CHAPITRE VI
Le camp du cirque
QUAND les enfants approchèrent de l’extrémité du lac, ils virent de nombreuses voitures disposées en un large cercle, et des tentes au milieu. L’éléphant était attaché à un gros arbre. Les chiens couraient en tous sens. Des chevaux trottaient sous l’œil de leur dresseur, non loin du camp.
« Ils sont tous là ! » S’exclama Mick, ravi.
Annie se dressa sur son siège, pour mieux voir.
« Par exemple ! On dirait que le chimpanzé est en liberté, dit-elle. Non, quelqu’un le tient en laisse. Je croîs que c’est Pancho !
— Oui, c’est bien lui, assura François. Le chimpanzé porte un petit short blanc et une chemisette rouge ! Comme c’est comique ! »
Les enfants examinaient tout curieusement. Peu d’hommes et de femmes étaient dehors par ce chaud après-midi. Seuls, le dresseur de chevaux, Pancho et quelques mères de famille qui couraient après leur marmaille indisciplinée avaient renoncé à faire la sieste.
Les chiens de cirque aboyèrent bruyamment à l’approche du Club des Cinq. Deux hommes sortirent des voitures et regardèrent les nouveaux arrivants d’un air surpris. Pancho et son chimpanzé s’approchèrent des enfants.
« Bonjour, Pancho ! dit François. Tu ne t’attendais pas à nous voir, n’est-ce pas ? »
En entendant son nom, Pancho fut bien étonné. Tout d’abord, il ne reconnut pas les enfants. Puis, soudain, il poussa un cri de joie.
« C’est vous que j’ai vus la semaine dernière sur la route ! Qu’est-ce que vous êtes venus faire par ici ? »
Dagobert semblait inquiet. Il grondait sourdement. Claude expliqua à Pancho :
« C’est la première fois que Dagobert voit un chimpanzé. Crois-tu qu’ils pourront s’entendre ?
— Je n’en sais rien, dit Pancho. En général, Bimbo aime bien les chiens. Quand même, empêche le tien de montrer les crocs, il pourrait lui arriver malheur ! C’est très fort, un chimpanzé, tu sais !
— Il faudrait que je me mette bien avec Bimbo, dit Claude. S’il consentait à me serrer la main, Dagobert verrait qu’il est mon ami, et il cesserait de gronder. Mais je ne sais pas si ton singe voudra…
— Bien sûr que si ! s’écria Pancho en riant. S’il n’y a que ça pour arranger les choses… Il est gentil, Bimbo, tu vas voir. Tends-lui la main ! »
Annie se demandait comment Claude avait l’audace de tendre sa main au chimpanzé. Celui-ci prit les doigts de Claude et les porta à sa bouche, comme pour un cérémonieux baisemain… Seulement, il les mordilla quelque peu, sans faire mal, et Claude se libéra précipitamment. Tout le monde riait.
« Il est farceur, mais il ne mord pas, ne crains rien », dit Pancho à Claude.
Celle-ci, rassurée, se tourna vers son chien.
« Dagobert, je te présente Bimbo, dit-elle gravement. C’est un ami. Gentil Bimbo ! »
Elle flattait l’épaule du chimpanzé pour bien faire comprendre à Dagobert qu’elle aimait Bimbo. Le singe répondit à cette marque d’amitié en lui caressant la tête et en lui tirant une boucle.
Dagobert remua la queue. Il semblait hésiter encore. Quelle était donc cette étrange bête que sa maîtresse paraissait tant aimer ? Enfin, il fit un pas vers Bimbo, et, se souvenant de ses bonnes manières, lui tendit la patte. Bimbo la saisit et la secoua vigoureusement. Puis il fit deux pas en contournant Dagobert, attrapa la queue du chien et la secoua non moins vigoureusement.
Dagobert, désemparé, ne savait que penser d’un tel comportement. Ce n’était pas précisément de son goût. Enfin ! Puisque Claude paraissait tenir à ce qu’il fût ami avec cette drôle de bête, mieux valait sans doute ne pas protester. Il se contenta de s’asseoir en ramenant sa queue sous lui. Les enfants riaient aux larmes. Dagobert se consola en voyant arriver Flic et Flac, les deux petits chiens savants qu’il reconnut aussitôt. Eux non plus ne l’avaient pas oublié.
« Tout va bien, constata Pancho. Flic et Flac présenteront Dagobert aux autres chiens du cirque. Nous voilà tranquilles de ce côté-là… Hé ! Attention à Bimbo !
Le chimpanzé s’était glissé derrière François et introduisait sans se gêner sa main dans la poche du jeune garçon. Pancho, courroucé, lui fit retirer sa main et lui donna une tape.
« Vilain singe ! Voleur ! » lui dit-il.
Le chimpanzé se couvrit la face comme s’il était honteux de son geste. Mais les enfants s’aperçurent qu’il regardait à travers ses doigts écartés et que son œil luisait, malicieux.
« Quand Bimbo viendra vous voir, méfiez-vous toujours de lui. Il aime bien chiper ce qu’il y a dans les poches. Je n’arrive pas à l’en empêcher ! Dites-moi, est-ce que ces roulottes sont à vous ? Ce qu’elles sont belles !
— Nous les avons louées, dit Mick. C’est en voyant passer le cirque, avec toutes vos roulottes, que nous avons en l’idée de nous en procurer pour faire un petit voyage.
— Et nous avons eu envie de te retrouver pour que tu nous montres les animaux, ajouta François. J’espère que cela ne t’ennuie pas.
— Au contraire, je suis très content, dit Pancho en devenant rouge de plaisir. Ce n’est pas souvent que des enfants comme vous veulent devenir amis avec un saltimbanque comme moi… Je vous montrerai tous nos animaux, les singes, les chiens et les chevaux du cirque !
— Oh ! merci ! crièrent quatre voix.
— Hep ! Bimbo ! Veux-tu rester tranquille ! lança Pancho à l’adresse de son singe. Regardez-le taquiner votre chien ! »
Mais Dagobert ne se laissait pas faire. Il semblait même trouver un certain plaisir à déjouer les ruses du singe.
« C’est le comique du cirque, n’est-ce pas, Pancho ? dit François.
— Oui, il n’arrête pas de faire des blagues ! Quelquefois, il met tout sens dessus dessous… Il faut le voir avec mon oncle Carlos, qui est le meilleur clown de la troupe, je vous l’ai dit. Bimbo, dans son genre, est aussi un bon clown.
— J’aimerais bien voir leur numéro, dit Annie. Es-tu sûr que ton oncle te permettra de nous montrer tous les animaux ?
— Je ne lui demanderai pas la permission.
—Mais vous serez bien polis avec lui, hein ? Il n’est pas commode quand il est en colère ! Il pique des rages terribles ! »
Annie fronça le nez.
« J’espère qu’il n’est pas là pour le moment, murmura-t-elle en jetant autour d’elle des regards inquiets.
— Non. Il est parti je ne sais où, répondit Pancho. Il aime à être seul. Il n’a pas beaucoup d’amis dans le cirque, seulement Lou l’acrobate. Tenez, voilà Lou qui sort de sa voiture ! »
Lou était un grand garçon maigre qui semblait tout désarticulé, avec un visage anguleux, assez laid, et des cheveux noirs frisés. Il s’assit sur les marches de la roulotte, et se mit à lire un journal tout en fumant sa pipe. Les enfants pensèrent que cet homme et l’oncle de Pancho étaient en effet bien assortis : aussi peu sympathiques l’un que l’autre.
« Est-ce que Lou est un bon acrobate ? demanda Annie tout bas.
— De premier ordre ! répondit Pancho avec une admiration évidente. Il peut escalader n’importe quoi, il monte à un arbre comme un singe… Je l’ai même vu grimper le long de, la gouttière d’un grand immeuble comme un chat ! Et il danse sur la corde raide. C’est difficile, ça, vous savez ! »
Les enfants regardèrent Lou de tous leurs yeux. L’homme sentit leurs regards peser sur lui, tourna la tête vers eux et fronça les sourcils.
« Eh bien, pensa François, c’est peut-être un excellent acrobate, mais il n’est guère aimable ! Décidément, il ne me plaît pas plus que l’oncle de Pancho ! »
Lou se leva et s’avança vers les enfants. Les sourcils toujours froncés, il s’adressa à Pancho :
« Tu connais ces gosses-là ? Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ?
— Nous sommes venus dire bonjour à Pancho », dit poliment François.
Lou jeta un regard irrité sur François, et demanda brusquement :
« C’est à vous, ces roulottes ?
— Oui, répondit François.
— Pas mal, apprécia Lou en connaisseur. Il y a bien quelqu’un qui vous accompagne ?
— Non. C’est moi le responsable, dit François fièrement. Et nous avons un bon chien de garde avec nous. »
Dagobert s’approcha de Lou, en grondant sourdement. De toute évidence, l’acrobate ne lui plaisait pas. Lou lui envoya un coup de pied. Claude retint Dagobert qui déjà bondissait.
« Si vous donnez des coups de pied à mon chien, il vous mordra ! cria Claude furieuse. Maintenant, il vaut mieux que vous évitiez de vous trouver sur son chemin, sinon vous courrez des risques... »
Lou cracha par terre en signe de mépris. Il dit en s’éloignant :
« Vous allez décamper en vitesse ! Nous ne voulons pas de gosses ici, pour nous causer des ennuis. Et je n’ai pas peur de votre sale cabot ! Je sais comment m’y prendre avec les bêtes dangereuses !
— Que voulez-vous dire par là ? » demanda Claude.
Mais Lou ne se souciait pas de donner des explications. Il monta les marches de la roulotte et claqua la porte derrière lui. Dagobert se mit à aboyer de sa plus grosse voix, tout en tirant sur son collier que Claude tenait toujours fermement.
« Ça y est, vous avez mis Lou en colère, dit Pancho navré. Vous feriez mieux de ne pas rester ici ! Et prenez bien garde à votre chien, ou bien il disparaîtra…
— Dagobert, disparaître ? Si tu te figures que mon chien, se laisserait voler par qui que ce soit, tu te trompes ! cria Claude.
— Bon, ça va. Je te prévenais seulement. Ce n’est pas la peine de crier. Si on allait voir ce que fait mon singe, qui vient d’entrer dans votre roulotte verte ? »
Bimbo avait déniché une boîte de bonbons et se servait généreusement. Dès qu’il vit les enfants, il enfourna une poignée de bonbons dans sa bouche, poussa un grognement et se voila la face. Mais, en même temps qu’il prenait cette attitude confuse il suçait bruyamment les bonbons.
« Bimbo ! Voleur ! Tu mérites le fouet ! s’écria Pancho.
— Oh ! Non ! protesta Annie. C’est un polisson, mais il est si amusant ! Nous avons beaucoup de bonbons en réserve. Prends-en donc aussi, Pancho.
— Merci ! » dit Pancho en se servant sans se faire prier. Il sourit largement et ajouta : « C’est chic d’avoir des copains comme vous ! N’est-ce pas, Bimbo ? »