CHAPITRE III
Voilà les roulottes !
ENFIN vint le jour où les roulottes devaient arriver. Mme Gauthier les avait louées à un marchand forain, propriétaire d’une maison située à quelques kilomètres de là. Cet homme venait d’acheter des camions pour remplacer ses roulottes. Les enfants avaient promis de bien les entretenir et de ne rien abîmer. Maintenant, ils attendaient, debout à la porte du jardin, scrutant la route…
« Il paraît qu’elles seront remorquées par des automobiles, dit François. Mais elles sont faites pour être tirées par des chevaux. J’ai hâte de les voir !
— Crois-tu qu’elles seront hautes sur roues comme les roulottes des bohémiens ? » demanda Annie.
François secoua la tête.
« Non, dit-il. Il paraît qu’elles sont jolies, d’un modèle pas trop ancien. Petites, bien sûr, car un cheval ne pourrait pas tirer une trop grosse voiture…
— Les voilà ! cria Claude, ce qui les fit tous sursauter. Regardez ! Est-ce que ce n’est pas ça, au loin, sur la route ? »
Ils écarquillèrent tous les yeux. Claude avait la vue perçante. Tout ce que les autres purent distinguer, ce fut un point noir, qui semblait grossir… Mais les yeux de Claude apercevaient déjà deux roulottes, l’une derrière l’autre…
« Claude a raison, dit enfin François. Il s’agit bien de nos roulottes. Chacune d’elles est tirée par une petite voiture.
— L’une est verte et l’autre est rouge », ajouta Annie.
Les enfants coururent au-devant d’elles. En effet, il s’agissait de deux roulottes fort bien entretenues.
« J’aime bien le rouge, avoua Annie. Si cela ne vous fait rien, à vous les garçons, Claude et moi nous choisirons la roulotte rouge…
— Comme tu voudras, répondit François. Nous prendrons la verte. »
Chaque roulotte avait une petite cheminée, des fenêtres de chaque côté, ainsi que devant, près du siège du conducteur. Derrière, une large porte et deux marches. De jolis rideaux voltigeaient aux fenêtres ouvertes.
« J’ai hâte de voir comment elles sont à l’intérieur », dit Annie.
Elle dut attendre que les roulottes fussent arrivées dans la cour de la maison. Les quatre enfants trottaient derrière, tout joyeux.
Annie cria :
« Maman ! Maman ! Les roulottes sont arrivées ! »
Mme Gauthier sortit en hâte de la maison.
Dès que les enfants le purent, ils montèrent dans les roulottes ; ils poussèrent des cris de ravissement :
« Des couchettes ! s’exclama Mick
— Un petit évier ! Et l’eau coule quand on ouvre les robinets ! constata François.
— Il y a un fourneau à gaz butane, dit Claude, mais ce sera plus amusant de faire de la cuisine dehors, sur un feu de camp. Voyez ces casseroles, ces assiettes, ces tasses ! Tout ce qu’il faut !
— On dirait une vraie petite maison, à l’intérieur. C’est ravissant ! s’écria Annie. Oui, c’est tellement bien arrangé qu’on dirait que c’est grand. Maman, est-ce que tu n’aimerais pas venir avec nous ?
— Bien sûr, si je le pouvais, répondit Mme Gauthier en riant. Avez-vous remarqué d’où vient l’eau ? D’un réservoir placé sous le toit. Il recueille l’eau de pluie. Et admirez ce petit chauffe-eau ! C’est vraiment bien installé ! »
Les enfants passèrent un long moment à examiner les roulottes, à en découvrir tous les secrets. Elles étaient vraiment bien conçues, d’une propreté irréprochable. Claude était si impatiente de partir qu’elle parla d’aller chercher Nestor…
« Du calme ! conseilla François. Tu sais bien qu’il nous faut un autre cheval. Nous l’aurons demain ! »
Le lendemain, en effet, un voisin devait amener Annibal, un cheval noir, de solide apparence. Les jeunes Gauthier le connaissaient et savaient qu’il était intelligent et vif.
Les quatre enfants avaient appris à monter à cheval, et aussi à soigner leur monture. Ils n’éprouveraient donc aucune difficulté à panser et nourrir Nestor et Annibal.
Mme Gauthier s’extasiait sur les roulottes, tout autant que les enfants :
« Vraiment, si je ne devais pas accompagner votre père à Paris, je serais fort tentée de partir avec vous !… Ne fais pas cette tête-là, Annie, rassure-toi, vous partirez seuls !
— Nous allons faire nos valises et nous nous mettrons en route demain, puisque tout est prêt, déclara François.
— Pourquoi des valises ? dit la maman. Vous pouvez mettre directement vos affaires dans les placards. Vous avez seulement besoin de vêtements et de livres, ainsi que de quelques jeux pour vous amuser les jours de pluie.
— Nous n’avons pas besoin d’emporter beaucoup de vêtements », commença Claude, qui aurait passé sa vie dans le même short et le même pull-over, si elle l’avait pu.
Mais sa tante l’interrompit :
« Il faudra prendre des tricots, des chemisettes, des shorts de rechange pour le cas où vous seriez mouillés, des imperméables, des maillots de bain, des serviettes, des sandales et… »
Un concert de grognements couvrit sa voix.
« Il faut emporter tout ça ? soupira Mick. Nous n’aurons jamais assez de place !
— Mais si ! Il faut que vous puissiez vous changer si vous êtes mouillés, sinon vous attraperez de gros rhumes et vous ne profiterez pas de vos vacances !
— C’est bon, nous allons chercher nos affaires, soupira Mick, résigné.
— Je vous aiderai à ranger tout dans les placards. Vous verrez qu’il y a assez de place ! assura Mme Gauthier.
— Tu sais, maman, je tiendrai le ménage très proprement, dit Annie. J’aime jouer à la maîtresse de maison. C’est une bonne occasion pour moi. J’aurai deux roulottes à entretenir, toute seule.
— Comment, toute seule ! protesta Mme Gauthier. Claude t’aidera, et les garçons aussi !
— Peuh ! fit Annie, dédaigneuse. Les garçons ne savent même pas laver convenablement une assiette, et Claude ne vaut pas mieux ! Si je ne fais pas la vaisselle et les lits, si je ne balaie pas, ça ne sera jamais fait, avec eux !
— Eh bien, c’est une bonne chose qu’il y ait parmi vous une petite personne ordonnée, remarqua sa mère. Mais tu verras, Annie, que les autres feront preuve de bonne volonté. Ils t’aideront. Maintenant allez chercher vos vêtements. Commencez par les imperméables ! »
Les placards s’emplirent rapidement de linge et de lainages. François apporta des cartes, un jeu de dames, des dominos et des livres. Il alla chercher aussi des cartes routières des environs, car il voulait étudier le parcours et choisir les meilleures routes possibles.
Le soir, M. Gauthier leur donna une petite brochure très utile, contenant la liste des terrains de camping, ainsi que des propriétaires qui autorisaient les campeurs à s’installer sur leurs terres pour la nuit.
« Vous devez choisir, autant que possible, un terrain avec un point d’eau quelconque, un ruisseau… N’oubliez pas que les chevaux boivent beaucoup ! dit M. Gauthier.
— Surtout, faites bouillir l’eau que vous boirez, ajouta la maman. C’est très important ! Achetez du lait aux fermiers. Et rappelez-vous que vous avez des bouteilles d’eau minérale dans le petit buffet de la seconde roulotte !
— Je n’ose pas croire que nous partons vraiment demain », murmura Annie, rêveuse.
Le lendemain matin, de bonne heure, Annibal fut amené par son propriétaire.
François alla chercher Nestor, qui broutait dans le pré. Les deux chevaux approchèrent leurs têtes l’une de l’autre et poussèrent des hennissements dont la cordialité ne faisait aucun doute.
« Ils ont l’air de sympathiser, constata Mick avec satisfaction. C’est très important ! »
Les enfants harnachèrent les chevaux et les attelèrent. Nestor, le cheval gris pommelé, fut attelé à la roulotte verte — celle des garçons — et Annibal, le cheval noir, à la roulotte rouge, celle des filles.
Annibal se montra parfaitement calme. Tandis qu’on le harnachait, Nestor secoua sa crinière et tapa du sabot, comme s’il avait hâte de partir.
Quant à Dagobert, il s’intéressait grandement à tout ce remue-ménage. Il visita à fond les roulottes, trouva un petit tapis qui lui plut et se coucha dessus.
« Si nous partons dans ces drôles de petites maisons sur roues, voilà le coin que je me suis choisi », semblait-il dire.
« Ils ont l’air de
sympathiser », constata
Mick avec satisfaction. »
Enfin, François inspecta une dernière fois sa roulotte, puis il s’installa sur le siège du conducteur et donna le signal du départ.
« Nous conduirons chacun notre tour, dit-il. Je te passerai les guides plus tard, Mick. Et vous, les filles, comment comptez-vous faire ?
— C’est Claude qui conduit, bien entendu ! dit Annie en riant.
— Je laisserai Annie conduire de temps en temps, promit Claude. Mais il me semble que ce n’est pas son affaire. Elle est trop timide. Alors, tu démarres, François ? Tiens ! Comment se fait-il qu’il disparaisse juste au moment de nous mettre en route ?
— Il a été chercher les gâteaux que la cuisinière nous a préparés ce matin, répondit Mick. Nous avons failli les oublier. C’aurait été dommage. Notre garde-manger est si bien garni que j’ai déjà faim rien que d’y penser !
— Voilà François qui revient. Vite ! Nous allions partir sans toi ! lui cria Annie. Au revoir, maman ! Nous t’enverrons une carte tous les jours, c’est promis ! »
François rangea hâtivement ses gâteaux dans la roulotte verte et grimpa sur son siège.
« En avant, Nestor ! dit-il. Nous partons ! Au revoir, maman !
— Au revoir, mes enfants, dit Mme Gauthier, un peu émue. Je vous fais confiance ! »
La roulotte verte s’ébranla. Les deux garçons se mirent à chanter joyeusement.
Claude prit les guides d’Annibal ; le petit cheval noir et râblé se mit en marche derrière la roulotte des garçons. Annie, assise à côté de Claude, faisait de grands gestes d’adieu.
« À bientôt, maman ! Nous partons pour une nouvelle aventure ! Hurrah ! Vive le Club des Cinq ! »