OUBLIER
Dans la maison d’Octavie, Séléné s’allonge sur son petit lit de bois. On n’a laissé qu’un lucubrum à son chevet, une minuscule lampe à bec décorée d’un palmier, qui jette un jour blafard sur le mur sans tirer la chambre de l’obscurité.
Certains soirs, en s’endormant, elle se souvient d’Alexandrie comme d’un matin : l’ordre clair de la ville, la lumière de la mer, les mouettes du Palais Bleu. Des femmes, hautes et nues, passaient sur les terrasses. Si lentes.
Certains matins, en s’éveillant, elle se souvient d’Alexandrie comme d’un soir : la lueur lointaine et rassurante du Phare sur le bassin des Mille Colonnes, et ces guirlandes de lampes, ces labyrinthes de torches qui travestissaient les roseraies quand la Reine mettait la nuit en robe de banquet.
Puis, brusquement, il est midi. Des portes qui éclatent. Le feu noir, le galop d’un cheval aux sandales de fer, le sang. La terre qui s’ouvre et aspire Césarion, Antyllus, Ptolémée. Un trou béant… Alors elle voit, elle sait : ses jardins n’ont plus de pays, ses mouettes n’ont plus de nid.