CHAPITRE X
 
Un curieux changement d’humeur

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PANCHO avait grande envie de suivre les enfants et de dîner avec eux. Seulement, il craignait de rencontrer Lou et son oncle.

« Nous marcherons devant et si nous les voyons, nous t’avertirons. Alors, tu te cacheras jusqu’à ce qu’ils soient passés ! proposa Mick. Nous ferons attention, car nous ne tenons pas plus que toi à les rencontrer !

—Bon, alors je viens, dit Pancho. J’emmène Flic et Flac. Ils seront contents de voir Dagobert. »

Les cinq enfants, suivis des deux chiens, prirent d’abord des chemins de traverse ; puis, essoufflés, ils décidèrent de continuer leur ascension par la grande route.

Quand ils furent en vue du bois de pins, François dit à Pancho :

« Nous sommes presque arrivés. Quelle chance de n’avoir pas rencontré ton oncle et Lou ! »

À ce moment, Dagobert aboya dans le lointain.

« Tiens ! fit Claude. Que se passe-t-il ? Je me demande si ces hommes ne sont pas en train de rôder autour de nos roulottes !

— Dans ce cas, nous avons bien fait de laisser Dagobert pour les garder, dit Mick. Nous aurions pu être volés… »

Il s’arrêta brusquement et devint rouge. Est-ce que Pancho n’allait pas se fâcher en entendant soupçonner ainsi son oncle ?

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Les cinq enfants prirent d’abord des chemins de traverse.

Mais Pancho n’en parut pas du tout gêné.

« Vous avez raison de vous méfier, déclara-t-il tranquillement. Mon oncle est capable de tout ! D’ailleurs, il n’est pas vraiment mon oncle.

Quand mes parents sont morts, ils ont laissé un peu d’argent pour m’élever. Il paraît qu’ils avaient demandé à Carlos de se charger de moi, alors il a pris l’argent, m’a dit de l’appeler « mon oncle », et j’ai dû rester avec lui depuis ce temps-là !

— Tes parents travaillaient dans le même cirque, sans doute ? demanda François.

— Oui. Mon père était clown, lui aussi. Il y a eu beaucoup de clowns dans ma famille. Moi, quand je serai grand, je veux m’occuper des chevaux. J’irai dans un autre cirque, parce que dans celui-ci, on ne veut pas me laisser approcher des chevaux. C’est de la jalousie, j’en suis sûr, parce que je sais m’y prendre avec eux ! »

Les enfants regardèrent Pancho avec étonnement. Il leur paraissait un petit garçon extraordinaire, qui savait dresser les chimpanzés et les chiens, qui vivait avec le plus grand clown du cirque, qui savait faire des acrobaties difficiles comme la roue, et sa seule ambition était de travailler avec des chevaux !

« Vas-tu à l’école ? demanda Mick.

— Non, je n’y ai jamais été. Je ne sais pas écrire, je sais seulement lire un peu. Au cirque, tout le monde est pareil. Mais vous, je suis sûr que vous savez tous bien lire et écrire ! Même toi, Annie, tu peux lire un livre, n’est-ce pas ?

— Naturellement, dit Annie. Il y a des années que je sais lire. J’apprends à calculer des fractions, maintenant. C’est difficile !

— Quoi ? Des fractions ? Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Pancho en ouvrant des yeux ronds.

— Eh bien, des quarts, des demis, des sept-huitièmes et des choses comme ça, dit Annie. Mais j’aimerais mieux savoir faire la roue comme toi que des fractions !

— Dagobert aboie toujours ! » remarqua Claude, inquiète.

Ils arrivaient à la hauteur du bois de pins. Claude, qui marchait la première, s’arrêta brusquement. Elle venait de voir deux corps allongés dans l’herbe, sous les arbres : Lou et Carlos !

Il était trop tard pour que Pancho pût se cacher. Les hommes l’avaient déjà vu. Ils se levèrent et attendirent que le groupe des enfants approchât. Claude trouvait réconfortante la certitude que Dagobert l’entendrait si elle le sifflait. Il accourrait au premier appel !

François regarda les deux hommes. À sa grande surprise, ils semblaient de bonne humeur, et souriaient.

« Bonsoir ! » dit François.

Il s’apprêtait à passer, avec les autres enfants mais Lou s’avança vers eux.

« Vous campez ici, à ce qu’il paraît, dit Lou en montrant ses vilaines dents jaunes. Comptez-vous aller plus loin bientôt ?

— Ce n’est pas votre affaire, répondit François, glacial. Vous nous avez dit de partir lorsque nous étions près du lac, c’est ce que nous avons fait. Maintenant, nous n’avons pas de comptes à vous rendre. »

Le sourire disparut de la face de Lou. Carlos s’avança à son tour :

« Nous sommes venus ici ce soir afin de trouver une place pour quelques-uns de nos animaux. Nous ne voudrions pas vous voir courir des risques…

— Il y a assez de place sur cette montagne pour vous, pour vos animaux, et pour nous aussi ! répliqua François. N’essayez pas de nous faire peur. Nous resterons ici aussi longtemps qu’il nous plaira ! Le fermier et ses ouvriers, qui n’habitent pas loin, nous viendront en aide si c’est nécessaire. Sans parler de notre fidèle chien de garde !

— Ce chien-là devrait être supprimé. Il est dangereux ! dit Lou, avec un mauvais regard.

— Il n’est dangereux que pour les malfaiteurs ! s’écria Claude. Ne rôdez pas autour de nos roulottes quand Dagobert est de garde. Sinon, vous le regretterez ! »

Lou perdait patience.

« Alors, quoi, vous partez, oui ou non ? Nous voulons disposer de cette partie de la montagne. Vous pouvez redescendre et camper près du lac, si ça vous chante ! »

Les enfants le regardèrent, ébahis.

« Est-ce que vous ne serez pas mieux, en bas ? renchérit Carlos. Vous pourrez vous baigner tous les jours dans le lac et Pancho vous fera voir tous nos animaux ! »

Ce fut au tour de Pancho d’avoir l’air ahuri.

« Comment ! s’écria-t-il. Tu m’as battu parce que j’avais parlé avec eux et maintenant tu… Qu’est-ce que ça veut dire ? Jamais on n’a mis d’animaux dans la montagne, avant…

— Tais-toi ! » dit Carlos, rudement. Il se reprit et continua, en s’efforçant de paraître aimable :

« Je ne pensais pas que Pancho pouvait s’entendre avec des enfants comme vous. Ce n’est pas son genre ! Mais puisque vous voulez être des amis, je suis d’accord. Vous venez camper au bord du lac et Pancho vous montrera tout le cirque. Je ne peux pas mieux dire !

— Vous avez sûrement un motif pour nous faire cette proposition, dit François, méfiant. Je regrette, mais nous ne changerons pas nos plans. Nous resterons ici !

— Allons retrouver Dago, décida Mick. Il aboie parce qu’il nous entend. S’il vient ici — et ça ne va pas tarder — nous aurons du mal à l’empêcher de s’en prendre à ces messieurs… »

Les quatre enfants se mirent en marche. Pancho regarda son oncle d’un air hésitant. Il ne savait pas s’il devait suivre ou non ses nouveaux amis.

« Va avec eux si ça te chante ! » dit Carlos, goguenard.

Pancho ne comprenait rien à l’attitude de son oncle, mais il se hâta de rejoindre les autres enfants.

Dagobert vint à leur rencontre et les salua de joyeux aboiements.

« Mon bon Dagobert ! s’écria Claude en le caressant. Tu es le meilleur des chiens de garde, tu as bien compris que si j’avais eu besoin de toi, je t’aurais sifflé !

— Je vais préparer le dîner, annonça Annie. Nous mourons de faim ! Claude, viens m’aider, s’il te plaît. Mick, sois gentil, va me chercher de l’eau. Et toi, François, veux-tu aller prendre une bouteille de limonade dans ta roulotte ? »

Les garçons échangèrent un clin d’œil amusé. À l’heure des repas, Annie prenait la direction des opérations et donnait ses ordres. Chacun obéissait sans protester.

Bientôt ils s’installèrent sur le roc avec dix œufs durs, du jambon et une belle salade de tomates.

Le lac reflétait les couleurs changeantes du ciel. Ils admirèrent le coucher de soleil, tout en dînant.

« Les pique-niques nous paraissent toujours bien meilleurs que les repas pris à la maison, constata Claude. Si nous mangions chez nous des œufs durs et du pain beurré, je pense que cela ne nous dirait rien ! »

Quand ils en furent au dessert, Annie alla chercher le gâteau de la fermière. Il fut fort apprécié, surtout par Pancho.

« Voilà un fameux repas, s’écria-t-il lorsqu’il eut terminé. Et puis, je me plais avec vous !

— Merci ! répondit Annie.

— C’est une chance que ton oncle t’ait laissé venir avec nous, déclara Mick. Tout de même, je trouve bizarre qu’il ait changé d’idée comme ça !

— Oui, dit François gravement. Est-ce qu’il ne serait pas plus raisonnable d’aller nous installer ailleurs ? »

Un concert de protestations s’éleva aussitôt : « François ! Nous ne sommes pas des poltrons ! Nous voulons rester ici !

— Comment ! Partir d’ici ? Nous y sommes si bien, et nous ne gênons personne, après tout !

— Je ne bougerai pas ma roulotte d’un pouce, quoi qu’on puisse dire ! » C’était Claude qui parlait ainsi, bien entendu.

« Non, ne partez pas ! dit Pancho. Ne faites pas attention à mon oncle et à Lou. Restez ici, et je vous montrerai le camp du cirque !

— Je n’ai pas envie de quitter ce joli coin, expliqua François, la mine toujours soucieuse. Seulement, je suis responsable de notre groupe et… enfin, je n’aime pas les manières de Lou et de Carlos…

— Prends un autre morceau de gâteau, et n’en parlons plus ! décida Mick. Nous allons rester dans notre caverne, même si ce n’est pas du goût de ces messieurs. Et puis, j’aimerais bien savoir pourquoi ils désirent tant que nous partions… Il y a une raison ! »

Le soleil disparut dans un flamboiement d’incendie, et le lac refléta de merveilleux tons de pourpre et d’or. Pancho se leva à regret. Flic et Flac, qui tenaient compagnie à Dagobert, s’apprêtèrent à le suivre.

« Il faut que je rentre au camp, dit Pancho. Voulez-vous venir voir les animaux demain ? L’éléphant vous fera bien rire !

— Et si ton oncle changeait encore d’idée ? S’il ne voulait pas de nous au camp ? » objecta Annie.

Pancho se gratta la tête, perplexe.

« Si tout va bien, je sortirai le canot et je vous ferai signe avec un mouchoir, promit-il. Comme ça, vous saurez que vous pouvez venir. Au revoir ! À bientôt ! »