CHAPITRE XIII
 
Le plan de François

img33.png

CLAUDE s’assit par terre et prit son chien par le cou.

« Dagobert ! Cette viande t’était destinée ! quelle horreur ! Heureusement que tu as été assez malin pour ne pas y toucher ! Mon pauvre Dago, si tu l’avais mangée, tu aurais été empoisonné ! »

Dagobert lécha les mains de Claude. Il semblait grave, comme les enfants. Tout le monde pensait au pauvre Flac… Était-il vraiment mort ?

« Je ne te laisserai plus jamais seul ! promit Claude à son chien.

— Qui a pu apporter cette viande empoisonnée ? demanda Annie d’une voix blanche.

— Tu n’as pas encore compris qu’il ne peut s’agir que de Lou et de Carlos ? s’écria Claude.

— Ils veulent à tout prix que nous partions d’ici, murmura François, rêveur. Pourquoi ?

— Ou bien ils pensent qu’il leur faut se débarrasser de Dagobert, dit Mick.

— Que peut-il y avoir d’intéressant pour eux par ici ? poursuivit François. Nous les gênons, c’est certain… Ce sont de vraies brutes. Pauvre Pancho ! Comme je le plains de passer sa vie avec eux ! Et maintenant ils ont empoisonné son chien ! »

Personne n’avait faim. Annie apporta quand même du pain, du beurre et un pot de confitures. Claude ne voulut rien manger du tout. Le danger qu’avait couru Dagobert la bouleversait.

Tous quatre se couchèrent de bonne heure. Ils fermèrent à clef leurs roulottes.

« Lou et Carlos reviendront peut-être rôder par ici ! » pensait François, inquiet.

Les enfants ne surent jamais si les deux hommes étaient revenus ou non cette nuit-là. Vers une heure du matin, Dagobert se mit à aboyer. François se leva, prit sa lampe de poche et inspecta les environs. Il ne vit rien d’anormal. Dagobert se calma rapidement. François alla se recoucher.

Le jeune garçon eut quelque peine à se rendormir. Il se disait que cette alerte ne pouvait être vaine. Dago n’aboyait jamais sans raison, dans la nuit. Peut-être Lou et Carlos s’étaient-ils approchés des roulottes, dans l’obscurité, croyant que le chien avait mangé la viande empoisonnée. En entendant des aboiements, ils avaient dû s’éloigner, furieux de constater que le chien vivait toujours. Que combinaient-ils ?

« Il y a quelque anguille sous roche, pensa François. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Pourquoi veulent-ils absolument nous obliger à partir ? »

François imagina un plan avant de s’endormir. Il en parlerait aux autres le lendemain. Tout d’abord, il faudrait laisser croire à Lou et à Carlos qu’ils étaient tous partis pour la journée, avec le chien.

En réalité, lui, François, resterait ici. Il se cacherait… Peut-être découvrirait-il quelque chose, si Lou et Carlos venaient…

François finit par s’endormir. Comme les autres, il rêva d’éléphants qui l’arrosaient avec leur trompe, de Bimbo libérant les ouistitis, des chiens jouant au football… Puis il revit le pauvre petit fox-terrier tombant sur le flanc, empoisonné…

Au même instant, Annie se réveillait en sursaut. Elle venait de rêver qu’on avait empoisonné leur nourriture ! Elle s’assit, tremblante, sur sa couchette et appela :

« Claude ! Je viens d’avoir un cauchemar ! »

Claude grogna, bâilla, s’étira et Dagobert en fit autant.

Annie alluma sa lampe.

img34.png

« J’étais aussi en train de faire un rêve affreux, dit Claude. Je voyais Lou et Carlos qui jetaient des pierres à Dagobert ! Laissons la lumière allumée et causons un peu. Comme nous sommes très fatiguées et inquiètes, nous ne pouvons pas dormir normalement…

— Ouah ! » fit Dagobert. Là-dessus, il se mit en devoir de se gratter énergiquement.

« Non ! dit Claude. Ne fais pas cela ! Tu secoues toute la roulotte quand tu te grattes. On dirait qu’il y a un tremblement de terre. Arrête ! »

Dagobert obéit, il se recoucha en soupirant, posa sa tête sur ses pattes et regarda Claude d’un air de dire :

« Éteins la lumière. Je veux dormir, maintenant. »

Claude renonça à faire la causette, puisque cela ennuyait son chien.

Le lendemain matin, le temps était plus frais, et nuageux. Les enfants déjeunèrent sans entrain. Ils pensaient à Pancho et au pauvre petit fox-terrier.

« Je vais aller à la ferme, dit François après le déjeuner. Toi, Mick, tu devrais prendre les jumelles et observer ce qui se passe du côté du lac. Tu verras si Pancho sort son bateau et nous fait signe. J’ai l’impression qu’il vaut mieux ne pas aller au camp du cirque aujourd’hui. Pancho croit sans doute comme nous que c’est son oncle et Lou qui ont mis de la viande empoisonnée ici. Je suppose qu’il y a eu une scène pénible entre eux ! »

François s’éloigna avec ses deux paniers vides. À la ferme, Mme Monnier l’attendait. Elle avait mis de côté toutes sortes de choses pour les enfants.

En payant sa note, François lui demanda :

« Est-ce que les gens du cirque viennent se ravitailler chez vous ?

— Oui, quelquefois, répondit la fermière. Mais, franchement, je ne tiens pas à leur clientèle. Les femmes et les enfants, passe encore, quoiqu’ils me volent une poule de temps en temps, mais les hommes ! Je ne peux pas les souffrir. L’année dernière, deux de ces romanichels rôdaient par ici. Ils ne se gênaient pas pour piétiner nos champs. Mon mari a dû les rappeler à l’ordre…

— Deux hommes ? Comment étaient-ils ? demanda François subitement intéressé.

— Très laids et très désagréables ! dit Mme Monnier. Une nuit ils sont rentrés dans la cour de la ferme. Mon mari est sorti avec son fusil et leur a demandé des explications. Ils ont juré qu’ils ne cherchaient pas à voler nos poules. Pourtant je ne vois pas ce qui pouvait les attirer en dehors de ça !

— C’est curieux, en effet », murmura le jeune garçon, rêveur.

François ne doutait pas qu’il s’agissait là de Lou et de Carlos. Que cherchaient-ils ainsi la nuit dans la montagne ? François s’en retourna tout en réfléchissant.

Quand il arriva en vue des roulottes, Mick lui fit signe de se dépêcher :

« Viens vite, François ! Prends les jumelles et regarde le lac. Pancho est dans son bateau avec Bimbo. Je me demande ce qu’ils sont en train d’agiter ! »

Au pied de la montagne, tout là-bas, le petit bateau de Pancho flottait sur le lac.

« Pancho agite quelque chose de rouge… dit François. Je ne vois pas bien ce que c’est, mais peu importe ! Du moment qu’il a choisi du rouge, et non du blanc, c’est qu’il y a du danger ! Pancho nous met en garde ! J’ai oublié de te le dire : c’était convenu entre lui et moi. Nous avons décidé ça en montant le raidillon, hier soir, lorsque nous étions tous les deux un peu en arrière.

img35.png

— Ah ! bon ! dit Claude qui avait suivi la conversation, Le rouge veut dire danger… Je voudrais bien savoir ce qui se passe là-bas !

— Nous ne descendrons pas au lac aujourd’hui, reprit François. Pourtant, nous ne sommes pas en sécurité ici non plus. Je crois que nous ferions mieux d’aller installer nos roulottes ailleurs ! »

François ne pensait pas vraiment ce qu’il disait. Au fond il mourait d’envie d’éclaircir ce nouveau mystère, et de découvrir la raison de l’attitude de Lou et de Carlos.

Les autres protestèrent avec indignation.

« Nous ne voulons pas partir ! Nous ne sommes pas des poltrons ! s’écria Mick.

— Je ne veux pas m’en aller d’ici. Dagobert non plus ! affirma Claude.

— Taisez-vous, voici Annie, murmura François. Ne l’effrayons pas. »

Ils se turent. Mick observa Pancho un petit moment encore. Bientôt le jeune garçon et le chimpanzé regagnèrent le rivage.

François jugea le moment venu d’exposer aux autres le plan qui lui était venu à l’esprit durant la nuit :

« J’aimerais bien savoir ce qui attire, Carlos et Lou dans ce coin. Il y a quelque chose, tout près d’ici, qui leur fait souhaiter notre départ. Nous les gênons, c’est clair. J’ai une idée. Écoutez : nous descendrons avec Dagobert au camp du cirque. Arrivés là, nous crierons bien fort à Pancho : « Nous allons tous passer la journée à la ville ! » En entendant cela, Lou et Carlos auront peut-être envie de profiter de notre absence pour faire un tour ici… Vous trois, vous irez vraiment à la ville, avec Dago. Moi, je reviendrai ici et je me cacherai… Alors j’aurai une chance de découvrir ce que veulent Lou et Carlos !

— Pas bête, ton plan, mais un peu dangereux ! dit Mick, déjà séduit par cette perspective.

— Oui, approuva Claude, tu te cacheras et tu attendras que les hommes arrivent. Surtout, ne te montre pas ! Dagobert ne sera pas là pour te défendre. Ces bandits te feront un mauvais parti s’ils te découvrent !

— Je le sais, dit François. Vous pouvez être sûrs que je me cacherai bien !

— Pourquoi ne pas essayer de découvrir nous-mêmes ce que ces bonshommes recherchent ? proposa Mick.

— Nous ne savons pas s’il s’agit d’une caverne ou d’autre chose, répliqua François. Nous n’avons aucune idée de ce qui peut les attirer ici. Mme Monnier m’a dit que, l’année dernière déjà, ils rôdaient du côté de la ferme, foulant quelquefois les terres cultivées, si bien que le fermier a dû les chasser. Mme Monnier pense que ces deux hommes cherchaient à voler ses poules, mais j’ai l’impression qu’elle se trompe…

— Regardons partout autour de nous, suggéra Claude. Qu’est-ce que nous risquons ? Peut-être découvrirons-nous un indice intéressant !

— Voilà que ça recommence ! » soupira Annie.

Pourtant, malgré elle, cette histoire la passionnait.

Dagobert s’apprêta à suivre ses amis. Il était heureux de n’être pas, une fois de plus, abandonné par eux avec mission de veiller sur les roulottes.

Les enfants se séparèrent pour explorer les environs. Ils inspectèrent la roche dans l’espoir de trouver une caverne dissimulée ou une cachette quelconque.

Dagobert s’occupait surtout des terriers. Il fourrait son museau dedans, cherchant à atteindre les lapins.

Au bout d’une demi-heure, François appela les autres enfants. Ceux-ci crurent qu’il venait de faire une découverte, mais ce n’était pas le cas. Il déclara qu’il en avait assez de ces recherches inutiles, et qu’il abandonnait.

« Il n’y a pas de cavernes par ici, ajouta-t-il. Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant ?

— Non, dirent les autres. Qu’allons-nous faire maintenant ?

— Réaliser notre plan, dit François. Ce sera plus simple. Descendons jusqu’au lac, et nous crierons à Pancho que nous serons absents toute la journée. Espérons que Lou et Carlos nous entendront ! »

img36.png