18

C’est le début d’août, il reste un grand mois d’été. Dans le potager luxuriant, Clara et Étienne s’activent à cueillir petits fruits et légumes pour une livraison de paniers. Ils ne se parlent pas. Une armure de glace les entoure. Elle se relève et fixe le dos courbé de son compagnon. Elle est triste, extrêmement déçue par l’hermétisme d’Étienne depuis son retour de Toronto. Elle lui lance comme un poignard:

— Il a sept mois! Il s’appelle Gabriel! Il est beau comme un cœur…

Étienne répond tout en poursuivant sa besogne:

— Tu m’en parles pas!

— C’est pas parce qu’on parle pas de quelque chose que ça existe pas. T’as un petit-fils que tu le veuilles ou non. Et j’ai l’intention de le voir le plus souvent possible.

— Eh bien, ce sera lui ou moi. Choisis!

Elle lui décoche un regard malveillant, lui crie:

— Je choisis les deux!

Elle continue à mettre en bottes les radis fraîchement cueillis. Elle fulmine.

«Pourquoi? Pourquoi il est comme ça? Je comprends pas. Il est intelligent, ouvert, pourquoi il se braque autant? Pourquoi il punit notre fils unique d’être ce qu’il est, puisqu’il peut pas être autrement? Pourquoi il me punit, moi? Est-ce que j’ai voulu ça, moi, que mon fils soit différent? Bon, il me fixe. Il va faire comme toujours quand on se chicane, il va faire comme si de rien n’était. Ça m’énerve!»

Elle choisit de prendre les devants, alors qu’il empoigne un panier rempli d’aubergines et de courgettes.

— Ne fais pas comme si de rien n’était. Cette fois-ci, tu vas me parler, tu vas me dire pourquoi t’en veux à Claude et pourquoi tu veux ignorer son bébé.

— Parler en même temps que travailler, ça va pas vite, puis t’as une livraison aujourd’hui.

C’est avec rage qu’elle se jette sur les fèves, les arrache pour les lancer dans un panier. Il est ébranlé, mais il joue la carte de l’indifférence.

— Je me coucherai pas ce soir sans savoir ce qui t’empêche de voir ton petit-fils. T’as besoin d’avoir une maudite bonne raison.

— C’est assez de fèves jaunes. Mets-en des vertes aussi.

— Des fois, toi! Des fois!

— Toi aussi, des fois!

«Je me tais, j’ai trop peur de ce qui pourrait arriver, de ce que je pourrais décider sous le coup de la colère. Je le connais, orgueilleux comme il est, il serait capable de me laisser partir, et c’est pas lui qui viendrait me chercher. J’ai toujours fait les premiers pas, je lui ai toujours obéi. Quand je pense que j’ai accepté de pas revoir mon fils pendant des années parce qu’il me l’avait défendu, et cela sans même me donner de raisons. On s’est écrit, on s’est parlé au téléphone, on s’est envoyé des photos, mais j’ai pas trahi mon mari. Il m’avait fait jurer de pas revoir Claude, c’est tout. Je l’ai pas revu en chair et en os avant l’arrivée de mon petit-fils. Skype ça ne compte pas! Je peux pas le toucher, l’embrasser, enlever les taches sur son chandail, remettre en place une mèche de ses cheveux. À Toronto, j’ai serré mon grand fils dans mes bras, et quand j’ai bercé Gabriel, c’était comme retrouver mon petit gars à moi, mon petit Claude. C’était merveilleux. Quand je l’ai endormi, il serrait mon doigt dans sa petite main, c’est là que j’ai juré à Gabriel de toujours l’aimer, de pas le laisser tomber quoi qu’il arrive. Ce soir, Étienne va m’expliquer son comportement ou je le quitte pour toujours. Je vais déménager à Toronto!»