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Dans l’appartement de Han, sur Coruscant, Luke tentait de capter des ondes. C’était un étrange intérieur, sans décoration ni chaleur, le genre d’endroit qu’une personne habite, mais où on ne peut pas prétendre qu’elle vit.

L’immeuble entier avait été passé au peigne fin. Les uniformes de Han gisaient sur le sol, en lambeaux. Le matelas était éventré, comme les coussins. Des débris jonchaient le sol. Des dizaines de personnes avaient fouillé les lieux, mais aucune en utilisant la méthode que Luke se proposait d’appliquer.

Il s’empara d’un oreiller et ferma les yeux. Au contact du tissu, il sentit le désespoir de Han, puis une sorte d’exaltation maniaco-dépressive vaguement motivée par l’espoir que tout s’arrangerait.

Luke se leva du lit. Des émotions aussi fortes avaient une odeur bien caractéristique. Posant les doigts sur un mur, le Chevalier Jedi chercha à suivre la piste du général corellien.

Il sortit de l’appartement, puis du bâtiment, et s’engagea dans les longues avenues de la ville, s’arrêtant parfois à l’intersection de deux rues pour se reconcentrer.

Après des heures de traque, Luke se retrouva dans les bas-fonds de Coruscant, à l’intérieur d’une ancienne salle de jeu enfouie sous plusieurs strates de rues et d’immeubles. Il regarda longuement la table de sabacc où un trio de chasseurs de primes s’affrontaient du regard tandis qu’un croupier mécanique leur distribuait des cartes.

Skywalker alla voir le directeur du casino clandestin, un Ri’dar au faciès et au corps de chauve-souris qui surveillait son domaine suspendu par les pieds à un câble du plafond.

— Vos croupiers enregistrent-ils les parties pour s’assurer qu’il n’y a pas de tricherie ? demanda le Jedi.

— Pourquoi le feraient-ils ? Je dirige un établiiisssement honnête. Insiiinuez-vous que mes droïds triiiichent ?

La paranoïa des Ri’dar était bien connue ; si Luke ne rectifiait pas le tir, il risquait de rencontrer quelques problèmes.

— Bien sûr que non. L’idée ne m’a jamais traversé l’esprit. Simplement, un de mes amis a joué ici il n’y a pas longtemps, et j’aimerais voir le film. J’ai de quoi payer…

Les yeux du Ri’dar s’illuminèrent. Effectuant un rétablissement impeccable, il se laissa tomber sur le sol.

— Par iiicci…

Luke le suivit dans une arrière-salle. Le Ri’dar lui lança un regard suspicieux.

— L’argent d’abord !

Le Jedi lui tendit une crédipuce. Après l’avoir empochée, le patron du casino lui montra comment se servir d’un lecteur vidéo antédiluvien.

L’appareil était couvert de rouille et de poussière, mais la fonction « retour arrière » allait à une vitesse incroyable. Repérant Solo, Luke cala la bande puis regarda son ami gagner une planète au jeu. Hélas, il n’y avait pas de son. L’image holographique du monde en question n’apprit rien au Jedi.

Mais il savait à présent pourquoi le Corellien avait éprouvé cette étrange exaltation.

— Qui est la Drackmarienne ? demanda Han.

Le Ri’dar scruta l’écran.

— Diffiiiccile à diire. Pour moi, les Drackmariiiens ssse ressemblent tousss.

Luke sortit une deuxième crédipuce.

— Oh, ççça me revient ! Omogg. C’est çççça : la priiiincesse de la guerre Omogg.

Le Jedi avait déjà entendu ce nom.

— Logique. Qui d’autre pourrait se permettre de perdre une planète. Où puis-je la trouver ?

— Dans uuune sssalle de jeu. Quand elle n’est paaaas chez moi, elle joue ailleurs. Les Drackmariiiiens ne dorment jaaaamais.

Luke nota les coordonnées des endroits préférés d’Omogg. Fermant les yeux, il suivit la liste du bout de l’index et s’arrêta sur le troisième nom. Le casino clandestin se trouvait non loin de là, mais quatre étages plus bas.

Luke resserra la ceinture de sa toge. Quelque chose lui disant qu’il pouvait en avoir besoin, il déclippa son sabrolaser de son ceinturon et le mit dans sa poche, prêt à l’emploi.

La descente ne dura que quelques minutes, mais il eut le sentiment de pénétrer dans un autre monde. L’air était oppressant et l’illumination encore plus chiche. Des centaines de niveaux plus bas, il existait des endroits où les humains les plus courageux ne se seraient pas aventurés.

A ce niveau-ci grouillaient déjà des créatures dont Luke n’aurait pas soupçonné l’existence. Au détour du chemin, il croisa une énorme forme de vie amphibie couleur turquoise qui se nourrissait avec délectation d’une sorte de mousse à l’aspect peu ragoûtant. Un peu plus loin, une chose spongieuse hérissée de tentacules glissait mollement sur la pierre humide. Pressant le pas, le Jedi ne chercha pas à savoir s’il s’agissait d’un être intelligent ou de quelque vermine géante.

Enfin, il aperçut l’enseigne de l’établissement qu’il cherchait.

Le Passager Clandestin, un nom qui était tout un programme.

Luke entra, plissant les yeux pour mieux voir dans la pénombre. A part les lampes d’un droïd d’entretien et la luminescence de créatures amphibies semblables à celle que Skywalker avait croisée, il n’y avait pas le moindre éclairage. A ces niveaux, on n’utilisait pas de lumière artificielle.

Soudain, Luke entendit une série de gémissements de douleur.

Il sortit son sabrolaser et l’alluma. La lueur bleue de l’arme déchira l’obscurité. Des dizaines de créatures hurlèrent et se couvrirent les yeux. Un petit groupe d’humanoïdes au faciès de rat s’enfonça plus profondément dans les ombres pour regarder la suite. D’autres joueurs, moins téméraires, préférèrent sortir en toute hâte du casino.

Au fond de la salle de jeu, à une table de sabacc, trois humains attaquaient la guerrière drackmarienne. Deux lui tenaient le dos collé contre la table tandis que le troisième essayait de lui arracher son casque pour l’exposer à une atmosphère mortelle pour elle.

La Drackmarienne luttait de toutes ses forces, enfonçant ses serres dans leurs bras, frappant de ses pieds griffus et battant l’air avec sa queue hérissée d’épines. Pour preuve de son efficacité, deux autres humains gisaient sur le sol.

Mais sa résistance faiblissait. Les trois hommes dominaient leur proie. Ils étaient équipés de lunettes à infrarouges. Un signe évident qu’ils n’étaient pas habitués à vivre dans les profondeurs de Coruscant.

— Lâchez-la ! leur ordonna Luke.

— Reste en dehors de ça, l’ami, cracha un des hommes dans un basic à l’accent exotique. La Drackmarienne détient des informations…

Le Jedi avança. Le type qui essayait d’enlever son casque à Omogg dégaina un blaster et tira. Une aura bleue enveloppa Skywalker, qui perdit conscience durant une fraction de seconde, comme si on venait de lui plonger la tête dans de l’eau glacée. Se ressaisissant, il laissa la Force couler en lui.

Pensant en avoir terminé avec le gêneur, les trois forbans étaient retournés à leurs occupations.

— Lâchez-la, répéta Luke.

L’homme qui avait tiré tourna la tête, leva un sourcil et sortit de nouveau son arme. D’un geste, Luke utilisa la Force pour la lui arracher des mains.

— Sortez d’ici, et vite, rugit-il.

Les trois hommes s’écartèrent de la Drackmarienne qui luttait désespérément contre l’oxygène pénétrant dans son casque à moitié arraché.

— Cette femme est une citoyenne de la Nouvelle République. Si vous ne la laissez pas en paix, je vous couperai en deux.

Il brandit son sabrolaser.

Echangeant des regards nerveux, les trois types reculèrent un peu plus. Le plus grand sortit un communicateur et se mit à parler dans une langue inconnue de Luke. A l’évidence, il appelait du renfort. Malins, les humanoïdes à tête de rat s’éclipsèrent à leur tour ; un silence de mort tomba dans la salle, uniquement troublé par le bourdonnement des synthétiseurs de nourriture installés derrière le comptoir.

Soudain, une voix féminine retentit derrière le Jedi.

— Que se passe-t-il ici ?

Les trois agresseurs d’Omogg croisèrent les bras et inclinèrent la tête.

— Reine-mère, nous avons retrouvé la princesse de la guerre drackmarienne, selon tes ordres, mais elle refuse de nous répondre. Nous n’avons pas pu en tirer une information…

Luke se retourna pour étudier celle que ces hommes appelaient reine-mère. C’était une grande femme qui portait un voile jaune sur la partie inférieure du visage. Son port régalien laissait peu de doute sur son statut. Une longue robe ample ne parvenait pas à dissimuler sa silhouette harmonieuse.

Derrière elle se tenaient une dizaine de gardes, blaster au poing.

— Vous osiez torturer une dignitaire étrangère ? demanda la reine-mère, la voix tremblante de colère.

Luke sentit qu’elle ne simulait pas. Mais était-elle furieuse parce que ses hommes avaient commis un acte répréhensible ou parce qu’ils s’étaient fait prendre ?

— Qu’aurions-nous pu imaginer de mieux ? marmonna un des trois forbans.

La reine-mère leur lança un regard dégoûté.

— Disparaissez de ma vue ! A partir de cette minute, vous êtes aux arrêts de rigueur.

Curieux de savoir s’il s’agissait d’une comédie, Luke utilisa la Force pour sonder l’esprit de la femme.

Les actes de ses hommes ne la surprenaient pas. Ils ne la consternaient pas non plus. Le Jedi ne s’en étonna pas : tous les chefs finissaient par s’endurcir d’une manière ou d’une autre.

— Je vous suis reconnaissante d’être intervenu, déclara-t-elle à Luke.

Sur un geste de la souveraine, deux gardes aidèrent la Drackmarienne à se relever. Quand ce fut fait, ils rajustèrent le casque sur le museau de la princesse de la guerre.

Omogg haletait toujours, mais elle semblait reprendre ses esprits. Les deux hommes la firent asseoir ; ils réglèrent les soupapes de sa bouteille dorsale afin d’augmenter le débit de méthane.

La Drackmarienne respira profondément.

— Je suis désolée, lui assura la reine-mère. Je suis la Ta’a Chume de Hapes. Il est vrai que j’ai chargé mes hommes de vous retrouver, mais jamais je ne les ai autorisés à vous molester. Ils sont aux arrêts. A vous de choisir leur punition.

— Faiiites-leeur respiiirer du méééthaane…

La reine-mère inclina la tête.

— Ce sera fait, n’ayez crainte. (Elle marqua une courte pause.) Vous connaissez les raisons de ma venue. Je veux savoir où est Han Solo ! On murmure que vous allez vous lancer sur sa piste à titre… hum… privé. Votre prix sera le mien. Savez-vous où il est ?

Omogg étudia la souveraine pendant un long moment. Les Drackmariens étaient connus pour leur générosité, mais c’étaient également des gens indépendants qui détestaient agir sous la contrainte. Ennemis mortels de l’Empire, ils n’étaient que de très lointains alliés de la Nouvelle République. Leur devise aurait pu être : « Plutôt morts que soumis ».

— Vouuus recherchez la mêêême infoormaation ? demanda Omogg à Luke.

— Oui.

— Vouuus m’aavez sauvé la viiie. Voootre rééépuutaatiooon n’est pluuus ààà faire. Queelle récooompense vouuulez-vouuus ?

La Drackmarienne hésitait ; Luke comprenait très bien pourquoi. A lui, elle aurait dit où était Han, mais elle ne voulait pas parler en présence de la Ta’a Chume. Pourtant, Luke sentait quelque chose de très fort émaner de la Hapienne. De la confiance ? Si Omogg avait vraiment prévu de pourchasser Han – la récompense offerte par la Nouvelle République avait de quoi motiver plus timoré qu’elle – la reine-mère avait dû prendre les dispositions idoines. Sans doute savait-elle déjà sur quel navire partirait la princesse de la guerre. Quelques bourses intelligemment distribuées aux hommes de l’équipage, et le vaisseau serait truffé de mouchards électroniques permettant de le suivre à la trace.

— Voici ce que je veux, annonça Luke. D’abord que vous me laissiez le général Solo, ensuite que vous ne révéliez à personne sa destination. Contentez-vous d’y penser en me regardant dans les yeux.

La Drackmarienne obéit, ses pupilles noires brillant derrière la visière du casque. Luke utilisa la Force pour entrer en contact avec la guerrière. Quand ce fut fait, il entendit un nom résonner dans son crâne.

Dathomir !

Le Jedi se souvint de l’image du jeune Yoda disant : « Nous avons essayé de libérer… Chu’unthor de Dathomir. »

— Que savez-vous de cet endroit ? demanda-t-il.

— Pooouuur quelqu’uuun qui reeespiire du mééthaane, il n’a guèèère d’intérêêêêt…

— Merci, Omogg. La réputation de serviabilité des Drackmariens n’est pas usurpée. Avez-vous besoin d’un médecin ? D’autre chose ?

Omogg fit signe que non. Néanmoins, elle toussa encore…

La reine-mère étudiait Luke comme s’il avait été un beau spécimen mis en vente sur un marché aux esclaves. Le Jedi sentait sa nervosité.

Elle voulait quelque chose de lui.

— Merci d’être arrivé à point nommé, répéta-t-elle. Je suppose que vous êtes un chasseur de primes…

— Absolument pas ! Disons que je suis… un ami de Leia.

La souveraine acquiesça. Elle semblait répugner à quitter son nouveau compagnon…

— Ma flotte part ce soir pour… (elle regarda autour d’elle, vérifiant qu’il n’y avait que les gardes, Luke et Omogg)… Dathomir.

Skywalker ne put s’empêcher de sursauter. La voix de la femme se fit plus confiante :

— Omogg a commis l’erreur de faire calculer le cap par son ordinateur de navigation. Mes espions sont habiles… Mais pourquoi Solo a-t-il choisi ce monde pour destination ?

— Peut-être a-t-il pour lui une valeur sentimentale… suggéra Luke.

— C’est possible… admit la souveraine. Un choix logique pour un amoureux transi qui enlève sa belle. La piste vous semble donc digne d’intérêt ?

— Je n’en suis pas encore sûr…

— Néanmoins, je la suivrai… J’étais enfant quand j’ai vu un Jedi pour la dernière fois. C’était un vieil homme. Rien à voir avec vous, mais intéressant… J’aimerais vous avoir à dîner sur mon vaisseau. Ce soir.

A son ton, c’était plus un ordre qu’une invitation, bien que Luke sentît qu’il lui aurait été loisible de refuser. Mais cette femme l’intriguait. N’avait-elle pas accepté sans broncher que trois de ses hommes soient exécutés au méthane ? La vie et la mort semblaient bien peu de chose pour elle.

La reine était dangereuse. Une bonne raison pour en apprendre davantage sur son compte.

— Je serai très honoré d’accepter votre hospitalité, répondit Luke.