CHAPITRE XII
Un beau jour qui finit mal !
ILS EURENT tôt fait de retrouver le chimpanzé. Il se promenait parmi les roulottes. Quand il vit Annie, il s’avança vers elle et lui glissa quelque chose dans la main tout en lui tenant un aimable discours.
Annie regarda le cadeau que le chimpanzé lui offrait, C’était un œuf dur !
« Il a dû fouiller dans nos paniers ! dit-elle aux autres enfants. Allons vite voir ! »
En effet, il manquait deux œufs et quelques tomates. Pancho donna une claque à son singe.
« Je vais t’enfermer dans ta cage » maintenant, lui dît-il Voilà tout ce que tu auras gagné ! »
Dès qu’il fut enfermé, Bimbo se mit à pleurer derrière ses barreaux. Annie s’en émut
« Pleure-t-il vraiment ? demanda-t-elle. Pancho, pardonne-lui ! Il ne savait pas qu’il agissait mal !
— Tu crois ça ? Eh bien, tu te trompes ! répliqua Pancho. Pour le moment, il essaie encore de nous rouler. Il ne pleure pas, il fait semblant ! Venez, vous avez encore beaucoup de choses à voir ! »
La matinée passa vite. À midi, les visiteurs n’avaient pas encore vu les ouistitis.
« Je vous les montrerai plus tard, dit Pancho. Si on allait déjeuner au bord du lac ? »
Cette proposition fut bien accueillie.
Lou et Carlos n’étaient pas au camp. Les enfants s’en réjouissaient fort.
« Où sont-ils ? demanda François.
— Ils sont partis je ne sais où. Mon oncle disparaît souvent comme ça, surtout la nuit. Quand nous voyageons, c’est pareil. Il m’arrive de me réveiller au milieu de la nuit, et de voir que je suis tout seul dans la roulotte !
— Où crois-tu qu’il va ? demanda Claude.
— Est-ce que je sais ? dit Pancho en haussant les épaules. Je serais plutôt mal reçu si je lui demandais des explications ! Pour le moment nous sommes tranquilles. Profitons-en ! »
Ils déballèrent leurs provisions au bord du lac, en se réjouissant que Bimbo n’eût pas tout mangé.
Le soleil brillait, l’eau verte semblait fort attirante. Lorsqu’ils eurent déjeuné, Mick soupira :
« Comme j’aimerais pouvoir nager tout de suite !
— Tu sais bien qu’on ne peut pas se baigner aussitôt après un bon repas. Il faut attendre.
— Oui, bien sûr, dit Mick, résigné. Alors, je vais dormir un peu. Après nous irons voir les ouistitis ! »
Ils firent tous une petite sieste. Annie se réveilla la première et appela tous les autres, car elle avait hâte de retourner au camp du cirque.
Quand les enfants s’en approchèrent, ils entendirent des cris, des exclamations… Le camp semblait vraiment fort agité.
« Que se passe-t-il ? dit Pancho. Oh ! tous les ouistitis se sont échappés ! »
C’était vrai. De tous côtés, les enfants virent de petits singes perchés sur les toits des roulottes, ou dans les arbres.
Une femme très brune, aux yeux étincelants, se dirigea vers Pancho. Elle le secoua par l’épaule.
« Regarde ce qu’a fait Bimbo ! Tu l’as mis dans sa cage, seulement tu as mal fermé la porte ! Il s’est sauvé et il a été ouvrir la cage des ouistitis ! Si jamais je l’attrape, ton Bimbo, je lui casse mon balai sur la tête ! »
Pancho réussit à échapper à la gitane. Il prit un recul prudent et demanda :
« Où est Lucilla ?
— Lucilla est allée à la ville, répondit la gitane. Elle sera contente, quand elle apprendra ça !
— Oh ! Pourquoi te mets-tu en colère ? Les ouistitis n’iront pas loin. Quand Lucilla reviendra, elle les fera rentrer dans leur cage, dit tranquillement Pancho.
— Mais ils vont faire des dégâts ! Ils vont nous causer des tas d’ennuis ! rétorqua la gitane, toujours furieuse.
— Regarde, voilà Lucilla qui revient ! » dit Pancho, ravi.
Une vieille femme, toute petite et ratatinée, mais fort vive, pénétrait dans le camp.
« Elle ressemble un peu à ses singes », pensa Annie, en riant à part soi.
« Les ouistitis sont sortis de leur cage ! » lui crièrent les enfants du camp en courant à sa rencontre.
Lucilla commença par accabler de sottises toutes les personnes présentes. Quand elle fut calmée, elle leva les bras au ciel et prononça d’une voix douce des mots que nos amis ne purent comprendre.
« Ce doit être une formule magique », pensa Annie.
L’un après l’autre, les singes quittèrent leur perchoir et s’avancèrent vers elle… Ils sautèrent sur ses épaules et dans ses bras, où ils se blottirent comme de tout petits enfants. Bientôt ils furent tous là, l’entourant, mêlant à sa voix des sons bizarres qui semblaient exprimer un profond attachement…
Elle se dirigea lentement vers la grande cage, tout en continuant à leur parler doucement. Chacun l’observait en silence.
Quand les singes eurent tous réintégré leur cage, la gitane qui avait secoué Pancho dit à celui-ci :
« Quelle drôle de femme ! Elle n’aime que ses ouistitis, et il n’y a que ses ouistitis qui l’aiment. Prends garde à ton Bimbo, qui leur a ouvert la porte !
— Je vais l’emmener se baigner avec l’éléphant, dit Pancho. Quand nous rentrerons, Lucilla aura tout oublié ! »
Pancho et ses quatre amis se mirent à la recherche de Bimbo. Ils ne tardèrent pas à le découvrir. Il se cachait sous une roulotte. Puis Pancho détacha l’éléphant.
Le Club des Cinq, Pancho, Bimbo et Titan se rendirent ensuite au bord du lac.
« Des histoires comme celle-là doivent arriver souvent dans un cirque, dit Annie.
— Oui, dit Pancho. Les animaux nous font tout le temps des farces. C’est la vie de tous les jours… »
Annie resta songeuse. La vie de tous les jours ! Combien cette curieuse vie était éloignée de la sienne !
L’eau du lac leur parut bienfaisante. Bimbo, frileux comme tous les singes, ne voulut pas se tremper complètement. Il resta près du bord, là où l’eau peu profonde est tiédie par le soleil. Il éclaboussait copieusement tous ceux qui passaient à sa portée.
L’éléphant barbotait, tout heureux. Bimbo lui sauta sur le dos et lui tira l’oreille. Titan plongea sa trompe dans l’eau, aspira fortement, et doucha copieusement l’importun !
Les enfants rirent aux éclats, en voyant le chimpanzé tomber dans l’eau. Il fut entièrement mouillé, ce qu’il détestait !
« C’est bien fait pour toi ! lui cria Pancho. Hé ! Titan, as-tu fini de m’arroser ? »
L’éléphant, satisfait de sa petite plaisanterie, ne voulait plus s’arrêter. Les enfants se hâtèrent de s’éloigner de lui à la nage.
« Je ne me suis jamais tant amusée ! dit Annie, après le bain. Je vais rêver la nuit de singes, d’éléphants, de chevaux, de chiens et de chimpanzés ! »
Pancho se livra à quelques acrobaties qui furent aussitôt imitées à la perfection par Bimbo. Mick et Annie essayèrent bravement d’en faire autant, mais ils retombèrent maladroitement sur le sol.
Pour les consoler, François alla chercher les caramels, qu’il distribua à la ronde. Il en donna un à Bimbo. Celui-ci mordit voracement dans son caramel, et roula des yeux effarés en constatant qu’il ne pouvait plus ouvrir la bouche. Ses mâchoires restaient collées. Il s’assit, balança la tête d’un côté et de l’autre, tout en grognant. Heureusement, le caramel fondit bientôt et Bimbo retrouva l’usage de ses mâchoires. Rassuré, il suça bruyamment ce qui restait. Quand Mick lui présenta un autre caramel, il le refusa en tournant le dos sans plus de façon.
Les enfants se promenèrent à travers le camp. Pancho était fier de ses nouveaux amis. Quelques marmots vinrent les regarder et leur tirèrent la langue. Quand Pancho éleva la voix, ils s’enfuirent.
« Ils sont mal élevés, mais ils ne sont pas méchants », dit Pancho.
Le petit groupe arriva devant de gros camions recouverts de bâches.
« Quand nous donnons une représentation, j’aide à sortir tous les fauteuils et les bancs qu’il y a là-dedans. Après, il faut les mettre en ordre sous la grande tente. Il y a du travail, vous pouvez me croire ! Tenez, voici la camionnette de Lou !
— Que transporte-t-il ? demanda François.
— Son matériel d’acrobate, et d’autres choses… Mon oncle y met aussi des affaires à lui. Mais ils en font des mystères avec leur camionnette ! Ils ne laissent personne l’approcher. Une fois, j’ai essayé de voir ce qu’il y avait dedans, l’oncle Carlos m’a surpris et j’ai reçu une raclée ! »
Ils allèrent voir ensuite du matériel de cirque, déballé pour l’entraînement journalier et qui consistait en sièges divers pour les animaux, tables de prestidigitateur, agrès de funambules et d’acrobates.
Mick eut bien aimé examiner de plus près certaine table de prestidigitateur, mais Pancho le pria de n’en rien faire.
« Si on nous voit, j’aurai des ennuis » dit-il laconiquement.
François regarda sa montre et s’aperçut qu’il était sept heures.
« Il est temps de rentrer dit-il. Ce n’est pas étonnant que je commence à avoir faim ! Tu viens avec nous, Pancho ?
— Oh, oui ! Je vais emmener Bimbo et mes deux chiens, comme ça, si je reste longtemps et qu’il fasse nuit quand je reviendrai, ils sauront retrouver leur chemin ! »
Ils gravirent le sentier en silence, car ils commençaient à se sentir fatigués. Annie réfléchissait au dîner qu’elle allait préparer pour la compagnie : des sardines, du jambon, deux grosses boîtes de petits pois en conserve. Ce serait vite fait, et nourrissant.
Ils entendirent Dagobert aboyer dans le lointain,
« On dirait qu’il est en colère ! remarqua Mick. Pauvre Dago ! Il pense que nous l’abandonnons. »
Quand ils arrivèrent près des roulottes, Dagobert fit fête à Claude comme s’il ne l’avait pas vue depuis un mois.
Flic et Flac sautaient joyeusement autour de
Dagobert, Bimbo lui tira la queue, Dago ne parut pas le remarquer ; le singe en fut vexé.
« Tiens ! Qu’est-ce que Flac est en train de manger là ? dit soudain Claude. De la viande crue ? Est-ce que par hasard le fermier serait passé par ici et aurait donné un morceau de viande à Dagobert ? Dans ce cas, pourquoi ne l’a-t-il pas mangé ? »
Ils regardèrent tous le fox-terrier, qui mâchait gloutonnement son morceau de viande. Flic essaya de le lui disputer. Dagobert poussa une sorte de gémissement.
« C’est curieux ! » dirent les enfants.
Soudain, ils comprirent. Flac eut un aboiement rauque, se mit à, trembler de tout son corps, et soudain tomba sur le côté…
« Il est empoisonné ! » cria Pancho.
D’un coup de pied, il éloigna Flic du reste de viande, puis il prit Flac dans ses bras.
« Je crois bien qu’il est mort ! » dit Pancho d’une voix étranglée.
Les larmes ruisselaient sur les joues du jeune saltimbanque. Il redescendit le sentier, portant son chien inerte, suivi de Flic et de Bimbo, qui semblaient comprendre qu’il venait de se passer quelque chose de terrible. Le Club des Cinq, atterré, les regarda s’éloigner. De la viande empoisonnée ! Qui avait fait cela ?