce pour faire feu en tous sens, obligeant Obi-Wan à reculer jusqu’à l’entrée par laquelle il avait pénétré dans la pièce. Les commandos continuaient à échanger des tirs avec les super-droïdes de combat.
Mais quelque chose d’autre se tramait dans le même temps. Des fibres blanchâtres d’une quelconque substance vaporeuse commençaient à sortir du container de transport troué.
Obi-Wan comprit immédiatement de quoi il s’agissait.
Libérant une main de la poignée de son sabre laser, il commença à fouiller ses poches de ceinture à la recherche de son respirateur : en vain.
— Par le Bagne des Etoiles, jura-t-il, plus de dépit que de colère.
Déjà il commençait à se sentir partir…