DAMNATIO MEMORIAE
Que reste-t-il de Cornelius Gallus qui fut, en son temps, le maître de l’élégie ? Deux vers que j’ai cités, et que Virgile ne put supprimer des anciennes copies de ses Bucoliques. Deux vers – « Ne prends pas froid… » – comme un baiser d’adieu à sa belle Cythéris, disparue dans les brumes de Germanie. Et rien d’autre pendant deux mille ans : damnatio memoriae.
Puis, soudain, en 1978, dix vers de plus, trouvés sur un fragment de papyrus, dans le désert, au sud d’Assouan. Des vers composés après le triple Triomphe d’Octave dans les rues de Rome, des vers écrits par le nouveau préfet d’Égypte à la louange du Prince – ce Prince qui allait bientôt l’accuser de « malveillance » et le condamner à mourir.
Alors, je rêve. Je rêve qu’un jour les sables nous rendront un livre entier des Amours de Gallus. Et les danses érotiques de l’insolente Cythéris, et son chant, pareil à celui des tourterelles. Je rêve que les deux amants – et, avec eux, Marc Antoine, Octavie, Juba, Séléné – retrouveront enfin la place qu’ils méritent. Un seul livre, et ils seront sauvés…
Avec ferveur, avec confiance, j’attends ce retour du passé. Car jamais pour moi les morts ne seront des étrangers : ils s’invitent dans ma maison, je les visite dans leur demeure.