TROU DE MÉMOIRE
Des vers du poète, Séléné ne lira plus rien après avoir entendu son troisième livre : « Que dire de la femelle qui, naguère, attacha ses souillures à nos armes et qui, usée par les étreintes de ses valets, a réclamé pour prix de son mariage obscène les murs de Rome ? »
C’est de sa mère qu’il s’agit. Et ce « mariage obscène » est celui dont elle, Séléné, est issue – à moins, bien sûr, qu’elle ne soit le fruit des « étreintes des valets »… Le reste n’est qu’une suite d’ordures qui n’épargnent même pas le noble suicide : « Une putain, reine de Canope la Corrompue, flétrissure de sa lignée, a voulu tendre ses moustiquaires sur la roche Tarpéienne… Célèbre, Rome, le Triomphe d’Auguste ! Car tu eus beau fuir, Cléopâtre, tes poignets ont reçu les chaînes romaines. J’ai vu tes bras mordus par les serpents sacrés : “Rome, disais-tu de ta langue engourdie par les beuveries, Rome, avec un Prince de cette valeur tu n’avais pas à me redouter !” »
Un écrivain rampant, voilà ce qu’est devenu Properce. Nous aussi, nous connaissons ces métamorphoses – quand, pour séduire un Staline, un Mao, le prince des poètes devient crapaud… Mais en ces temps lointains, c’était neuf. Rendons à Auguste ce qui est à Auguste : en politique il a tout inventé, y compris l’embrigadement des plumitifs. Properce y perdit son talent, puis sa vie. Papillon piégé dans la toile de l’araignée, il ne resta de lui qu’un peu de poussière d’ailes – de la poudre aux doigts de Séléné lorsqu’elle touchait, rêveuse, les seize cordes de sa cithare.