CHAPITRE XIX
Prisonniers dans le souterrain !
FRANÇOIS ne répondit pas. Il s’en voulait de n’avoir pas prévu une telle éventualité. Bien sûr, Lou et Carlos étaient montés dans le car avec des bagages, mais cela ne prouvait pas qu’ils allaient séjourner ailleurs. Les valises contenaient peut-être des objets volés qu’ils allaient déposer chez un complice chargé de les écouler…
« Ils ont dû revenir vite pour essayer encore une fois de reprendre avec eux Pancho et Bimbo ! dit enfin François. Quel imbécile j’ai été ! Nous voilà dans un beau pétrin, maintenant ! Enfin ! je vais essayer de pousser les planches… »
C’est ce qu’il fit avec l’énergie du désespoir. Malheureusement, en équilibre sur des crampons, ce n’était pas chose aisée. Mick le soutenait comme il pouvait. Au prix de gros efforts, François réussit à écarter des planches, mais, comme il le craignait, la roulotte avait été replacée juste au-dessus. Impossible de sortir !
« Si Bimbo est encore là, il pourra peut-être nous aider ! » dit François, qui reprenait courage à cette pensée. « Bimbo ! Bimbo ! » cria-t-il de toutes ses forces.
Chacun se tint immobile, retenant son souffle, tendant l’oreille. Hélas ! Bimbo ne donnait pas signe de vie…
Pancho l’appela, lui aussi, du plus fort qu’il put. Un silence impressionnant succédait à ses appels.
« Il lui est arrivé quelque chose », dit le jeune saltimbanque, bouleversé.
C’était vrai. Le pauvre Bimbo ne se trouvait pas loin de là. Il gisait sur le côté et sa tête saignait. Impossible pour lui de venir au secours des enfants, car il avait perdu connaissance…
Comme le supposait maintenant François, Lou et Carlos étaient revenus. Ils apportaient de l’argent pour tenter Pancho. En approchant des roulottes, ils s’étaient mis à crier :
« Pancho ! Viens ! Nous ne te ferons pas de mal. Nous t’apportons de l’argent. Montre-toi raisonnable et reviens au camp. M. Gorgio te réclame ! »
Ne recevant pas de réponse, les hommes s’étaient approchés davantage. Ils avaient vu Bimbo, qui grondait sourdement, furieux d’être attaché et de ne pouvoir se jeter sur eux !
« Où sont partis les enfants ? » se demandèrent-ils alors. Quel ne fut pas leur ébahissement et leur rage, lorsqu’ils aperçurent le trou dans le sol !
« Les sales gosses ! Ils ont trouvé le souterrain ! s’exclama Carlos.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Lou.
— D’abord, ceci ! » répondit Carlos.
Il ramassa une grosse pierre, et la lança à toute volée sur Bimbo qui voulût sauter de côté pour l’éviter. Mais, gêné par la corde, le chimpanzé reçut la pierre en plein front.
Il poussa un cri et tomba sur le côté, évanoui.
« Tu l’as tué ! reprocha Lou à son compagnon. Gorgio y tenait beaucoup.
— Eh bien, tant pis ! » lança Carlos.
Ils s’approchèrent de l’ouverture du souterrain. « Les gosses sont dedans, en ce moment, dit Carlos qui s’étranglait de colère. Je me demande si nous devons descendre, les chasser, prendre nos affaires et partir avec ? Nous devions quitter le pays demain, de toute façon…
— Quoi ? Ramener tout ça en plein jour ? Alors que les fermiers peuvent nous voir ? C’est malin ! objecta Lou.
— Si t’as une meilleure idée, alors, dis-la !
— Pourquoi ne pas venir ici à la nuit avec notre camionnette et ramasser tout, comme convenu ? Nous pourrions faire une bonne blague aux gosses : les enfermer dans le souterrain !
— Pas bête, murmura Carlos, en montrant ses vilaines dents jaunes. Oui, nous allons reboucher l’entrée et remettre la roulotte dessus. Cette nuit, nous viendrons prendre la marchandise et nous laisserons les gosses dans le souterrain. Quand nous serons en sécurité, nous enverrons une carte à Gorgio pour lui demander d’aller les délivrer.
— Ce n’est pas la peine ! dit Lou avec une intonation cruelle. Laissons-les mourir de faim, là-dedans, ça leur apprendra à se mêler de ce qui ne les regarde pas !
— Non. Il faudra leur apporter ce soir un peu de nourriture pour qu’ils tiennent le coup jusqu’à ce qu’on vienne les libérer. Si nous les laissons mourir de faim, et que l’affaire soit découverte, toute la presse en parlera, et toutes les polices du monde nous rechercheront… Les enfants savent écrire, ils peuvent faire une lettre disant que c’est nous qui les avons enfermés ici. »
Les deux hommes replacèrent les planches et la bruyère sur l’ouverture du souterrain. Puis ils poussèrent la roulotte de façon à bloquer l’entrée.
Ils jetèrent un coup d’œil sur Bimbo. Le chimpanzé était toujours inerte. Sa plaie saignait.
« Il n’est pas mort ! dit Lou en le gratifiant d’un coup de pied. Laissons-le ici ! Si on le ramène avec nous, il est capable de revenir à lui et de nous attaquer ! Attaché là, il ne nous gênera pas cette nuit. »
Ils redescendirent vers le lac. Quelques minutes plus tard, les enfants tentaient vainement de sortir ! L’issue était bel et bien bouchée. Personne ne pouvait aller soigner le pauvre Bimbo.
Les enfants éprouvèrent une grande angoisse lorsqu’ils se rendirent compte que leurs efforts pour essayer de se libérer étaient inutiles. Annie se mit à pleurer en silence. Elle essaya de cacher ses larmes, mais Pancho les vit couler. Il en fut si ému qu’il en oublia sa propre frayeur :
« Ne pleure pas, Annie, tout va s’arranger, tu verras !
— Nous ne pouvons pas rester ici, perchés sur les crampons, dit François. Descendons et allons discuter ailleurs ! »
Ils retournèrent dans la grotte phosphorescente. Dans un coin ils virent un peu de sable, et choisirent de s’y installer.
« Mieux vaut ménager nos lampes, conseilla François. Nous ne savons pas combien de temps nous passerons ici. N’en allumons qu’une à la fois !
— Ce serait horrible d’être prisonniers dans le noir », murmura Annie en éteignant sa torche électrique.
Tous les autres l’imitèrent. Seule, la lampe de François continua de briller.
Annie ouvrit le panier qu’ils avaient emporté et coupa des tranches de pain. Quand les enfants eurent goûté, ils se sentirent beaucoup plus optimistes.
« Ça va mieux, maintenant, constata Mick. Non, Annie, nous ne mangerons pas ce chocolat tout de suite. Nous en aurons peut-être besoin plus tard. J’ai soif !
— Moi aussi ! soupira Pancho. Allons boire dans l’autre caverne ! Il y a une source… L’eau est sûrement bonne !
— Je l’espère, dit François. On nous a bien recommandé de ne boire que de l’eau bouillie, mais c’est un cas exceptionnel ! »
Ils passèrent devant le précieux butin de Lou et Carlos, et furent bientôt dans la caverne où coulait la source. Ils burent dans leurs mains. L’eau claire et fraîche avait très bon goût.
Dagobert but aussi. Cette aventure ne lui plaisait guère. Enfin, tant qu’il voyait sa petite maîtresse auprès de lui, il s’estimait heureux. Si Claude décidait de vivre sous terre, tant pis pour lui ! Il lui tiendrait compagnie.
« Je me demande si cette source jaillit hors de la montagne, dit soudain François. Si oui, nous pourrions la suivre et peut-être sortir…
— Nous serions tout mouillés, objecta Claude. Et puis, la source débouche peut-être dans un endroit impossible… Enfin, plutôt que de rester là… Essayons de suivre le parcours de la source ! »
L’eau coulait le long d’une paroi et s’engouffrait dans une galerie qui n’était pas sensiblement différente des autres. François l’éclaira.
« Je crois qu’on peut marcher dans l’eau sans trop de peine, dit-il. Attendez-moi là. Je vais aller voir où ça mène, et puis je reviendrai vous le dire.
— Non, dit Claude aussitôt. Si tu y vas, nous te suivons tous. Il ne faut pas nous séparer. Ce serait affreux si l’un de nous se trouvait isolé ! »
L’un après l’autre, ils entrèrent dans l’eau, qui leur arrivait aux genoux. Elle bouillonnait autour de leurs jambes, car le courant était fort. Ils avançaient lentement, à la lumière des torches électriques, et se demandaient où la source les conduirait…
Dagobert nageait plus qu’il ne marchait. Il trouvait l’eau très froide et manifesta son mécontentement. Il décida de dépasser François et de monter sur un rebord qui courait, un peu au-dessus du niveau de l’eau.
« Bonne idée, Dagobert ! » s’écria François en l’imitant.
Il lui fallut ramper pour ne pas se cogner la tête, mais au moins il n’avait plus les jambes dans l’eau glacée ! Tous les autres firent de même. Aussi longtemps que le rebord courut le long de la galerie, ils avancèrent ainsi. Quand ce rebord disparut, ils marchèrent à nouveau dans l’eau.
« Oh ! L’eau m’arrive presque à la taille, maintenant ! dit Annie. Pourvu qu’elle ne monte pas davantage ! »
Par chance, en avançant, le niveau de l’eau resta le même ; seulement, le courant devint plus fort.
« On dirait que ça descend un peu, par ici, constata François. Peut-être que nous approchons de l’endroit où la source sort de la montagne ! »
C’était vrai. Bientôt, François aperçut au loin, devant lui, une faible lueur… Il comprit que c’était la lumière du jour !
« Nous sommes presque au bout ! cria François. Venez vite ! »
Les enfants se dépêchèrent, le cœur battant d’espoir. Allaient-ils pouvoir sortir de ce trou ? Respirer l’air pur et se réchauffer au soleil ?
Pancho songeait à Bimbo, et se demandait anxieusement s’il ne lui était rien arrivé de grave. Il pensait aussi aux vols de Carlos, ce méchant homme qui se faisait passer pour son oncle, et l’avait tant tourmenté. Le jeune garçon éprouvait un immense soulagement à la pensée d’être débarrassé de lui…
Mick, lui, se voyait déjà prenant l’autocar et courant à la gendarmerie.
Mais, hélas ! leur espoir fut déçu : la profondeur de l’eau augmentait près de la sortie. Pancho s’arrêta, effrayé :
« Je ne vais pas plus loin, dit-il. Le courant m’entraîne…
— Moi aussi », reconnut Annie.
François essaya de nager, mais y renonça presque aussitôt. Il sentait que le courant pouvait le jeter sur les parois rocheuses, ou l’entrainer violemment au-dehors… Il ne savait pas où débouchait cette source. Peut-être tombait-elle d’une certaine hauteur ?
« Rien à faire, constata-t-il, découragé. Nous avons marché dans l’eau tout ce temps-là pour rien ! C’est beaucoup trop dangereux. Quand on pense que la lumière du jour est à quelques mètres devant nous… Il y a de quoi devenir fou !
— Retournons en arrière, décida Claude. Dagobert risque de se noyer. Quel malheur d’être obligé de refaire tout ce trajet dans l’eau ! »