MÉMOIRE VIVE
La petite fille s’attarde sous la maigre treille du péristyle. Au-delà des colonnes peintes en rouge, un minuscule jardin clos : quatre buis jaunis, un moignon de poirier (les chèvres mangent tout), une fontaine presque tarie. Il fait chaud. L’air sent la paille et le suint. Un vent sec apporte par bouffées les clameurs d’une foule lointaine, une houle qui ne rafraîchit rien. « L’enfant d’hier n’existe plus. »
À quel moment cesse-t-on d’être un enfant ? Lorsqu’on a compris que tous les hommes ne vous veulent pas du bien ? que ce visage souriant, penché sur un berceau, peut être celui d’un assassin ? L’âge de la confiance, Séléné en est sortie depuis longtemps. Pourtant, elle n’a pas fini de quitter Alexandrie.
Il arrive encore que, malgré elle, son corps se souvienne. Quand elle se couche sur le vieux muret du péristyle, dans la ferme d’Agrippa, elle sent sous sa joue le grain tiède de la pierre, sous ses doigts le lichen qui ronge le mortier, sous ses reins le soleil nu. Alors, elle ferme les yeux et retourne à Alexandrie. Sur la terrasse du Palais Bleu.
Elle sait qu’elle peut, immobile, s’enfoncer dans le rocher, « pierre caresse, me console douce »… Il lui suffit, pour cela, de rester à l’extérieur d’elle-même. De se tenir à la surface. Elle est un fruit sans noyau, sans cœur, un fruit tout en peau.