8

Leia émergeait lentement de sa torpeur. Depuis des heures, elle était étendue dans le noir, luttant pour ne pas bouger d’un pouce avec une concentration si totale qu’elle en avait mal à la tête. Tous ses muscles menaçaient de se tétaniser.

— Reste couchée et ne bats pas d’un cil, lui avait ordonné Han avant de sortir.

La princesse avait mobilisé toute sa volonté pour obéir.

Soudain, Leia réalisa l’ampleur de la duplicité du Corellien.

— Han ! s’écria-t-elle en essayant de se relever.

Sa tête heurta quelque chose de dur et elle dut se recoucher. Il y avait une grille au-dessus d’elle ; tendant l’oreille, elle reconnut le bourdonnement des moteurs d’hyperdrive du Faucon Millenium. Il y avait cinq ans qu’elle s’était cachée pour la dernière fois dans le compartiment secret du vaisseau.

Ça sentait toujours aussi mauvais…

Han Solo, je t’étranglerai de mes mains, songea-t-elle. Non, tout compte fait, la mort serait une punition trop clémente.

A tâtons, elle chercha le hayon, tenta de le pousser et n’y parvint pas. Verrouillé ! Se tournant sur le côté, elle trouva un objet métallique et s’en servit pour cogner contre la grille.

En vain.

— Han Solo, laisse-moi sortir sur-le-champ ou je t’arracherai les yeux !

Dans sa main droite, l’objet se mit à vibrer en émettant un sifflement aigu.

Génial ! Un recycleur d’air… Au moins, il ne veut pas que je meure étouffée…

Elle secoua l’appareil qui siffla de plus belle. En l’utilisant comme massue, elle ne l’avait pas arrangé…

— Han, laisse-moi sortir ! Ça n’est pas une manière de traiter la princesse Organa. Tu m’entends ?

Elle frappa de nouveau contre la grille sans obtenir de réponse.

Tandis que l’air devenait plus chaud, Leia se demanda si Han pouvait simplement l’entendre. Les bruits de fond ne risquaient-ils pas de couvrir ses appels ? Elle se trouvait près du générateur Quadex, la source d’alimentation principale du vaisseau. Au-dessus de sa tête courait la tuyauterie du système de refroidissement, qui faisait un boucan considérable. Les compartiments secrets n’étaient pas grands, mais ils couvraient un bon tiers de la circonférence du vaisseau. Partant de la rampe d’accès, ils passaient le long de la coursive du cockpit et sous les cabines des passagers.

Leia ferma les yeux et réfléchit. Han et Chewie dormaient en général à côté de la station technique. Une cloison l’en séparait, mais Han, s’il était là, aurait dû entendre son raffut. S’il se trouvait dans le cockpit, à sept ou huit mètres de là, il n’y avait aucune chance qu’il le capte.

L’air se raréfiait. Leia utilisa de nouveau le recycleur hors service comme un marteau. Frappant de plus en plus fort, elle résista à l’impulsion de crier, car cela eût consumé pour rien son oxygène.

Après une minute, ses bras lui parurent peser des tonnes ; elle dut s’interrompre pour se reposer.

Elle aurait volontiers pleuré. Han savait bien qu’elle ne faisait aucune confiance à son navire, un véritable bric-à-brac de pièces de contrebande et de panneaux de tôle récupérés dans des cimetières de l’espace. Bien sûr, le Faucon était rapide, et bien armé, mais il risquait à tout moment de tomber en ruines. Trois cerveaux de droïds géraient un fouillis de systèmes plus ou moins modifiés. Leia aurait parié que les incessants problèmes techniques n’étaient pas dus au hasard. Solo prétendaient que les trois processeurs se chamaillaient, mais la princesse les soupçonnait de s’adonner carrément au sabotage. Un jour, l’un ou l’autre ferait une grave erreur, et le vaisseau exploserait.

Ça n’était qu’une question de temps.

Leia frappa de nouveau.

Le hayon s’ouvrit avec un craquement sinistre. La princesse entendit un grognement : Chewie !

— Vous voyez bien que le bruit venait d’ici, triompha C-3P0. J’étais sûr d’avoir entendu quelque chose. Décidément, je ne comprendrai jamais pourquoi cette poubelle de l’espace continue à voler !

Le Wookiee et le droïd se penchèrent pour regarder à l’intérieur du compartiment. Chewie écarquilla les yeux et C-3P0 sursauta.

— Princesse Leia Organa, demanda-t-il, que faites-vous là-dedans ?

— J’ai décidé d’assassiner Han et c’était la seule manière de m’introduire à bord. Que penses-tu que je fasse là, espèce de turboprocesseur abruti ? Han m’a enlevée !

— Fichtre ! s’écria le droïd-protocole.

Chewie et lui se regardèrent. Puis ils se hâtèrent d’aider la princesse à sortir de son trou.

Leia se mit péniblement debout, sa tête tournant comme un manège. Chewbacca s’apprêta à regagner le cockpit. Ses yeux brillaient de rage, et la fourrure, sur sa nuque, était tout hérissée.

Il grogna de manière si menaçante que Leia craignit un instant qu’il ait l’intention d’arracher les bras de Han à la manière typique des Wookiees.

Quand il se mit en marche, la jeune femme courut derrière lui.

— Du calme, Chewbacca, implora-t-elle.

Han était assis dans le fauteuil du capitaine, les doigts pianotant sur le tableau de commande. Sur l’écran, les étoiles étaient blanches. Cela signifiait que le Faucon se déplaçait dans l’hyperespace à six fois la vitesse de la lumière.

Chewie grogna de nouveau. Han ne se retourna même pas.

— Alors, Chewbacca, tu as trouvé l’origine de ce bruit ?

— Pour sûr qu’il l’a trouvée, rugit Leia.

Derrière elle, C-3P0 couina :

— Général, je suggère que vous rameniez immédiatement la princesse sur Coruscant. Sinon, nous finirons tous en prison.

Han se retourna lentement. Impassible, il croisa les mains derrière la nuque.

— J’ai bien peur que ce soit impossible. Le cap est verrouillé sur Dathomir et le système d’astronavigation n’obéira à aucun autre ordre.

Chewbacca s’assit dans le siège du copilote et effectua une saisie fiévreuse sur sa console. Quand ce fut fait, il regarda Leia, grognant une question que C-3P0 traduisit.

— Désirez-vous qu’il morde le général Solo, princesse ?

Leia regarda le Wookiee, consciente du déchirement qu’il devait éprouver. Chewie devait la vie à Han, et son code de l’honneur lui imposait de le protéger en toutes circonstances. Dans le cas présent, il pensait sans doute qu’une petite correction ne ferait pas de mal à son ami.

Solo brandit un index en guise d’avertissement.

— Mords-moi si ça te chante, Chewie, je ne pourrai pas t’en empêcher. Avant de m’assommer, souviens-toi d’une chose : il faut deux personnes pour sortir le vaisseau de l’hyperespace. Sans moi, tu seras impuissant.

Le Wookiee s’excusa d’un regard auprès de Leia.

— Tu te crois malin, pas vrai ? attaqua la princesse. Tu penses avoir toutes les réponses. Eh bien, tu vas voir ! Chewie, empêche-le de partir. Il doit y avoir un Poing de Soumission hapien quelque part à bord. Je le dénicherai et je m’en servirai sur lui.

Han tira une arme de son holster. Leia ne reconnut pas son blaster habituel. C’était le Poing, mais Solo avait écrasé les circuits reliés au canon.

— Désolé, princesse, je crains que ce truc soit foutu…

Il laissa tomber le Poing sur le sol.

— D’accord, tu as gagné. Que veux-tu de moi, Han ? demanda Leia, résignée à la défaite.

— Une semaine, répondit Han. J’entends que tu passes une semaine avec moi sur Dathomir. Je ne demande pas les six mois que tu consacreras à Isolder. Une semaine, Leia ! Après quoi je te ramènerai sur Coruscant.

Leia croisa les bras et se mit à taper du pied sur le sol. Prenant conscience que c’était ridicule, elle se força à cesser et regarda Han.

— Et ça rime à quoi ?

— Tu me le demandes ? Il y a cinq mois, tu disais m’aimer, et ça n’était pas la première fois. Tu y croyais, princesse, et tu m’as fait y croire. Je pensais que notre amour était un truc spécial, et je serais mort pour lui sans sourciller. Je ne te laisserai pas jeter notre avenir aux orties pour les beaux yeux d’un autre prince.

Un autre prince, avait-il dit. Cette fois, elle le tenait.

— Tu admets donc être l’héritier de la couronne de Corellia ?

— Je n’ai jamais dit ça…

Leia regarda C-3P0, puis s’intéressa de nouveau à Han.

— Et si je ne t’aimais plus ? Si j’avais changé d’avis ?

— Les chaînes d’information savent que je t’ai enlevée. L’histoire est passée partout juste après notre départ. Si tu ne m’aimes plus, je te ramènerai, et je purgerai une longue peine de prison. Mais si tu m’aimes encore, je te demanderai de dire adieu à Isolder pour devenir ma femme.

Il ponctua sa déclaration d’un pouce pointé sur sa poitrine.

Leia recommença à taper du pied.

— Tu ne manques pas de culot, Han Solo !

Il la défia du regard.

— C’est que je n’ai plus rien à perdre…

Il misait vraiment tout sur elle, comme il l’avait fait si souvent par le passé. Quelques années auparavant, elle le jugeait courageux et hardi, peut-être même un tantinet téméraire. En y réfléchissant, il avait surtout risqué sa vie pour elle. Un mot de sa part, et il aurait tout jeté aux orties pour lui plaire.

Ce qu’elle tenait pour une bravoure presque inhumaine était l’expression d’une dévotion sans limite.

L’idée qu’on puisse l’aimer à ce point angoissait terriblement Leia.

— Marché conclu ! fit-elle. Tu as ta semaine…

— Princesse Leia ! s’indigna C-3P0.

— … Mais j’espère que tu aimeras la nourriture de la prison !

 

Dès que le vaisseau bith sortit de l’hyperespace, non loin du maelström d’astéroïdes entourant le système de Roche, Luke Skywalker sut qu’il y avait un problème. Il ne sentait nulle part la présence de Leia.

Retournant dans sa cabine, il appela l’ambassadeur de la Nouvelle République en poste auprès des Verpine. Le vieil homme n’apprécia pas outre mesure qu’on le tire du lit.

— Que se passe-t-il ?

— Qu’est-il arrivé à la princesse Leia Organa ? Je devais la retrouver dans ce secteur.

L’ambassadeur plissa le front.

— Elle a été enlevée par le général Solo il y a quelques jours. J’ai vu ça sur l’Holonet, mais pour les détails, je ne peux rien vous dire. Je suis très occupé, jeune homme ! Si c’est si important pour vous, appelez Coruscant.

Luke se rembrunit. Son statut de héros de guerre ne lui donnait pas pour autant les moyens de s’offrir des appels holographiques longue distance. De plus, ça ne le rapprocherait pas de Leia. Il devait retourner sur Coruscant et reprendre la piste à son point de départ.

— Avez-vous idée de leur destination ? demanda-t-il néanmoins.

L’ambassadeur bâilla et gratta son crâne chauve.

— Vous me prenez pour le chef de l’espionnage ? Personne ne sait où ils sont ! On prétend avoir vu Solo sur une bonne centaine de mondes. A chaque fois, il s’agit d’une rumeur, ou d’un vague sosie. Désolé, jeune homme, je ne peux rien pour vous.

L’ambassadeur coupa la communication sans plus de cérémonie. Luke se gratta le menton, perplexe. On le rabrouait rarement de la sorte. A son avis, l’opérateur n’avait pas informé le fonctionnaire de son identité.

Il ferma les yeux et se concentra. Parfois, il rêvait de Leia. Quand elle se trouvait dans le même système solaire que lui, il pouvait sentir sa présence.

Elle n’était nulle part dans les environs.

Le chevalier Jedi prit sa décision. Il allait sortir son chasseur des docks du vaisseau bith et foncer vers Coruscant.

 

Han s’affairait dans les cuisines du Faucon. C’était le quatrième dîner aux chandelles qu’il préparait en autant de jours. Une bonne odeur de langue d’aric aux épices emplissait l’air. Solo était occupé à remplir de pate des coquilles de coras quand le saladier se renversa et tomba sur le sol, éclaboussant les murs et ses jambes de pantalon. Chewbacca, qui lui tenait compagnie, partit d’un grand éclat de rire.

— Vas-y, tête de linotte, fiche-toi de moi ! Mais écoute bien ça : avant la fin de ce voyage, Leia aura compris que c’est moi qu’elle aime. Au cas où tu n’aurais rien remarqué, ça fait seulement quatre jours, et elle s’est déjà beaucoup réchauffée.

Chewie émit un long cri.

— Qu’est-ce que tu dis ? Hoth se réchauffera avant elle ? Très drôle, Chewie ! Je suppose que le rituel du mariage est bien plus simple d’où tu viens, hein ?

Quand vous aimez une femme, vous la mordez un bon coup et vous la ramenez de force dans votre arbre. Chez moi, on est plus raffiné. On mitonne des dîners, on fait la cour, on traite nos belles comme des êtres humains…

Chewie se fendit d’un rire ironique.

— D’accord, il arrive qu’on leur tire dessus et qu’on les traîne de force dans nos vaisseaux… Personne n’est parfait ! Je ne suis peut-être pas plus civilisé que toi, mais j’essaye. Bon sang, j’essaye de toutes mes forces !

— Han ! appela Leia depuis la salle à manger. En as-tu fini ? Je meurs de faim, et tu sais combien je suis irritable dans ces cas-là.

— Ça arrive, princesse ! annonça Solo en ouvrant le four.

Il essaya de sortir le plat de langue en s’enveloppant les mains dans son tablier et se brûla. Lâchant un juron, il se lécha le bout des doigts, prit un gant isotherme et déposa la langue sur un plat. A première vue, elle semblait un peu trop noire. Inquiet, le cordon pas si bleu que ça se demanda s’il l’avait trop cuite, si c’était un morceau de mauvaise qualité, ou s’il avait ajouté trop de jus en poudre.

— Alors ? s’impatienta Leia.

— Je viens ! cria Han.

Mettant sa menace à exécution, il apporta la langue à la princesse. Il avait posé une jolie nappe sur le tableau holographique et des chandeliers dispensaient une douce lumière. Dans sa combinaison de saut blanche, Leia était tout simplement splendide.

Han posa le plat sur la table.

— Madame est servie…

La princesse le regarda et leva un sourcil.

— Qu’est-ce qui ne va pas, cette fois ? s’énerva Solo.

— Tu ne la coupes pas pour moi ?

Le Corellien regarda le vibrocouteau posé sur la table. Dans son jeune temps, il avait vu la princesse se frayer un chemin dans la jungle à coups de machette ou couper les cordes qui lui liaient les poignets avec des éclats de verre. Un jour, elle était venue à bout d’un monstre des marécages avec un bâton pointu cent fois moins tranchant que le couteau.

— Bien sûr que je vais te la couper… Ce sera même un plaisir.

Il se mit au travail. Quand il eut débité la moitié de la langue, il jugea prudent de demander l’opinion de sa compagne.

— Les tranches te conviennent, ma colombe ? Les préférerais-tu plus fines, plus épaisses, prises dans le sens de la longueur plutôt que de la largeur ?

— Ça me paraît exquis, admit Leia.

Han finit de découper, s’assit et déplia sa serviette.

Leia se racla la gorge.

— Quoi donc ? demanda-t-il.

— Vas-tu vraiment dîner avec ce tablier sale autour des hanches. C’est un peu dégoûtant, sais-tu ?

Han se souvint du jour où ils avaient partagé du « singe » sur un champ de bataille de Mindar jonché d’impériaux étendus pour le compte.

— Tu as raison, je vais l’enlever.

Il se leva, dénoua le tablier et alla le pendre à un crochet dans la cuisine.

Il revint et se rassit. Leia toussota.

— Misère… soupira Han.

— Tu as oublié le vin, lui fit remarquer la jeune femme en regardant son verre.

Han baissa les yeux sur l’assiette de son invitée et constata qu’elle avait commencé sans lui.

— Tu veux du blanc, du rouge ou du pourpre ?

— Du rouge.

— Doux ou sec ?

— Sec.

— A quelle température ?

— Trente-neuf degrés.

— Tu n’as pas l’intention de me laisser manger avec toi ce soir, hein ?

— Bien vu.

— Je n’y comprends rien, se lamenta Solo. Ça fait quatre jours que tu ne me dis pas un mot, à part des ordres stupides. Leia, je sais que tu es folle de rage. Je ne peux pas vraiment te donner tort. Peut-être ai-je tout gâché, et ne m’aimeras-tu plus jamais. A moins que tu aies trop l’habitude d’être servie… Tu veux que je devienne ton esclave ? Princesse, si rien de plus ne devait sortir de tout ça, j’aimerais au moins être redevenu ton ami.

— Tu m’en demandes peut-être trop, Han…

— Moi ? Depuis le départ, je cuisine, je fais ton lit, je m’occupe de tes vêtements et je pilote ce vaisseau. Dis-moi une chose, Leia, je t’en conjure ! Y a-t-il encore en moi quelque chose qui te plaît ? Une seule petite chose, même infinitésimale ?

La jeune femme ne répondit rien.

— Je ferais peut-être bien de rebrousser chemin, marmonna Han.

— Ce serait une idée…

— Leia, je suis perdu… Tu étais d’accord pour faire ce voyage, non ? Bon, je reconnais t’avoir un peu forcé la main, mais tu ne devrais pas être aussi furieuse. Si tu veux te défouler sur moi, ne te gêne pas ! Je suis là, sans défense… (Il tendit le cou.) Vas-y, frappe-moi. Ou embrasse-moi. Au moins, dis quelque chose.

— Tu as raison, Han : tu ne comprends rien !

— Explique-moi, bon sang ! Donne-moi au moins un indice.

— Puisque tu y tiens… Ouvre tes oreilles : à l’homme Han Solo, je pourrais pardonner son comportement. Mais en m’enlevant, tu as trahi la Nouvelle République, que nous servons tous les deux. Tu n’es pas qu’un homme, Han. Tu es un héros de l’Alliance Rebelle, et un général de la Nouvelle République. A cet individu-là, je refuse de pardonner. Parfois, ce qu’on représente est si important qu’on ne peut s’autoriser la moindre faiblesse. Tu es respecté comme un objet sacré, Han. Plus pour ce que tu es que pour qui tu es.

— Je n’y suis pour rien, se défendit Solo. Je refuse d’être prisonnier de l’image qu’on se fait de moi.

— Génial ! railla Leia. Peut-être voudrais-tu que l’univers marche différemment ? Tu aimerais redevenir contrebandier, ou un petit garçon qui s’amuse avec ses jouets, mais ça n’est pas ainsi que va la vie. Un jour, il faudra que tu regardes les choses en face.

— Génial ! parodia Han. (Il jeta sa serviette sur la table.) Je les regarderai, c’est promis, mais après le dîner. Tu me diras ce que tu veux que je fasse, et je changerai. Je changerai pour toujours. C’est jure ! Marché conclu ?

— Tope là ! fit Leia, une expression un peu plus conciliante sur le visage.

 

Quatre jours plus tard, le Faucon Millenium sortit de l’hyperespace aux environs de Dathomir. Aussitôt, les alarmes de proximité retentirent. Leia accourut et se pencha sur l’épaule de Han pour consulter l’écran : une flotte de destroyers impériaux entourait la planète ; des navettes et des barges décollaient d’une petite lune rouge et se dirigeaient vers un gigantesque échafaudage qui flottait dans l’espace en position « troyenne », à savoir qu’il formait un triangle isocèle dont Dathomir et sa lune étaient les deux autres pointes. La construction ressemblait à un insecte géant. Autour orbitaient des milliers de nefs : un superdestroyer, des dizaines d’anciens modèles de classe Victory, des frégates, et une multitude de barges.

Han regarda le spectacle en silence. Puis il grommela :

— Nom de nom, cette planète est à moi ! Qu’est-ce qu’ils font là ?

Leia exhala un soupir.

— Cette fois, Han Solo, tu as vraiment décroché le gros lot. Ce monde a plus de chasseurs pour sa défense qu’un Hutt n’a de tics !

Han tourna la tête vers Chewie. Le Wookiee était en train de consulter les cartes de navigation du système Ottega. Sur l’écran principal, Solo vit deux chasseurs rouges décoller d’un superdestroyer.

— Rengaine tes sarcasmes, princesse, et prends position dans le puits des canons à ions. Nous allons avoir de la visite.

Han désigna deux chasseurs Tie qui fondaient sur eux. Leia en savait assez pour ne pas demander si le Faucon pouvait les semer.

La réponse était non.

— Sans blague, Leia, tu devrais y aller. Dès qu’ils seront assez près pour voir que nous ne sommes pas un Incom Y, sois assurée qu’ils tireront.

La princesse se dirigea vers l’échelle qui menait au puits.

La voix d’un contrôleur sortit des haut-parleurs de la radio du Faucon.

— Incom Y Aigle Noir, veuillez vous identifier et préciser votre destination. Je répète : veuillez vous identifier et préciser votre destination.

— Ici le capitaine Brovar, répondit Han. Je transporte une équipe d’Aigles Noirs chargée d’inspecter les systèmes de défense de la planète.

Le Corellien essuya la sueur qui ruisselait sur son front. C’était le moment qu’il détestait : attendre de savoir si l’ennemi avait avalé ses couleuvres.

Quatre secondes s’étant écoulées, Solo comprit que le contrôleur consultait un supérieur.

C’était toujours mauvais signe.

— Capitaine Brovar, je suis désolé, mais cette planète… hum… n’a pas de système de défense.

Chewie interrogea Han du regard. Comme toujours, l’ancien pirate ne se dégonfla pas.

— Je sais bien. Nous sommes là pour savoir installer les défenses. (Le contrôleur ne dit rien ; Han improvisa :) Nous devons aussi vous livrer un dispositif… Enfin, certaines pièces d’un dispositif. Vous stockez bien ces trucs quelque part, non ?

— Incom Y Aigle Noir, demanda une voix râpeuse sur la même fréquence, votre vaisseau comporte-t-il des modifications ? Je veux dire : d’étranges modifications ?

Les chasseurs Tie étaient arrivés à distance d’identification visuelle. Ne pouvant plus compter sur son signal-leurre, Han tendit la main vers le commutateur du brouilleur de fréquences.

Chewie fit une grimace.

— Ne t’inquiète pas, fit Han. Nous n’allons pas griller tous nos circuits. J’ai fait des essais avant le départ.

Sur ces fortes paroles, il bascula le commutateur et murmura une brève prière.

Chewie grogna. Tournant la tête, Han s’aperçut que l’ordinateur de navigation était en rideau. Au même moment, le voyant des motivateurs d’hyperdrive s’éteignit. Celui de l’ordinateur de tir arrière ne tarda pas à l’imiter.

Un peu tard, Han se souvint qu’il n’avait pas essayé le brouilleur avec l’ordinateur de navigation en service. Après toutes ces pannes, ils ne sauteraient pas de sitôt dans l’hyperespace.

Chewie poussa un grognement de pure terreur. Han plongea vers le spatioport volant, visant une frégate d’escorte kuat. Tout ce métal ne faciliterait pas la tâche des senseurs ennemis. Même si les chasseurs Tie étaient plus rapides et plus maniables que le Faucon, Han aurait parié sa chemise sur ses compétences de pilote opposées à celles de ces clowns.

Des traits de blaster frôlèrent la proue du Faucon. D’autres rebondirent contre la coque.

— Ils sont à portée de tir ! cria Leia dans la radio.

Derrière le fauteuil du capitaine, C-3P0 regardait les chasseurs adverses en poussant de petits couinements chaque fois qu’ils tiraient.

Han entendit une série de détonations qui lui apprirent que Leia avait tiré. Le Faucon piqua vers le spatioport et la frégate qui intéressait Solo. Toujours sous le feu de l’ennemi, il manœuvra de manière à ce que le Faucon se glisse entre les pattes de la gigantesque construction. Quand ce fut fait, il verrouilla son ordinateur de tir avant sur le capteur des senseurs principaux de la frégate. Ses boucliers déflecteurs baissés, celle-ci n’était pas plus dangereuse qu’une épave volante. Le premier tir de Solo enveloppa le capteur d’une aura bleue. Le Corellien tira alors une salve de torpilles à protons qui firent mouche, devenant des boules de feu qui auraient aveuglé le pilote s’il n’avait pas détourné les yeux.

Profitant de ce camouflage naturel, Han inversa ses propulseurs et tira deux missiles à concussion sur la coursive reliant les gigantesques moteurs de la frégate à l’arsenal avant. Tandis que le Faucon ralentissait et piquait vers la brèche ainsi ménagée dans la coque de la frégate, plusieurs torpilles explosèrent contre les boucliers déflecteurs avant.

Chewie gémit et se voila la face des deux mains. Le Faucon s’engouffra dans la frégate ; des alarmes retentirent un peu partout. Le tableau de bord s’éteignit suite à la mise en court-circuit des boucliers. De la fumée s’éleva de la console de Chewie.

N’y tenant plus, le Wookiee hurla à la mort.

— Du calme, lui intima Han.

Les deux chasseurs Tie percutèrent la frégate et explosèrent. Le couloir que Han avait ménagé pour son vaisseau se remplit de feu et de lumière.

C’est le problème avec les baies d’observation en transparacier des chasseurs Tie, pensa Solo. Ces cochonneries s’obscurcissent quand elles détectent une explosion, et le pilote n’y voit plus rien pendant deux secondes.

Il avait compté sur ça pour s’en sortir.

Han désactiva le brouilleur de fréquences. Leia jaillit d’une coursive comme un diable de sa boîte.

— Han, qu’est-ce qui te prend ? Tu veux tous nous faire tuer ?

— Ecoute ! lui ordonna le Corellien, levant une main pour la contraindre au silence.

Avec l’onde de choc des missiles, l’impact des deux chasseurs et quelques décharges bien placées des canons à ions, l’orbite de la frégate avait été largement déstabilisée. Aspiré par la gravité de Dathomir, le vaisseau géant s’éloignait lentement du spatioport.

— Formidable ! ironisa Leia. Devrais-je me réjouir que nous nous écrasions sur la planète plutôt que d’exploser dans l’espace ?

— Ton pessimisme est déplacé, la morigéna Han.

Les boucliers déflecteurs ont protégé le vaisseau. Maintenant que j’ai coupé le brouilleur, Chewie devrait pouvoir rallumer l’ordinateur de navigation. Pendant que les navires de Zsinj nous regarderont, sûrs de nous voir tomber avec la frégate, nous calculerons un cap, et, au moment propice, nous dirons adieu à notre hôte avant de nous éloigner à toute vitesse. Crois-moi, c’est un jeu d’enfant. J’ai souvent réussi cette manœuvre.

Cette fois, Han préféra croiser les doigts plutôt que prier.

— Allez, Chewie, rallume l’ordinateur de navigation. Montre à cette gente dame ce que nous savons faire.

Le Wookiee grogna, lança un regard noir à son ami et bascula le commutateur.

Rien.

Fébrile, Chewbacca essaya d’autres commutateurs. Les motivateurs d’hyperdrive restèrent sans réaction, tout comme les boucliers arrière.

Jusque-là, C-3P0 s’était abstenu de tout commentaire. Voyant que les motivateurs ne répondaient pas, il soupira :

— Nous sommes fichus !

Han se leva d’un bond.

— Pas de panique, mes amis ! C’est juste un petit problème de relais. Rien que je ne puisse réparer en un tour de main.

Contournant C-3P0, il sprinta dans la coursive menant à la salle des machines.

Une fois arrivé, il retira le cache de l’armoire de commande des motivateurs. L’ordinateur de navigation pouvait attendre. L’important était de faire un petit saut hors de ce système solaire. Ensuite, Chewie et lui auraient tout loisir de réparer les dégâts.

Mais il était impossible de se passer des motivateurs.

Han ôta sa veste, l’enroula autour de son bras droit et titilla les circuits. Des étincelles jaillirent d’un entrelacs de câbles. Des flammes suivirent. Leia apparut, un extincteur entre les mains. Elle noya les circuits sous la neige carbonique.

Han recula, conscient qu’il n’y avait plus rien à faire.

— Tout va bien, tout va bien, marmonna-t-il.

Il retourna dans le cockpit et ordonna à l’ordinateur d’effectuer un diagnostic complet des systèmes.

Pour commencer, les capteurs des senseurs avant avaient été arrachés lors de la manœuvre d’accostage.

— Aucune importance, fit Han. Qui a besoin de senseurs quand il lui suffit de regarder devant lui pour voir où il va ?

Les boucliers déflecteurs étaient morts. Les capteurs de la radio aussi. Tout le reste semblait en parfait état. Si l’ordinateur ne se trompait pas, ils pourraient se sortir de ce mauvais pas.

A condition de se dégager de l’épave, de ne pas se faire tirer dessus et d’échapper à d’éventuels poursuivants.

La tête de Solo se mit à tourner. Il comprit que la frégate était partie en vrille.

— Accrochez-vous, les amis, la chute va être rude !

Jetant un coup d’œil à Leia, il remarqua qu’elle n’était plus en colère contre lui. Blanche comme un linge, les yeux exorbités, elle paraissait terrorisée. Solo ne l’avait jamais vue dans un état pareil.

— Leia ? Leia ? appela-t-il.

— Je sens quelque chose à la surface de la planète… C’est…

— Parle ! l’encouragea Han.

La princesse ferma les yeux. Elle n’avait pas encore le pouvoir de Luke, mais Han savait que le potentiel était là.

— Je vois des gouttes de sang sur une nappe… Non, on dirait plutôt des taches solaires noires sur fond brillant. Mais ces points sombres ont quelque chose de… répugnant. Oui, c’est ça ! Répugnant est bien le mot.

Le souffle court, Leia tremblait de tous ses membres.

Soudain, elle écarquilla les yeux, le visage plus blême que jamais.

— Han, il ne faut pas nous poser sur cette planète !