13

Isolder serra les dents. Sur l’écran du Tonnerre, l’image d’une étendue de terre désertique grossissait à vue d’œil. Le crash était pour bientôt.

Le Hapien ne pouvait rien faire pour sauver son vaisseau. S’il rallumait les moteurs, les hommes de Zsinj le repéreraient et s’offriraient un carton. Son seul espoir était de s’éjecter à la toute dernière seconde, puis d’ouvrir son parachute le plus près possible du sol en espérant ralentir assez pour ne pas se briser les os.

Dans le lointain, à quelque quatre-vingts kilomètres, les lumières d’une petite ville déchiraient les ténèbres. A part cela, il n’y avait pas la moindre lueur. L’atterrissage promettait d’être rude…

Isolder sortit le kit de survie rangé sous le tableau de bord du chasseur. Devant lui, un parachute s’ouvrit. C’était celui du droïd, R2-D2, que le système d’éjection venait de propulser dans les cieux.

L’aile X de Luke entra dans l’atmosphère. Le prince ouvrit le dôme en transparacier de son navire. Otant son harnais de sécurité, il vérifia que le parachute était bien en place sur ses épaules, puis il sauta du vaisseau et partit en chute libre.

Le vent lui fouetta le visage, partiellement protégé par un masque à oxygène. A la vive lumière des deux lunes, il commença à apercevoir les arbres et les rochers vers lesquels il tombait comme une pierre.

Jugeant qu’il avait atteint les limites du raisonnable, le jeune Hapien tira sur la cordelette d’ouverture du parachute.

Rien ne se produisit. Les petites charges explosives qui auraient dû le propulser vers le haut avaient fait long feu !

Isolder tira sans résultat sur la cordelette de secours. Puis il battit follement des bras, comme s’il avait pu voler…

Soudain, il se sentit pris en charge par une sorte de champ répulseur. Perdant toute lucidité, il crut que le mouvement de ses bras était responsable du phénomène.

En conséquence, il n’osa pas arrêter jusqu’à la fin de sa chute…

Sous lui, il aperçut la coque chauffée au rouge de l’aile X de Skywalker. Elle s’écrasa au sol, se transformant aussitôt en une boule de feu.

A l’impact, les pieds du prince heurtèrent le sol rocheux avec une telle violence que ses genoux faillirent céder. Il parvint pourtant à ne pas tomber, le cœur battant comme un tambour dans sa poitrine.

Dès qu’il eut récupéré, il ôta son masque et respira l’air frais de la nuit.

Enfin, il regarda autour de lui.

Le Tonnerre s’était également posé en douceur. Pourtant, on ne voyait nulle part le générateur du champ de force à qui le Hapien devait la vie. Il ne remarqua pas non plus de déflecteurs antigravs braqués vers le ciel.

Quelque chose attira le regard du prince. Il cilla, refusant de croire ce qu’il voyait. Assis dans la position du lotus, les yeux fermés, Luke Skywalker flottait à trois mètres au-dessus du sol.

Fichus Jedi ! pensa le Hapien. Ils ont toujours un truc caché dans leur manche…

Quand il fut à quelques dizaines de centimètres du sol, Luke ouvrit les yeux, se leva, et sauta souplement comme s’il descendait d’une échelle.

— Comment… Comment avez-vous fait ?

Le prince sentit se hérisser les poils de ses avant-bras. Jusqu’à ce jour, jamais il n’avait éprouvé pareille admiration pour quelqu’un.

— La Force est avec moi, prince. C’est elle qui nous a sauvés.

— Luke, vous étiez mort ! Je l’ai lu sur l’écran de mes senseurs. Vous ne respiriez plus, et votre température…

— La transe des Jedi, expliqua Luke. Tous les maîtres savent arrêter leur cœur et baisser à volonté leur température. Il fallait tromper les hommes de Zsinj.

Skywalker scruta le désert, puis il leva les yeux. Suivant son regard, Isolder aperçut dans le ciel des petits points lumineux qui dansaient comme des lucioles. C’était la flotte ennemie, toujours aux prises avec le vaisseau hapien.

— Sur Tatooine, quand j’étais enfant, murmura Skywalker, j’adorais me lever en pleine nuit pour regarder avec des macrojumelles les gros transports spatiaux rentrer au port. Quand j’ai vu ma première bataille stellaire, j’étais chez mon oncle Owen, qui s’occupait d’une ferme hydroponique. A l’époque, je savais déjà que des hommes étaient en train de lutter pour leurs vies, mais j’ignorais qu’il s’agissait du vaisseau de Leia, et que je participerais un jour au conflit… Remué par le spectacle, j’aurais donné n’importe quoi pour en être…

Isolder comprenait d’autant mieux ce sentiment qu’il l’éprouvait à l’instant même. Une part de son cerveau se demandait comment Astara et ses hommes se tiraient de la bataille ; il enrageait de ne pas être en mesure de leur prêter main-forte.

Soudain, le Chant de Guerre, reconnaissable à sa grande soucoupe, bondit dans le ciel. Les deux hommes comprirent qu’il venait de passer en hyperdrive.

— Vous sentez l’appel du combat, n’est-ce pas ? L’envie de tuer et l’instinct de la chasse vous submergent. (Skywalker retira sa combinaison de vol ; dessous, il portait une bure couleur sable.) C’est le Côté Obscur de la Force qui vous tente… (Isolder recula, soudain conscient que le Jedi était capable de lire dans son esprit.) Prince, qui chassez-vous donc ?

— Han Solo !

— Etes-vous sûr ? Je sens que vous avez poursuivi d’autres hommes… Je sens… Quel était le nom de cet individu ? Et son crime ?

Le Hapien ne répondit pas immédiatement. Skywalker marcha à pas lents autour de lui, l’étudiant comme s’il pouvait voir à travers son corps.

— Harravan, souffla le prince. Le capitaine Harravan.

— Que vous avait-il fait ?

— Il a tué mon frère aîné…

Isolder trouvait fort déconcertant d’être interrogé par un homme qu’il croyait mort quelques instants plus tôt.

— Oui, Harravan… répéta Luke. Vous aimiez beaucoup votre frère… Je vous vois, petit, essayer de vous endormir dans votre grande chambre commune. Il chantait des chansons quand vous aviez peur, et tout s’arrangeait…

Des larmes perlèrent aux paupières du Hapien.

— Comment est mort votre frère ?

— Une décharge de blaster dans la tête… Harravan, bien sûr.

— Je vois… Vous devez pardonner, prince. La haine vous consume, elle empoisonne votre cœur. Si vous pardonnez Harravan, vous serez à même de servir le bon côté de la Force.

— Le pirate est mort ! s’insurgea Isolder. Pourquoi devrais-je m’inquiéter de lui donner l’absolution ?

— Parce que l’Histoire se répète. Une nouvelle fois, quelqu’un vous a enlevé une personne aimée. Harravan et votre frère. Solo et Leia. C’est la même chose, et vos sentiments actuels se nourrissent d’une très ancienne haine. Sans le pardon, le Côté Obscur de la Force deviendra à jamais votre maître.

— Quelle importance ? demanda le prince. Je ne suis pas comme vous, Luke. Dépourvu de pouvoir, je n’apprendrai jamais à voler dans les airs ou à simuler la mort…

— Vous avez du pouvoir, mon ami. Il faudra apprendre à servir la lumière qui est en vous, même si vous ne la voyez pas encore.

— Je vous ai observé pendant le voyage. Vous étiez toujours à l’écart… Skywalker, vous ne parleriez pas ainsi au premier venu…

Luke chercha le regard du Hapien. La double lumière des lunes dansait curieusement sur le visage du Jedi.

Isolder se demanda si cette tentative de « conversion » n’était pas intéressée. Après tout, il allait bientôt épouser une femme promise à un destin fabuleux.

— Je vous parle ainsi parce que la Force nous rapproche. Je sens que vous essayez de servir le bon côté. Sinon, pourquoi m’auriez-vous accompagné sur Dathomir ? Vous voulez sauver Leia, et…

— Assez d’idéalisme, Jedi ! Je ne suis pas là pour sauver la princesse, mais pour la reprendre à Solo.

Luke rit doucement, comme s’il faisait face à un petit garçon qui ne se connaissait pas lui-même. Isolder trouva très déconcertant le son de ce rire.

— Si vous préférez voir les choses comme ça… Mais je suis sûr que vous me suivrez si je pars à la recherche de Leia.

Isolder désigna le désert d’un geste circulaire.

— Par où commencer ? Elle peut être à des centaines de kilomètres de nous.

Luke indiqua les montagnes d’un signe de tête.

— Elle est par là, à quelque cent vingt kilomètres d’ici. (Il sourit.) Je vous préviens, le voyage ne sera pas facile. Ceux qui choisissent le bon côté de la Force se retrouvent souvent dans des endroits qui n’ont rien de plaisant. Et les forces des ténèbres se réunissent déjà pour nous combattre.

Le cœur battant, Isolder dévisagea le Jedi.

Comme tous les Hapiens, le prince n’était pas habitué à penser au monde en termes de côté Bon ou Obscur. Pour tout dire, il doutait que de telles instances existent. Pourtant, il avait en face de lui un Jedi capable de flotter dans les airs, de lire ses pensées, et de parler comme s’il connaissait chaque recoin de son âme.

Luke leva de nouveau les yeux. A quelques kilomètres de là, le droïd nommé R2-D2 achevait sa descente.

— Alors, Isolder, vous venez ?

Jusqu’à cet instant, l’instinct avait guidé le Hapien, le dispensant de réfléchir ou de s’étendre sur ses sentiments. D’un seul coup, la peur l’envahit, plus forte que jamais. Les genoux a deux doigts de s’entrechoquer, il sentit le rouge de la honte lui monter au visage.

Quelque chose l’effrayait, et il savait quoi. L’inquiétant n’était pas que Skywalker lui demande de l’accompagner dans les montagnes, mais qu’il lui propose de suivre son enseignement et son exemple.

S’il acceptait, Luke lui promettait un avenir rempli de détracteurs et d’ennemis. Car tel était le lot commun des Jedi.

Qui aurait voulu d’un futur pareil ?

— Laissez-moi récupérer certains objets dans mon chasseur. Ensuite, je serai votre homme !

Tandis qu’il fouillait le Tonnerre, Isolder sentit qu’il reprenait peu à peu ses esprits. Bientôt, il conclut que les discours vaseux du Jedi n’avaient aucun sens. Selon toute vraisemblance, aucune force maléfique ne rôdait dans les environs. Suivre Luke dans les montagnes ne l’engagerait à rien, et surtout pas à s’initier aux voies de la Force. D’ailleurs, Skywalker n’était peut-être qu’un illuminé.

Ouais… Mais je l’ai vu flotter dans le ciel…

Le Hapien sortit du chasseur.

— Je suis prêt, annonça-t-il.

 

La première partie du voyage se déroula sur un terrain très accidenté. Dans les crevasses qu’ils traversaient finissaient de pourrir les carcasses de grands animaux aux longues pattes arrière, à la queue très courte, à la tête plate et triangulaire, et aux pattes avant atrophiées. A en juger par leur squelette, ces créatures devaient mesurer dans les quatre mètres de long. Sur le sol, Luke remarqua à plusieurs reprises des écailles grises desséchées.

Ils ne virent pas de spécimen vivant de ces monstres. Mis bout à bout, ces éléments semblaient prouver que l’espèce avait disparu dans un passé récent. Sans doute un siècle, voire un peu moins…

A part des arbres aux silhouettes torturées, il ne poussait pas grand-chose dans ce désert.

Skywalker se jouait des difficultés du chemin, sautant souvent à pieds joints dans des crevasses que le Hapien négociait avec prudence.

Très vite, le prince se retrouva noyé de sueur alors que son compagnon n’avait pas un poil de mouillé.

Luke ne haletait pas, ne montrait aucun signe de faiblesse. Concentré, le visage fermé, il avançait sans faillir.

 

Il leur fallut la plus grande partie de la nuit pour retrouver le droïd. Décidé à ne pas partir sans son étrange petit tonneau, Skywalker fit montre pour lui d’une prévenance très inhabituelle.

Ils continuèrent leur chemin sur une route ennuyeuse, mais facile à suivre par le robot.

Dans le désert, il n’y avait pas trace de point d’eau, et le soleil levant augurait mal de la suite des événements. Luke ne fut pas long à prendre une décision :

— Nous allons camper pendant la journée. Vous voyez cette crevasse ?

Après avoir transporté le droïd grâce à la Force, il sauta à sa suite.

Isolder le suivit. Parvenu au fond, il décrocha une gourde de sa ceinture et but une bonne moitié de sa réserve d’eau. Luke se contenta d’une gorgée.

— Prince, vous feriez bien de dormir. La journée sera longue et un dur chemin nous attend cette nuit.

Sur ces mots, il s’assit, ferma les yeux et s’endormit instantanément.

Le Hapien lui lança un regard noir. Debout depuis très longtemps, il avait sauté tout un cycle de sommeil. Malgré la fatigue, il était incapable de dormir en plein jour. Agacé, il s’assit dans la même position que le Jedi et tenta d’exercer un contrôle absolu sur son corps.

En vain.

 

Une heure et demie plus tard, alors que le soleil était haut dans le ciel, le Hapien entendit le tremblement de terre. Parti des montagnes, le grondement approchait à vive allure. Le sol commença à vibrer ; des colonnes de poussières s’élevèrent.

R2-D2 émit une suite de bips et de sifflets. Luke bondit sur ses pieds.

— Que se passe-t-il, R2 ?

— Un séisme ! répondit Isolder.

Luke tendit l’oreille.

— Non ! cria-t-il. Ce n’est pas un…

Une ombre géante obscurcit le fond de la crevasse. D’autres apparurent. De grands reptiles couverts d’écailles bleu pâle sautaient d’un bord à l’autre de leur refuge. L’un faillit leur tomber dessus, se rétablissant par miracle au dernier moment.

— Ils fuient quelque chose ! hurla Isolder en se protégeant la tête des deux bras.

Bipant follement, R2 tournait en rond à la recherche d’un abri. Des centaines de reptiles passèrent au-dessus de leurs têtes.

Le rythme finit par ralentir. Un des derniers animaux sauta dans la crevasse, à moins de trois mètres des deux hommes et du droïd. Un énorme repli de peau bleue ballottant sous sa gorge, il étudia les étranges créatures qui occupaient l’endroit.

Le reptile haletait. Quand le dernier de ses semblables fut passé, il ne sembla pas vouloir bouger.

Il avait des yeux rouges et des crocs noirs en forme de pointe de lance. Sur son crâne luisaient des écailles bleu ciel. Son haleine empestait le compost…

— Ne t’inquiète pas, nous ne te ferons pas de mal, murmura Luke à la créature sans la quitter des yeux.

L’animal approcha et renifla la main tendue du Jedi. Luke versa un peu d’eau dans sa paume, laissant le reptile la laper avec une langue noire démesurément longue.

— Vas-y, ma belle, nous sommes tes amis…

— Skywalker, êtes-vous devenu fou ? Cette… chose… va engloutir toute notre eau.

— Il y a quatre-vingts kilomètres de désert entre notre position et les montagnes. C’est un trajet difficile, même pour un Jedi, surtout sans point d’eau. Chaque soir, ces créatures gagnent la forêt pour se nourrir. Le matin, elles rebroussent chemin afin de se mettre à l’abri des prédateurs. C’est pourquoi nous avons vu les cadavres de leurs ancêtres le long de la route. Ces êtres se nomment les Voyageurs Bleus du Désert. Ce soir, ils nous conduiront jusqu’aux montagnes. Nous n’aurons pas besoin de toute notre eau.

— Vous prétendez que ces animaux sont intelligents ?

— Pas plus que bien des espèces, mais pas moins non plus, répondit le Jedi en coulant un drôle de regard au Hapien. Ils se soucient les uns des autres et font montre d’une certaine forme de sagesse.

— Vous pouvez leur parler ?

Skywalker caressa le museau de la bête.

— La Force est en chacun de nous : vous, moi, elle… Cela me permet de sentir les intentions de cette femelle, et de lui communiquer les miennes.

Isolder regarda le Jedi et la bête, puis il se rassit, troublé pour une raison qu’il ne parvenait pas à comprendre.

Il dormit longtemps, se réveillant parfois pour boire ou pour manger. Le reptile dormit à côté d’eux, la tête aux pieds de Skywalker.

 

Au coucher du soleil, l’animal se releva et poussa un grognement. En réponse, d’autres montèrent des environs.

— C’est l’heure de partir, déclara Skywalker.

Isolder escalada la paroi de la crevasse pendant que Luke lévitait, entraînant R2 avec lui.

Les Voyageurs Bleus étaient partout, sortant les uns après les autres de leurs cachettes. Tous regardaient le soleil. Que ce fût volontaire ou dicté par leur héritage génétique, ils attendirent que l’astre du jour ait disparu pour se mettre en marche.

Suivant les conseils de Luke, Isolder grimpa sur le dos d’un grand mâle accroupi à cet effet. Quand sa monture se redressa, le Hapien jugea sa position plutôt instable. Alors il avisa Skywalker, perché avec R2 sur le dos d’un autre Voyageur.

Le Jedi semblait très à l’aise…

 

Quand la colonne eut démarré, le prince découvrit assez vite que chevaucher un Voyageur n’avait pas que des inconvénients. D’ailleurs, R2 lui-même avait cessé d’émettre des bips de protestation.

Les Voyageurs Bleus avançaient à vive allure, leurs yeux rouges luisant dans l’obscurité. A droite et à gauche de la horde, Isolder entendait des grognements étouffés. Il lui fallut un long moment pour comprendre qu’il s’agissait d’ordres lancés par des éclaireurs. Trois cris successifs imposaient un changement de direction. Les « ronronnements » invitaient la horde à continuer sur la même piste.

La nuit tombée, ils atteignirent une grande rivière aux eaux boueuses. Le long des berges poussaient des plantes grasses et des roseaux. Des oiseaux au très long bec buvaient à grands traits dans le cloaque.

Les Voyageurs Bleus s’arrêtèrent pour se désaltérer et brouter les plantes.

— C’est là que nos chemins se séparent, annonça Luke.

Les deux hommes et le droïd mirent pied à terre. Skywalker caressa les museaux de leurs montures et leur murmura quelques gentillesses.

— Ne pouvez-vous pas les obliger à nous porter plus longtemps ? demanda Isolder. La route est encore longue…

Luke lui lança un regard ennuyé.

— Je n’oblige jamais personne à faire quelque chose, prince. R2 me suit de son plein gré, et vous aussi. Les Voyageurs Bleus ont bien voulu nous conduire jusqu’ici. Maintenant que nous avons de l’eau, nos jambes pourront finir le voyage.

Alors Isolder comprit pourquoi il était troublé par le comportement du Jedi avec les reptiles. Sur Hapes, la famille royale ne traitait pas aussi bien ses domestiques !

La hiérarchie était partout. On montrait plus de respect aux femmes qu’aux hommes, aux industriels qu’aux paysans, et l’aristocratie était vénérée. Luke semblait tenir son stupide robot et les Voyageurs pour des égaux. Il les considérait de la même manière que lui, un authentique prince du sang.

Le Hapien détestait que le Jedi le rabaisse au niveau d’un droïd ou d’un animal. Devant la tendresse que son compagnon manifestait aux Voyageurs, il se sentait presque jaloux.

— Vous ne devriez pas agir ainsi, lança-t-il. L’Univers ne fonctionne pas de cette manière.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous traitez ces bêtes comme si elles étaient nos égales. Et vous êtes aussi cordial avec un droïd qu’avec ma mère, qui dirige un empire.

— Les Voyageurs et R2 possèdent aussi la Force. Puisque je la sers, je dois les respecter autant que votre mère.

Le Hapien secoua la tête.

— Je comprends pourquoi elle veut vous tuer, Jedi. Vos idées sont dangereuses.

— Peut-être le sont-elles pour les tyrans, admit Luke. Dites-moi, servir votre mère et la Confédération est-il l’essentiel de votre vie ?

— Bien sûr…

— Si c’était vrai, vous ne seriez pas là ! N’aurait-il pas été plus simple d’épouser une aristocrate de chez vous ? Mais votre cœur est divisé. Vous croyez être venu pour Leia ; j’affirme que vous m’avez suivi pour recevoir l’enseignement des Jedi.

Isolder frissonna à l’idée que Skywalker puisse avoir raison. Pourtant, l’idée semblait absurde. Luke interprétait chacun de ses actes comme une preuve de sa volonté de conversion. C’était un peu trop simple.

Skywalker avait flotté dans les airs, et sauvé Isolder d’une mort atroce. Tout bien réfléchi, ça ne prouvait pas l’existence de la Force, car ces phénomènes pouvaient provenir du cerveau torturé du jeune homme.

Sur Thrakia, il existait une espèce d’insectes adorant son propre pouvoir de communication. Dotés d’une mémoire collective, tous se souvenaient avoir longtemps échangé des informations grâce aux odeurs. Un jour, ils s’étaient découverts capables de parler en faisant claquer leurs mandibules.

Trois cents ans plus tard, toujours stupéfaits par ce miracle, les insectes étaient convaincus d’avoir bénéficié de l’attention d’une entité supérieure.

Tout ça pour de stupides mandibules !

Tandis qu’ils marchaient, suivant le lit de la rivière, Isolder regardait le Jedi, les questions tourbillonnant dans son crâne. Luke était-il vraiment guidé par la Force, ou avait-il seulement des pouvoirs qu’il préférait attribuer à une influence extérieure ?

Alors Isolder se demanda si ses propres pas pouvaient être guidés par la Force.

Si oui, le conduisait-elle ?

Quelles que fussent les réponses qu’il apporterait à ces questions, le Hapien savait qu’elles engageraient son avenir.