17

Un beau dimanche matin de juillet. Mireille est allongée au soleil sur une chaise longue, et Robert, en bedaine, bermuda et bas courts dans ses sandales, à l’aide d’une longue épuisette, retire les saletés de l’eau de la piscine. Derrière leur haie de cèdre, chez leur voisin de droite, retentissent les cris assourdissants des ados sur un trampoline. Du côté gauche, des enfants plongent et se chamaillent dans une piscine hors terre. Ennuyée par le boucan, Mireille se lève tout en zieutant son mari. Sans le quitter du regard, elle enlève sa robe de bain telle une strip-teaseuse, dévoilant son maillot de bain tout neuf acheté dans un sex-shop. Mais il poursuit sa cueillette de déchets comme s’il s’agissait de mines antipersonnel. Même pas un coup d’œil en coulisse à sa femme. Piquée, elle s’avance vers le bord de la piscine et, sous prétexte de vérifier la température de l’eau, elle y plonge son gros orteil tout en se tortillant pour mettre ses plantureuses courbes en valeur. Rien n’y fait. Il l’ignore totalement. Elle entre dans l’eau, se laisse flotter sur le dos, ses seins comme des bouées de sauvetage pour un homme à la queue paresseuse.

— Viens me rejoindre. L’eau est tellement bonne!

Elle se souvient que, très souvent, la piscine a fait partie de leurs préliminaires sexuels. Il ne lui répond pas. Elle est déçue.

«C’était le fun la piscine parce que c’était rare qu’on l’ait à nous deux, seuls. On pouvait se livrer à des cochonneries sous-marines. Maintenant que les enfants sont partis, qu’on a la piscine à nous deux, monsieur se baigne plus pantoute. Il a toujours été excité par mes maillots sexés, pis je l’ai payé une fortune ce maillot-là et il me regarde même pas. Il m’aime plus, c’est clair. Je suis laide, trop grosse, trop vieille. Et puis je suis plus une femme, je suis une ménopausée! Bonne à jeter aux vidanges! À quoi je sers si je peux même plus exciter mon mari?

«Avant, du temps que les enfants vivaient à la maison, je me sentais utile, nécessaire même. Notre vie était remplie par eux, par leurs bons coups comme par leurs mauvais. Comme Jonathan jouait au hockey et que Geneviève étudiait le ballet, on les voiturait, les encourageait, les consolait. On avait pas de vie; on vivait pour les enfants. Et quand on avait un petit moment à nous deux, on en profitait au boutte. Quand ils ont quitté la maison, c’est comme si on nous avait amputés des deux bras. Bien sûr, on a fait semblant d’être heureux de se retrouver en couple, mais on est morts. Je suis morte. Non, moi je suis pas morte puisque je suis pleine de désirs pour Bob. Lui? Il a plus de vie entre les jambes! Des érections artificielles, j’en veux pas. Je veux que ce soit moi qui les provoque ses érections, pas une maudite pilule bleue.»

— Bob, t’as eu des nouvelles des enfants?

— Non, toi?

— Non.

— Ils appellent pas souvent.

— Faut croire qu’ils s’ennuient pas.

— Tu leur as pas téléphoné toujours? Je t’avais dit de les laisser tranquilles.

— Non, j’ai pas téléphoné.

— Moi non plus.

La conversation est terminée. Ils ne savent plus quoi se dire. Robert range son épuisette sans regarder Mireille.

— Je vais aller faire un tour.

— Voir ta maîtresse?

Il hausse les épaules et la laisse mijoter dans le doute. Elle sort de la piscine, se trouve tout à coup ridicule dans son maillot rouge métallique qui met surtout en valeur ses riboudins de graisse. C’est d’un œil mauvais qu’elle le regarde entrer dans la maison.

«Demain, je me mets au régime. Plus de peanuts, de chips, rien que des bâtonnets de carotte et de céleri. Pis non, au diable la diète! Il en fait-tu une diète, lui? Y a pas juste moi qui a engraissé, lui aussi il est gros. Puis moi je l’aime pas moins pour ça… C’est vrai qu’un bedon d’homme c’est impressionnant, ça donne de la prestance, tandis que le gros ventre d’une femme…»

Sonnerie du téléphone qui est sur la table de la terrasse. Mireille s’enfarge, se heurte le petit orteil et prend l’appel en même temps que Robert, qui décroche dans la cuisine.

— Allô!

— Allô!

— C’est Jonathan.

— Puis Geneviève. On veut juste vous dire qu’on s’ennuie de vous autres puis qu’on vous aime même si on appelle pas souvent.

— Vivre en ville c’est excitant. On a toujours quelque chose à faire. Si vous saviez… Puis nos jobs d’été, ça prend beaucoup de notre temps.

— Geneviève, oublie pas que t’es allergique aux agrumes… Dans les cocktails, il y en a des fois…

— Ben oui, maman!

— Jonathan, c’est papa, oublie pas tes c-o-n-d-o-m-s. Les filles de la ville, tu sais comment elles sont, elles sautent sur les gars…

Les deux jeunes sont déçus, ils appelaient dans le fond pour se faire dire: «On s’ennuie de vous autres et on vous aime», mais les parents sont tous pareils avec leurs maudites recommandations, leurs jérémiades, quand ce n’est pas: «Vous appelez pas assez souvent… On vous voit plus…»

— Venez souper, les enfants! C’est dimanche. Votre père va faire un barbecue. On a des gros steaks et je peux faire un shortcake aux framboises.

— O.K. On a justement le goût de manger de la vraie bonne nourriture de maman et papa. On va arriver par l’autobus vers six heures. Bye!

— Bye!

Le couple raccroche, heureux. Robert sort sur la terrasse.

— T’as entendu?

— J’ai entendu.

— Tu vois, tu te faisais des drames pour rien, ils nous ont pas oubliés.

— Ils nous aiment.

— Ben oui, un grand amour, ça part pas tout d’un coup.

— Non, hein?

— Écoute Mimi, enlève c’t’affaire-là, c’est tout mouillé, habille-toi comme du monde, j’aimerais te parler.

Elle est certaine qu’il va lui avouer une infidélité ou deux ou plusieurs. Elle enfile son peignoir de bain et se dirige vers la maison.

«Il est macho, mais il parle de ses émotions. Moi aussi. On est un couple qui s’exprime… fort!»

Elle a revêtu un short et un chemisier transparent sur un soutien-gorge pigeonnant de dentelles noires. Elle a voulu faire sobre. Elle le rejoint au salon climatisé et s’assoit dans un des fauteuils de cuir. Il semble embarrassé. Elle s’attend à des révélations importantes, elle espère même les connaître, ses fameuses rivales, afin de sauter à pieds joints dans un drame qui mettrait un peu de piquant dans leur quotidien. Les drames, ça brasse les couples! Elle espère déjà des torrents de larmes suivis de cascades de rires qui deviendront des cris d’émois langoureux dans le lit. Mais il semble vouloir gagner du temps.

— Faut pas que j’oublie de sortir les gros steaks du congélo! Ton fils, il est comme moi, un gros mangeur de viande rouge, mais ta fille elle… elle a assez peur d’être grosse qu’elle mange comme un oiseau… Tu lui feras une crevette ou deux.

— Qu’est-ce que tu voulais me dire? Pis je sais pas si je veux entendre ce que tu vas me dire.

— J’en ai pas de maîtresse!

— Ça se peut pas. Si tu couches pas avec moi, faut que tu couches avec une autre.

— Pourquoi?

— Parce qu’un homme c’est de même.

— C’est comment un homme?

— Ça pense toujours à ça.

— À seize ans oui. Après ça se calme. Je suis calmé. Je pense que c’est ça que j’ai, je suis calmé.

— T’es supposé être en plein démon du midi!

Le téléphone sonne, Mireille prend l’appel.

— Allô?

— C’est Geneviève. Sais-tu là, maman, on est bien embêtés. Mon boss vient de m’appeler, je dois remplacer une employée malade. Pis Jonathan est parti aider son chum à déménager. On pourra pas aller souper finalement.

— C’est correct, ma puce. De toute façon, on avait annulé un barbecue chez des amis, on va pouvoir y aller finalement. Ça va être le fun…

— T’es fâchée?

— Moi? Pas du tout!

— Papa veut qu’on travaille pour payer nos études. Il va comprendre, lui.

— Ben oui. Il comprend tout, ton père.

— À la semaine prochaine. Peut-être…

— C’est ça. Peut-être la semaine prochaine. Bye.

— Bye.

Ils ne sont pas surpris. Déçus, mais pas surpris. Les parents, ça passe après, quand il n’y a rien d’autre à faire, ni personne d’autre à voir, quand on a besoin d’argent ou de se faire consoler d’une peine d’amour.

«Un autre dimanche plate en perspective. Je vais faire ma sauce à spag avec des boulettes épicées pour passer le temps. Il va s’affaler comme un gros lard devant la télé et regarder son sport en buvant de la bière. Je vais lui préparer une assiette. Il va manger devant la maudite télé ce que j’ai mis des heures à cuisiner, sans l’apprécier, comme pour se débarrasser d’une corvée. Il va me dire “Délicieux!” sur le même ton qu’il le dit depuis qu’on est mariés. C’est rendu que ce mot-là me donne le goût de tuer. Et puis il va monter se coucher tôt pour dormir avant que je me couche, au cas où j’y demanderais de s’exécuter. S’exécuter! Il a-tu toujours fait ça avec moi, s’exécuter? Si la nuit je me frotte contre lui, il me repousse en se virant de bord. Si je lui touche le pied, il le retire comme s’il avait pilé dans une bouse de vache. C’est vrai qu’avec mes maudites chaleurs, je suis une vraie fournaise. Bon, il se lève.»

— Où tu vas?

— Je vais regarder la télévision en haut.

— Je vais aller la regarder avec toi d’abord.

— C’est du base-ball. T’aimes pas ça.

— Bob!

Elle tire sur son bermuda et lui tend la main. Il hésite avant de s’asseoir à ses côtés. Elle place sa main sur un de ses seins. Il la retire vite fait.

— T’as mal au cœur de moi?

— Non!

— C’est quoi d’abord?

— Rien! C’est rien! Tu comprends pas, un homme c’est pas une femme.

— Je sais.

— Ben non, tu sais pas. Ç’a pas l’air que tu sais, sinon tu me laisserais tranquille.

— T’as toujours aimé ça me tamponner.

— Là j’aime plus ça. C’est-tu clair?

— Tu m’aimes plus.

— J’ai pas dit ça.

— Tu dis quoi, maudite marde? Qu’est-ce que tu voulais tant me dire quand tu pensais que les enfants venaient souper? Que t’avais pas de maîtresse? Puis après?

— Ça me tente plus…

— Je te tente plus?

— Non, pas toi… le sexe. Le tien puis les autres. J’ai plus de désir pantoute. Puis je veux que ça reste entre nous, que tu contes pas ça à personne, surtout pas au salon de coiffure. Ça regarde personne, nos affaires de couchette.

— Ah c’est ça. T’as mal au cœur de moi, mais il faut pas que ça se sache?

— Je suis en panne, Mimi! Je vais me faire dépanner. Ça va revenir comme avant.

— Il y a des garages pour pénis ramollis?

— Il y a des docteurs.

— T’en vois un?

— Une! C’est une femme médecin, c’est elle, la prescription pour le Viagra.

— Tu parles de nos histoires de couchette avec une autre femme?

— Un docteur!

— Femme!

— Je t’aime, Mimi.

— Ça se dit bien ça, je t’aime. Ça en bouche un coin. Je te trompe, mais je t’aime. Va dire ça aux pompiers, ils vont t’arroser. Tu me donnes des chaleurs. Fais de l’air!

Envahie par une bouffée de chaleur, elle enlève son short et son chemisier, qu’elle foule du pied. Elle ouvre brusquement la porte moustiquaire de la terrasse, se débarrasse de son soutien-gorge et court se jeter dans la piscine. Découragé, malheureux, la queue basse – et ce n’est pas un euphémisme –, il monte à la chambre, allume la télé et s’étend de tout son poids sur le couvre-lit en satin embossé.

«On a pus les dimanches qu’on avait. Avant, du temps que je bandais, on se levait toujours de bonne humeur parce qu’on savait que, l’après-midi, on ferait une sieste sexée, porte barrée. Juste savoir ça, ça nous mettait du pep dans le toupet dès le déjeuner. On se frôlait, on se bécotait, on se caressait dans le dos des enfants. On s’émoustillait. On payait le cinéma aux enfants, et quand ils étaient partis… Youpi! À leur retour, on était rassasiés pour la semaine. Je m’ennuie de ces dimanches-là. Je l’aime pas moins, ma Mimi. Je la trouve toujours aussi fine… mais juste entre deux chaleurs. C’est moi, il paraît. C’est pas mon pénis en tant que tel, la docteure m’a fait passer tous les tests et il est en parfaite condition, c’est dans ma tête, ç’a l’air. Qu’est-ce que j’ai dans la tête de pas correct? Puis si c’était vrai, ce que la docteure dit, et que c’est Mimi qui m’excite plus? La chanson d’Aznavour Tu te laisses aller, c’est ma femme tout craché. Elle a plus la taille qu’elle avait, elle en a plus pantoute de taille. Moi non plus, faut dire, mais moi c’est pas pareil. Je suis un costaud. Elle, elle est grosse. Puis elle a pris un coup de vieux. Même si elle se fait teindre, je le vois bien que sa repousse est grise. Moi, j’ai pas de cheveux gris. Faut dire que j’en ai plus beaucoup de cheveux, rien qu’une petite couronne autour du coco, mais au moins je me teins pas. Ça se peut pas que ce soit parce qu’on vieillit qu’on désire plus. Je vois des hommes de soixante-cinq ans avec des jeunes filles et ils bandent; ils font des enfants. C’est autre chose, mais je sais pas quoi. Astheure qu’on a le temps, qu’il y a plus d’enfants dans le chemin, qu’on pourrait faire l’amour à toute heure du jour… ça me le dit plus. Je peux pas croire que je guérirai pas. Je peux pas croire que je vais rester pogné de même. Au diable le base-ball, je vais me mettre sur mon trente et un, je vais sortir et je reviens pas tant que j’ai pas trouvé si c’est moi ou elle la cause.»