27

Le lendemain soir, dans la Salle de Guerre de la forteresse, Han offrit une petite fête aux sœurs des neuf clans de Dathomir.

Les sorcières portaient leurs plus beaux atours, qui paraissaient bien ternes comparés aux soieries et aux bijoux de la reine-mère.

La Ta’a Chume semblait apprécier fort peu la compagnie. Assise sur des coussins de cuir qu’elle jugeait inconfortables, harcelée par des moustiques, elle n’avait qu’une hâte : retourner à Hapes s’occuper de ses affaires.

Han la regarda toute la soirée, intrigué par son visage voilé, et impressionné par ses mauvaises manières, qu’il savourait en expert.

Au plus fort du festin, Solo offrit à Augwynne le titre de propriété de Dathomir. Emue jusqu’aux larmes, la vieille femme fit signe à des servantes, qui vinrent déposer aux pieds du Corellien des paniers remplis de gemmes et d’or.

D’abord abasourdi, Han balbutia :

— Heu… J’avais oublié cette partie du marché… Je n’ai pas besoin de tout ça… (Il regarda Leia.) J’ai déjà le plus beau trésor du monde…

— Un accord est un accord, général Solo. Et notre dette envers toi ne s’éteindra jamais. Tu nous as libérées de Zsinj et des Sœurs de la Nuit.

— C’est vrai, mais…

Leia lui enfonça un coude dans les côtes.

— Accepte, souffla-t-elle, ça servira à payer le mariage.

Han baissa les yeux sur le trésor, se demandant quel genre de cérémonie elle avait prévu.

— J’ai une nouvelle importante à annoncer, déclara Isolder en se levant. Teneniel Djo, petite-fille d’Augwynne Djo, consent à devenir ma femme.

— Non ! s’exclama la reine-mère. Tu ne peux épouser une paysanne venue de ce trou perdu ! Cette gueuse, régner sur Hapes ?

— C’est une princesse, et elle héritera un jour d’un monde. N’est-ce pas une qualification suffisante ? Mère, il te reste des années de règne. Tu la formeras…

— Même si c’est vraiment une princesse – ce que je te défie de prouver – sa famille possède Dathomir depuis exactement cinq minutes. Peux-tu me dire où est la lignée royale là-dedans ?

— Je l’aime, éluda Isolder. Avec ou sans ta permission, je l’épouserai.

— Imbécile ! N’imagine pas que je te laisserai faire !

— Bien sûr que vous l’en empêcherez, lança Luke depuis le fond de la salle. D’ailleurs, vous ne l’auriez pas non plus laissé épouser Leia ! Soulevez votre voile, et dites-lui en face qui a envoyé des tueurs à la princesse…

La voix de Luke avait le ton impérieux que lui donnait la Force. La reine-mère tressaillit.

— Allez ! Retirez votre voile, et parlez !

La souveraine obéit.

— C’est moi qui ai engagé les tueurs.

Isolder la dévisagea.

— Pourquoi ? Tu m’avais donné ta permission. Tu as offert des cadeaux… Pouvais-je agir plus ouvertement ?

— Tu rêvais d’une alliance que je n’approuve pas ! Pourquoi es-tu allé choisir une pacifiste bêlante dans une démocratie ? L’as-tu entendue vanter sa République ? Notre famille dirige la Confédération depuis quatre mille ans. En une génération, ses enfants gâcheront des siècles d’efforts. Je les vois déjà prêcher la tolérance…

« Mais je ne voulais pas avoir l’air de bafouer tes droits. Ni m’aliéner ta loyauté en te contrariant… Alors…

— Tu aurais préféré tuer une innocente… Espérais-tu ainsi m’éloigner un peu plus de mes tantes ?

Les yeux de la reine-mère s’étrécirent.

— Tes tantes n’ont pas besoin qu’on leur impute des crimes… Isolder, elles sont aussi dangereuses que tu le penses. Mais Leia est une pacifiste ! Je ne pouvais te laisser faire. Comment aurait-elle régné ? Comprends-moi : si Hapes avait été militairement forte, avant la naissance de l’Empire, comme je le souhaitais, nous n’aurions jamais eu de problèmes. Les pacifistes et les diplomates ont failli détruire la Confédération.

— Ma première fiancée était aussi une pacifiste, souffla Isolder. Es-tu responsable de sa mort ?

La souveraine remit son voile.

— Je ne me laisserai pas insulter en public. Bonsoir…

— Et mon frère aîné… Etait-il trop faible à ton goût ? Tu refuses de laisser quelqu’un d’autre choisir celle qui te succédera, n’est-ce pas ?

La reine-mère se retourna.

— Garde tes déductions pour toi, Isolder ! Ne juge pas ce que tu ne peux comprendre. Après tout, tu n’es qu’un mâle !

— Je sais ce que sont le meurtre et l’infanticide !

La Ta’a Chume n’écoutait plus. Alors qu’elle se dirigeait vers la porte, Teneniel prit le bras au prince.

— Laisse-moi m’en occuper… (Elle psalmodia :) Ta’a Chume… Ta’a Chume…

La reine s’arrêta comme si la sorcière avait tiré sur une laisse.

— Je vais épouser ton fils, et je régnerai un jour à ta place.

La mère d’Isolder se retourna, ses yeux lançant des éclairs.

— Sois certaine que je n’ai rien d’une pacifiste. Ces deux derniers jours, j’ai tué pas mal de gens. Si tu t’attaques à moi, ou aux miens, je te forcerai à confesser publiquement tes crimes, puis je te ferai exécuter. Crois-moi, je te juge assez méprisable pour une telle fin.

Les quatre gardes du corps de la reine se tenaient à l’entrée. Teneniel l’ignorait, mais menacer la souveraine était un motif d’exécution immédiate.

Les gardes portèrent la main à leurs blasters. D’un geste, Teneniel propulsa les armes très loin d’elles. La plus grande chargea. D’un autre geste, la sorcière l’assomma à distance.

La Ta’a Chume blêmit sous son voile.

— Réfléchis, mère… Te rappelles-tu m’avoir dit que tu ne voulais pas voir tomber Hapes entre les mains d’une dynastie de plieurs de petites cuillers ? Avec Teneniel pour bru, tes propres petits-enfants plieront les cuillers. N’est-ce pas une solution élégante ?

La souveraine dévisagea Teneniel.

— Peut-être ai-je jugé trop rapidement… Teneniel Djo, princesse de Dathomir, fera une excellente reine-mère. Mais avant de venir chez nous, qu’elle mette des habits corrects, pour l’amour du ciel !

Elle tourna les talons.

— Une dernière chose, mère ! La Confédération va rejoindre la Nouvelle République. Sur-le-champ !

La Ta’a Chume hésita, hocha la tête, et sortit au pas de course…

Le matin suivant, Luke se tenait sur le balcon de la Salle de Guerre. Il contemplait le ballet des navettes amenant les derniers prisonniers vers les vaisseaux hapiens.

Augwynne vint lui tenir compagnie.

— Etes-vous sûre de ne pas vouloir partir ? demanda le Jedi. Le secteur restera longtemps dangereux…

— Dathomir est notre monde. Nous n’avons rien qu’on puisse vouloir nous prendre. Enfin, presque rien, je sens que tu désires quelque chose, Luke Skywalker.

— Une épave, dans les marécages… Ce vaisseau, le Chu’unthor, était autrefois une Académie Jedi. J’aimerais revenir un jour et le renflouer, pour voir si les archives sont intactes.

— Je me souviens… Nos ancêtres ont mené une grande bataille contre les Jai, il y a longtemps.

— Et elles ont gagné.

— Non… Il n’y a pas eu de vainqueur. A la fin, nous avons négocié, et conclu un accord.

— Ils vous ont laissé le navire, mais il est perdu dans les marécages depuis trois siècles. Qu’avez-vous gagné ?

— Je l’ignore… Seule Rell était là, et son esprit n’est plus cohérent…

— Rell ? répéta Luke.

Un étrange sentiment de paix l’envahit. Augwynne l’interrogea du regard, mais il traversa la salle en trombe et entra dans la chambre de Rell.

L’ancêtre était toujours assise dans le même fauteuil, près du coffre de pierre. Elle leva sur lui un regard vide.

— Mère Rell, c’est moi, Luke Skywalker.

— Luke ? Tu as tué toutes les Sœurs de la Nuit ?

— Oui.

— Alors ce monde finit et un autre commence, comme Yoda l’avait prédit. (Luke tremblait d’excitation.) Je suppose que tu es venu pour les archives ?

— Oui.

— Nous les voulions, sais-tu, mais les Jai ont refusé de nous confier la technologie qui permet de les lire. Leurs enseignements étaient trop puissants, disaient-ils, pour que nous les ayons tant qu’il resterait des Sœurs de la Nuit sur notre monde. Yoda a promis que tu partagerais un jour ces trésors avec nos enfants.

Se levant, elle s’approcha du coffre et essaya de l’ouvrir.

— Aide-moi…

Luke obtempéra. A l’intérieur se trouvait un coffret métallique équipé d’un boîtier de commande. Luke réfléchit un moment, puis saisit les deux glyphes qui composaient le nom de Yoda.

Le coffret s’ouvrit. Luke tira sur la petite porte.

Des centaines de puces de données attendaient d’être lues. Les informations qu’elles contenaient suffisaient à occuper dix vies !

 

Le même jour, à midi, une navette hapienne passa prendre Teneniel et Isolder. Luke, Han, Leia, Chewie et les droïds vinrent leur dire adieu.

Le prince semblait hésiter à quitter la planète.

Leia l’étreignit ainsi que Teneniel, et leur souhaita tout le bonheur possible. La jeune sorcière lui rappela qu’ils se verraient de temps en temps, maintenant que Hapes était unie à la Nouvelle République.

Han serra la main de Teneniel et tapa sur l’épaule du Hapien.

— A un de ces jours, vermine. Méfie-toi des pirates…

Isolder sourit et soutint le regard du Corellien. Les sorcières et Luke avaient fait leur possible pour guérir sa jambe et ses dents. Néanmoins, il portait toujours une attelle, qui lui donnait l’air d’un pirate.

L’allure toujours insolente, Han gardait quelque chose d’aérien et de sautillant dans la démarche.

Oui, même avec une attelle !

— A un de ces jours, crétin, répondit Isolder.

Mais il ne pouvait finir sur cette réplique.

— Où pensez-vous passer votre lune de miel ? demanda-t-il.

Han haussa les épaules.

— J’avais pressenti Dathomir, mais c’est si calme, depuis deux jours… J’ai peur qu’on s’ennuie.

— Pourquoi ne pas visiter la Confédération ? suggéra le Hapien. Je jure que cette visite se passera pour Han mieux que la précédente…

— Une promesse facile à tenir… Il suffit qu’on ne me tire pas dessus…

— Qui oserait ? Néanmoins, nous fouillerons tes sacs, à ton départ, histoire de récupérer ce que tu auras volé…

Han éclata de rire et flanqua une grande tape dans le dos de son ancien rival. Quand Chewie et C-3P0 eurent fait leurs adieux, ce fut le tour de Luke.

Le Jedi ne céda pas au sentimentalisme. Il prit la main de Teneniel et la regarda dans les yeux – non, derrière les yeux.

— Tu donneras d’abord naissance à une fille, qui sera forte et vertueuse, comme toi. Quand tu jugeras l’heure venue, tu me l’enverras pour que j’en fasse une Jedi…

Teneniel sourit et l’étreignit. Luke serra la main du prince.

— N’oublie pas de servir le bon côté de la Force. Même si tu ne seras jamais capable de manier un sabrolaser ou de soigner un malade, il y a en toi de la lumière. Sois-lui fidèle…

— Je le serai, promit Isolder.

Il s’étonna de mesurer combien sa vie avait changé en quelques jours. Une brusque inspiration l’avait décidé à accompagner Luke sur Dathomir ; à présent, il suivrait toute sa vie la voie du Jedi.

— Je le serai…

Un moment, tous se regardèrent. Puis Isolder contempla la vallée, le village, la forteresse, les rancors qui se baignaient dans l’étang… S’emplissant une dernière fois les poumons de l’air de Dathomir, il constata que ses sinus brûlaient un peu.

Il avait dû être allergique à quelque chose sans trop s’en apercevoir…

Le prince monta dans la navette au côté de la femme qu’il emmenait vers d’autres mondes, d’autres étoiles…

 

Six semaines plus tard, à Coruscant, Luke, fraîchement baigné, venait de revêtir sa plus belle bure. Témoin au mariage de Leia, il avait prévu d’arriver longtemps à l’avance, mais le pilote de la navette l’avait déposé au consulat alderaanien, occupé par des insectoïdes charmants au demeurant, mais distant de deux cents kilomètres du consulat alderaanien.

En conséquence, il fallait qu’il se dépêche. Sortant de la chambre, il s’engagea dans le long couloir qui menait à la Salle d’Apparat.

A une intersection, il aperçut C-3P0 qui courait devant lui, et le rattrapa sans mal.

— Eh bien, qu’est-ce qui ne va pas ?

— Maître Luke, je suis tellement content de vous voir ! Je nous ai tous mis dans une situation affreuse. Il faut arrêter ce mariage !

— De quoi parles-tu ?

— L’ordinateur de la ville vient de m’apprendre une terrible nouvelle. En approfondissant ses recherches, il a découvert que Han n’est pas du tout de sang royal.

— Sans blague ?

— Comme je vous le dis ! Son arrière-grand-père, Korol Solo, n’était qu’un vague prétendant au trône qui a fini pendu pour ses crimes. Il faut prévenir tout le monde !

— Je comprends pourquoi notre ami avait l’air si embarrassé, au Conseil Alderaanien, quand tu as annoncé qu’il avait du sang bleu. Il savait la vérité, mais il n’a pas osé le dire…

— Voilà ! Il faut arrêter le mariage !

— D’accord, d’accord ! Ne t’inquiète pas…

Luke posa les mains sur les épaules du droïd.

— Je vais m’en occuper…

— Que c’est gentil à vous, maî…

D’un geste précis, Luke désactiva le droïd. Après l’avoir traîné dans un bureau vide, il verrouilla la porte et continua son chemin.

 

La Salle d’Apparat se distinguait par une magnifique voûte ornée de sculptures ; pénétrant par le dôme, la lumière du jour prenait une allure céleste particulièrement adaptée en ce jour de noces.

Un millier d’invités venant de toutes les planètes de la galaxie assistaient à la cérémonie. Quand Luke entra, certains se tournèrent vers lui.

Dans la rangée d’honneur, Teneniel Djo et le prince Isolder étaient assis à côté de R2-D2 et de Chewbacca, shampooiné et brossé de frais. Le prince tenait une fleur sur ses genoux : une arallute violette en forme de trompette…

Du fond de la salle, Skywalker regarda l’autel de marbre où Han et Leia étaient agenouillés côte à côte.

Dans son manteau brodé d’émeraudes, l’officiant rappelait ses droits et ses devoirs à la princesse.

Quand elle se tourna vers Luke, son diadème brillant comme une étoile, le Jedi sentit qu’elle ne lui en voulait pas d’arriver en retard, du moment qu’il était là.

Plus sereine et heureuse que jamais, Leia débordait d’une joie qui alla droit au cœur du Jedi.