CHAPITRE IV
 
Le départ

 

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LES ROULOTTES s’éloignèrent sur la route. François chantait à tue-tête un air connu et les trois autres reprenaient le refrain en chœur. Dagobert se mit à aboyer, très énervé, lui aussi. Il s’était installé à côté de Claude, qui se trouvait quelque peu à l’étroit, entre Annie et lui. Mais rien ne pouvait déranger Claude par un si beau jour ! Nestor allait calmement, heureux d’être sorti de son pré. Le vent faisait flotter sa crinière. Annibal, qui le savait à courte distance, s’intéressait beaucoup à Dagobert, et tournait la tête vers lui chaque fois que le chien aboyait ou descendait de la roulotte pour aller courir un peu sur la route. Les enfants pensaient : « Comme c’est amusant de voyager avec deux chevaux et un chien ! »

Ils se dirigeaient vers le lieu où ils espéraient retrouver le cirque. François avait repéré le lac Vert sur la carte, au pied d’une montagne. Ce lac se trouvait à une bonne distance, pour des roulottes tirées par des chevaux. Il leur faudrait plusieurs jours pour y parvenir, mais le but en valait la peine ! La brochure de M. Gauthier leur permettrait de trouver de bons endroits pour faire étape.

Annie pensait avec joie au soir qui allait venir, au moment où, réunis autour d’un feu de camp, ils feraient cuire leur repas…

Chaque jour, ils s’éveilleraient dans des paysages nouveaux… Elle était sûre que ce serait les plus belles vacances qu’ils eussent jamais eues…

« Nous avons déjà connu des aventures formidables, en vacances, dit-elle à Claude. J’aimerais pour cette fois un beau voyage sans trop de risques…

— Moi, j’aime les aventures ! déclara Claude. Cela ne me déplairait pas du tout d’en avoir une de plus. Mais cela ne nous arrivera pas cette fois-ci, Annie. Nous n’aurons pas cette chance ! »

Ils s’arrêtèrent vers midi et demi pour prendre un repas froid. Tout le monde avait grand-faim. Nestor et Annibal se dirigèrent vers un fossé où poussait une herbe longue et drue, fort appétissante. Ils se mirent à brouter avec entrain.

Les enfants découvrirent un banc ensoleillé. Ils s’y installèrent pour déjeuner, Annie regarda Claude et constata :

« Tu as plus de taches de rousseur que jamais !

— Cela m’est bien égal ! » lui répondit Claude.

Elle ne se souciait guère de son apparence physique et regrettait même d’avoir de beaux cheveux frisés, qui adoucissaient son visage aux traits un peu garçonniers.

« Passe-moi les sandwiches au pâté, Annie, dit Mick. Si nous avons toujours aussi faim qu’aujourd’hui, nous devrons acheter des provisions dans toutes les fermes devant lesquelles nous passerons ! »

Quand ils furent bien restaurés, ils repartirent. À son tour, Mick conduisit Nestor. François marcha à côté de la roulotte, pour se dégourdir les jambes.

Claude voulait conduire encore. Annie ne protesta pas. Elle avait sommeil. Sommeil au point qu’elle craignit de tomber de son siège, si elle restait près de Claude ! Aussi, décida-t-elle d’aller faire la sieste dans la roulotte.

La lumière adoucie et la fraîcheur qui régnaient à l’intérieur plurent à Annie. Elle grimpa sur une des couchettes, qu’elle trouva confortable. La roulotte avançait doucement ; la petite fille ferma les yeux…

François regarda par la fenêtre et sourit en voyant sa sœur déjà endormie. Il empêcha Dagobert d’aller la rejoindre. Le chien l’aurait sans doute réveillée d’un grand coup de langue sur le nez !

« Viens donc marcher un peu avec moi, Dago, lui dit François. L’exercice te fera du bien. Si tu maigris un peu, tu n’en seras que mieux !

— Il n’a pas besoin de maigrir, protesta Claude. Je le trouve très bien comme ça. Ne l’écoute pas, Dagobert !

— Ouah ! » fit le chien, en s’empressant de suivre François.

Les deux roulottes couvrirent une bonne distance ce jour-là. François ne se trompa pas de chemin. Il savait fort bien lire une carte.

Quand Annie se réveilla, elle s’étonna du joli paysage de montagnes qu’elle voyait autour d’elle.

« Est-ce que nous serons bientôt arrivés au lac Vert ? demanda-t-elle naïvement.

— Mais non, Annie, lui dit François. C’est très loin ! Nous n’arriverons que dans quatre ou cinq jours ! Maintenant nous devons trouver un endroit pour camper. »

Ils cherchèrent sur leur guide et s’aperçurent qu’il n’y avait aucun terrain de camping dans les environs.

«Demandons la permission de camper au premier fermier que nous rencontrerons », décida François.

Claude désigna du doigt un bâtiment au toit de tuiles, éclairé dans le lointain par un rayon de soleil.

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Un peu plus tard les roulottes s’arrêtèrent sur le bord de la route. François descendit avec Annie, et tous deux prirent un chemin de terre qui conduisait à la ferme. Quand les enfants se présentèrent à la barrière, trois chiens se mirent à aboyer rageusement. Mais la fermière sortit sur le pas de sa porte, appela ses chiens et fit signe aux enfants d’entrer.

Grâce à ses manières polies, François obtint facilement de la fermière l’autorisation de camper sur ses terres, près d’un ruisseau.

« Je suis sûre que vous ne chasserez pas les animaux de la ferme, et que vous ne laisserez pas les barrières ouvertes, comme font quelquefois des campeurs mal élevés, dit-elle. Que voulez-vous emporter, jeune homme ? Des œufs tout frais ? Je vais vous en chercher. Pendant ce temps, cueillez donc des cerises sur cet arbre, pour votre dessert ! »

Quand le Club des Cinq fut installé près du ruisseau, Annie commença à préparer le dîner. Quelques jours plus tôt, la cuisinière lui avait appris à faire une omelette au jambon ; aussi, était-elle très fière de montrer ses nouveaux talents aux autres.

François alla avec Mick ramasser du bois mort ; ils firent un feu de camp. Les enfants pensaient tous que ce serait tellement plus agréable de dîner en plein air que dans une roulotte !

Mick détacha Nestor et Annibal, qui se dirigèrent vers le ruisseau. Ils parurent très satisfaits de boire et de se tremper les pattes dans l’eau. Annibal flaira son compagnon Nestor, puis le gros chien qui venait boire tranquillement près de lui.

Annie réussit fort bien son omelette au jambon. Chacun s’en régala.

Avec du pain, ils nettoyèrent soigneusement leur assiette avant d’y mettre une grosse part de fromage blanc à la crème. Mick y ajouta tant de sucre que le fromage disparut dessous. Ils terminèrent par les cerises, tardives et quelque peu aigrelettes comme elles sont souvent dans les régions montagneuses ; néanmoins, tout le monde les trouva fort bonnes.

Ils bavardèrent autour du feu pendant plus d’une heure. Puis, François déclara qu’il était temps d’aller au lit. Personne ne protesta ; Claude et Mick avaient hâte d’essayer les couchettes des roulottes.

« Est-ce que je vais faire la vaisselle dans le ruisseau ou dans le petit évier ? demanda Annie. Qu’en pensez-vous ?

— Il vaut mieux faire la vaisselle dans le ruisseau, pour épargner notre réserve d’eau de pluie, conseilla François. Dépêchez-vous, les filles, car je veux fermer votre roulotte à clef pour que vous y soyez en sécurité.

— Fermer ma porte à clef ! s’écria Claude, indignée. Ah ! non, alors ! Personne ne m’enfermera, tu entends ? Je veux pouvoir sortir si j’ai envie de faire une promenade au clair de lune…

— Tu aurais tort de t’éloigner dans la campagne la nuit, dit son cousin. Tu peux tomber dans un piège. Ou bien rencontrer un rôdeur…

Claude l’interrompit avec impatience : « Et Dagobert, qu’est-ce que tu en fais ? Tu sais bien qu’il ne laissera personne nous approcher. Je ne veux pas que tu nous enfermes, François. Je ne pourrais pas le supporter. Dago nous protégera mieux que n’importe quelle serrure !

— Je n’en doute pas, répondit François. Ce n’est pas la peine de te mettre en colère, Claude. Promène-toi au clair de lune si cela te fait plaisir. Je vais me coucher. Bonsoir ! »

Après s’être lavé dans le ruisseau, chacun grimpa dans sa roulotte et se déshabilla.

Chez les filles, Claude prit la couchette du haut. Annie essaya de s’endormir dans la couchette du bas, mais Dagobert voulait absolument monter pour rejoindre Claude. Il tenait à dormir sur les pieds de sa maîtresse, comme d’habitude. Annie protesta contre les tentatives d’escalade du gros toutou ; comme Dagobert s’entêtait, elle se fâcha :

« Claude ! Il vaut mieux que tu changes de place avec moi. Dago saute sur moi et me piétine pour essayer de t’atteindre. J’en ai assez ! Je veux dormir tranquille ! »

Claude dut changer de place avec Annie. Alors, Dago, tout heureux, se coucha sur les pieds de Claude, et ne bougea plus.

Annie, au-dessus d’eux, s’endormit bientôt en pensant qu’il était agréable de se trouver dans une roulotte, qui doit vous conduire vers des paysages neufs…

On entendait clairement le murmure du ruisseau. Une chouette lança son cri lugubre dans la nuit, ce qui fit grogner Dagobert.

Tout le monde dormait, lorsqu’un coup violent secoua la roulotte des filles. Quelqu’un cherchait-il à s’y introduire ? Dagobert se mit à aboyer éperdument. De frayeur, Annie faillit tomber de sa couchette…

Dagobert courut à la porte, que Claude avait laissée entrouverte, à cause de la chaleur.

La voix inquiète de François retentit alors :

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tenez bon, les filles, nous arrivons ! »

Les deux garçons, pieds nus, couraient dans l’herbe humide. François heurta un obstacle qu’il ne put identifier. Il poussa un cri.

Mick, qui s’était muni de sa lampe de poche, éclaira la scène. Il partit d’un grand éclat de rire. Nestor regardait les deux garçons d’un air de reproche. Pourquoi tout ce bruit et ces cris ? Ne pouvait-il se promener la nuit autour des roulottes ?

Mick alla rassurer Claude et Annie.

« C’est Nestor qui vous a fait une farce ! » leur dit-il.

Les enfants se recouchèrent, et, cette fois, rien ne troubla plus leur sommeil jusqu’au matin. Personne n’entendit Annibal qui, lui aussi, vint faire le tour des roulottes, en hennissant doucement dans la nuit…

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