CHAPITRE I
Vive les vacances !
« J’AIME le début des grandes vacances, dit François. On a l’impression qu’elles ne finiront jamais…
— Oui, et pourtant elles passent si vite ! soupira Annie.
— Ouah ! fit une grosse voix.
— Dagobert t’approuve, Annie », dit Claude en caressant le gros chien couché auprès d’eux.
François, Mick et Annie Gauthier jouaient avec leur cousine Claude Dorsel, dans un grand jardin ensoleillé. C’était leur troisième jour de liberté. D’ordinaire, ils passaient leurs vacances à Kernach, dans la maison familiale de Claude. Mais cette fois, pour changer, ils se retrouvaient tous à Grenoble.
Les parents des jeunes Gauthier y possédaient une villa où ils venaient se reposer pendant les vacances. De cette villa, située loin du centre, à flanc de coteau, on avait une vue splendide sur les montagnes.
François, un grand garçon robuste, avec un visage ouvert, était l’aîné des quatre. Mick et Claude venaient ensuite. Claude ressemblait plus à un garçon bouclé qu’à une fille. Annie était la plus jeune. Elle prit la parole :
« Papa m’a demandé ce matin si nous nous plaisions ici et si nous aimerions y rester pendant toutes les vacances. Pour ma part, je m’y trouve bien. Et vous ?
— Peut-être pourrions-nous faire un petit tour ailleurs pendant une quinzaine de jours, avança Mick. Histoire de nous changer les idées !
— Claude aimerait peut-être que nous allions passer quelque temps à Kernach ? dit François.
— Non, répondit Claude aussitôt. Maman m’a prévenue que papa commençait l’une de ses expériences… Vous savez ce que ça signifie ! Si nous allons chez moi, il faudra éviter de nous trouver sur son chemin, marcher sur la pointe des pieds et parler à voix basse…
— Ce n’est pas drôle pour toi d’être la fille d’un savant, remarqua Mick en s’étirant. Bien sûr, ta mère ne peut pas nous accueillir chez elle quand ton père est en train de faire ses expériences… Il lui faut du calme !
— J’aime bien mon oncle Henri, mais j’ai peur de lui quand il est en colère, dit Annie. Il crie si fort !
— Donc, nous n’irons pas à Kernach cet été, conclut François. Qu’allons-nous faire, alors ? Bien sûr, c’est agréable ici, et nous avons un grand choix d’excursions tout autour de Grenoble, mais, je ne sais pourquoi, j’aimerais bien partir un peu… à l’aventure… »
Claude soupira. Elle aussi pensait de même. Fatigués par la chaleur, ils s’étendirent dans l’herbe, à l’ombre d’un cerisier. Quel chaud après-midi ! Ils ne se sentaient plus le courage de bouger. Ils regardaient les belles montagnes des alentours, et pensaient à l’air vif, à la fraîcheur qu’on y trouvait. Mais c’était loin…
« Assez, Dago ! dit Annie au chien qui haletait et tirait la langue. On dirait que tu as couru pendant des heures. Tu me donnes encore plus chaud ! »
Le chien posa une patte amicale sur l’estomac d’Annie qui poussa un petit cri.
« Dagobert, as-tu fini tes plaisanteries ?
— Si nous pouvions aller loin, au-delà des montagnes que nous voyons ! » soupira Claude, pensive. Elle mordillait un brin d’herbe. « Vous souvenez-vous comme nous nous sommes bien amusés quand nous étions seuls sur l’île de Kernach, par exemple ? Ne pourrions-nous pas partir ensemble et camper dans la montagne ?
— Mais où ? demanda Mick. Et comment ? Nous n’avons pas l’âge de conduire une voiture… C’est dommage d’ailleurs, car je suis sûr que nous aurions vite fait d’apprendre. Reste la bicyclette. Mais ce ne serait pas drôle, il y aurait trop de côtes et Annie ne suivrait pas bien…
— J’aimerais partir à cheval, dit Claude. Seulement voilà, nous n’avons pas de chevaux !
— Tu oublies Nestor, qui est en train de paître là-bas, dans la prairie, protesta Mick. Il est à nous ! C’est sur son dos que nous avons appris à monter à cheval. Nous ne l’utilisons plus guère, maintenant, alors, il se repose.
— Un cheval ne pourrait pas nous porter tous les quatre », objecta Claude.
Il y eut un silence. Chacun se mit à songer à la façon d’employer au mieux les vacances. Pendant ce temps, Dagobert attrapait les mouches au vol.
« Que diriez-vous d’une promenade à pied ? » proposa François après un moment de réflexion.
Un concert de grognements lui répondit.
« Quoi ! Par cette chaleur ? Tu es fou !
— Ce ne serait pas drôle de marcher longtemps sous le soleil. Et puis, il est trop tard pour faire une excursion intéressante…
— Eh bien, essayez de trouver une meilleure idée, répliqua François.
— Puisque nous ne pouvons pas aller au bord de la mer, dit Annie, j’aimerais bien passer quelques jours auprès d’un lac, pour m’y baigner.
— Moi aussi ! » approuva Mick.
Mais ce n’était pas une question facile à régler. Ils ne voulaient pas aller dans un hôtel ni louer une chambre chez des particuliers dont il ne faudrait pas déranger les habitudes. Ils ne voulaient pas non plus marcher ou pédaler sous le chaud soleil de juillet.
« Je crois qu’il faudra que nous restions ici pendant toutes les vacances, dit François. Dans ce cas, je vais commencer par m’offrir une petite sieste. »
Cinq minutes plus tard, ils dormaient tous, excepté Dagobert. Quand les enfants dormaient ainsi, le bon chien se croyait obligé de monter la garde. Il s’installa auprès de Claude, et surveilla consciencieusement les alentours. Il tirait encore la langue et haletait, mais personne ne l’entendait plus.
Du jardin, à flanc de coteau, Dagobert voyait la route qui passait devant la maison. Elle n’était pas très fréquentée.
Un chien aboya au loin. Les oreilles de Dagobert pointèrent aussitôt dans cette direction. Des gens passèrent. Il les suivit du regard, en flairant leur odeur. Rien ne lui échappait, pas même la manœuvre du rouge-gorge qui fonçait sur une chenille accrochée à un buisson.
Puis quelque chose s’avança sur la route, quelque chose qui intrigua tant Dagobert qu’il en tremblait d’émoi, en flairant les étranges odeurs qui lui parvenaient. Des voitures, des roulottes et des camions défilaient devant lui, très lentement dans un roulement sourd. Mais qu’était-ce donc que cette grosse masse grise qui avançait en tête ? Il s’agissait d’un éléphant ; Dagobert n’en avait encore jamais vu. L’odeur de cette bête inconnue ne lui plut pas. Il reconnut celle des singes dans leurs cages ; il entendit les aboiements des chiens savants et leur répondit, sur la défensive :
« Ouah ! Ouah ! Ouah ! »
La grosse voix de Dagobert éveilla aussitôt les quatre enfants.
« Tais-toi, Dagobert, dit Claude, mécontente. Pourquoi fais-tu tant de bruit quand nous dormons ?
— Ouah ! » répéta Dagobert avec obstination, en posant sa patte sur le bras de Claude, comme pour lui dire :
« Mais regarde donc ! Est-ce que cela ne vaut pas la peine d’être signalé ? »
Quand elle eut vu de quoi il s’agissait, elle appela aussitôt les autres :
« François ! Mick ! Annie ! Il y a un cirque qui passe ! »
Tous trois s’assirent et se frottèrent les yeux. Un fauve rugit. Comme elle était mal éveillée, Annie sursauta. Puis elle vit l’éléphant majestueux qui déjà s’éloignait sur la route, semblant conduire tout le cirque. Il tirait une caravane.
Les enfants se levèrent tous d’un bond et se mirent à courir jusqu’à la grille du jardin.
Ils regardèrent avec intérêt défiler les roulottes, peintes de couleurs voyantes, tirées par des chevaux.
« J’aimerais bien faire partie d’un cirque ambulant, dit Claude. Voilà le genre de vie qui me conviendrait le mieux !
— Tu serais une belle recrue pour le cirque, lança Mick, taquin. Tu ne sais même pas faire la roue !
— Comment fait-on la roue ? demanda Annie,
— Regarde ce garçon là-bas, et tu le sauras, » répondit Mick.
Il désignait un garçon qui tournait comme une roue de voiture, en s’appuyant successivement sur les mains et sur les pieds. Cela semblait facile : pourtant Mick savait très bien qu’il s’agissait là d’un exercice qui demande une grande souplesse et de l’entraînement.
Quand il s’arrêta, le jeune acrobate aperçut les enfants derrière leur grille, et, sans hésiter, s’approcha d’eux. Aussitôt, deux fox-terriers vifs comme l’éclair se précipitèrent derrière lui.
Dagobert gronda. Claude le fit taire.
« N’approche pas trop près ! Prends garde à mon chien ! » cria Claude au jeune acrobate.
Celui-ci était assez laid, avec un teint cuivré et des cheveux noirs en broussaille. Il sourit et dit d’un air enjoué :
« Sois tranquille, je ne laisserai pas mes chiens dévorer le tien !
— Tes chiens, dévorer Dagobert ? » se récria Claude. Puis elle éclata de rire.
Le jeune garçon fit claquer ses doigts. Aussitôt, les deux fox-terriers se levèrent sur leurs pattes de derrière et se mirent à marcher à petits pas mesurés, fort comiques.
« Ce sont des chiens savants ! s’exclama Annie. Sont-ils à toi ?
— Oui, tous les deux, répondit le garçon fièrement. Celui-ci s’appelle Flic, et celui-là Flac !
— Ouah ! » fit Dagobert, visiblement indigné de voir des chiens marcher comme des hommes. Pourquoi ne se servaient-ils pas de leurs quatre pattes, comme tout chien de bonne tenue ?
« Où donnez-vous votre prochaine représentation ? demanda Claude avec intérêt. Nous aimerions y aller !
— Pour le moment, on est en vacances, dit le jeune saltimbanque. Dans la montagne, on connaît un coin où il y a un lac. Il s’appelle le lac Vert, à cause de la couleur de l’eau. C’est joli ! Comme il n’y a personne là-bas, on nous a donné l’autorisation d’y camper avec nos animaux.
— Quelle est ta roulotte ? demanda François.
— C’est celle qui vient », répondit le garçon. Il montrait du doigt une roulotte peinte en bleu et rouge avec des roues jaunes. L’ensemble était singulièrement criard.
« Je vis là-dedans avec mon oncle, qui est le meilleur clown du cirque, poursuivit le jeune garçon. C’est lui qui conduit le cheval ! »
Les enfants dévisagèrent le clown ; jamais de leur vie ils n’avaient vu quelqu’un qui ressemblât moins à un clown ! Son air triste et maussade les surprit. Il fronçait les sourcils en mâchonnant une vieille pipe. Sans un regard pour les enfants, il appela son neveu d’une voix sèche :
« Pancho ! rentre dans la voiture et fais-moi une tasse de café ! »
L’interpellé fit un clin d’œil malicieux aux enfants et sauta dans la voiture sans protester. De toute évidence, il était habitué à obéir ! Bientôt sa tête brune s’encadra dans la fenêtre de la roulotte, qui s’éloignait sur la route.
« Au revoir ! Peut-être qu’on se reverra ! » cria Pancho, en souriant de toutes ses dents blanches.
« Au revoir ! » répondirent les enfants, qui regrettaient de se séparer déjà d’un si joyeux compagnon.
La roulotte disparut, emportant le clown triste et le jeune garçon insouciant. D’autres voitures défilèrent. Il s’agissait là d’un grand cirque. Les enfants virent passer un chimpanzé endormi dans le coin d’une cage, une douzaine de chevaux racés au pelage brillant, deux grands camions qui transportaient des bancs, des chaises, des bâches, et tout un matériel hétéroclite, puis des roulottes occupées par des personnages pittoresques ; certains marchaient près des voitures pour se dégourdir les jambes.
Quand, ce fut fini, les enfants retournèrent lentement sous le cerisier au feuillage épais. Ils s’assirent, pensifs, et, tout à coup, Claude lança d’une voix vibrante :
« Je sais ce que nous devons faire pour passer de merveilleuses vacances ! Nous allons louer une roulotte et partir avec dans les montagnes ! Ça, c’est une bonne idée, non ? »