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Luke avait senti les ruines du refuge de l’ancien maître Jedi bien avant que son guide whiphide l’ait conduit sur les lieux. Comme l’essentiel du paysage de Toola – une plaine nue où des lichens rouges parvenaient par endroits à percer une fine couche de glace –, les ruines étaient d’une propreté et d’une fraîcheur surprenantes. Mais elles semblaient vides, comme si jamais un humain ne les avait visitées. La sensation de propreté assura Skywalker que l’endroit était autrefois habité par un Jedi dévoué au bien.

Le grand Whiphide dont la fourrure ondulait au vent pataugeait dans la mousse, une vibrohache entre les pattes. Il s’arrêta et huma l’air de son long museau ; ses défenses pointèrent vers le soleil, aussi rouge que la mousse. Puis le guide siffla, ses petits yeux noirs scrutant la plaine.

Luke rabattit la capuche de son parka et étudia à son tour la menace. Une horde de démons des neiges venait de jaillir de la brume. Leurs ailes couvertes de poils prenaient des reflets gris sous le soleil pourpre.

Le sifflement du Whiphide était un appel à la bataille. Le guide craignait une attaque, mais Luke sonda l’esprit des démons et capta leur faim. Ils chassaient un troupeau de motmots qui ondulait à l’horizon comme une mer de fourrure. A l’évidence, les prédateurs cherchaient un animal assez jeune et inexpérimenté pour faire une proie facile.

— Du calme, souffla Luke en posant une main sur l’avant-bras du guide. Montre-moi les ruines…

Il tenta d’utiliser la Force pour calmer le guerrier. Brandissant sa hache, celui-ci ne parut pas convaincu du tout.

Il siffla une longue réponse et désigna le nord. Luke la traduisit en utilisant le pouvoir de la Force.

— Cherche la tombe du Jedi si tu veux, petit homme, moi, je dois chasser. J’ai vu un ennemi, mon honneur commande que je l’attaque. Ce soir, mon clan fera ripaille avec un démon des neiges.

Le Whiphide portait pour tout vêtement le ceinturon où étaient accrochées ses armes. De cet arsenal portable, il tira un coutelas à la lame enduite de suie afin de ne pas briller au soleil. Un engin de mort dans chaque main, il partit à la poursuite de ses proies, traversant la toundra à une vitesse que Luke n’aurait pas crue possible.

Skywalker secoua la tête, plaignant de tout cœur les démons. Derrière lui, R2-D2 émit une série de sifflements pour demander à son maître de ralentir le pas, car, pour le petit droïd en forme de tonneau, il n’était pas simple d’avancer sur la glace. Côte à côte, l’homme et le robot se dirigèrent vers le nord. Bientôt, ils arrivèrent devant un étrange spectacle : trois rochers plats jaillissaient du sol pour former les parois et le toit d’un tunnel qui s’enfonçait dans le sol.

Le conduit paraissait sec. Luke tira une mini-torche de sa ceinture et s’y engagea. Très vite, un obstacle apparemment insurmontable se dressa devant lui. Un énorme rocher lui barrait le passage ! Des traces noires, sur la pierre, indiquaient qu’on avait utilisé un détonateur thermique pour déloger le roc de sa position et obstruer le tunnel.

Luke ferma les yeux, appelant la Force à la rescousse. Il déplaça le rocher, le souleva, et le maintint en suspension dans l’air.

— Passe le premier, R2…

Le droïd se glissa sous le rocher en sifflant des protestations compréhensibles de lui seul. Luke fit de même – sans les protestations – puis il laissa retomber l’énorme bloc de pierre.

Sur le sol poussiéreux, immédiatement après l’obstruction, Skywalker repéra des empreintes de bottes. C’étaient celles de commandos de l’Empire, il l’aurait juré. Mais il trouva surprenant qu’elles fussent encore visibles après tant d’années.

Il s’accroupit, se demandant s’il n’était pas en train de regarder les traces de son père. Dark Vador était sûrement venu. Lui seul pouvait avoir tué le maître Jedi qui habitait ces grottes…

Hélas, les empreintes ne lui apprirent rien de plus.

Le tunnel, fort sinueux, cheminait jusqu’à des cavernes artificielles creusées dans la roche. Luke supposa qu’il s’agissait d’entrepôts. L’air charriait des effluves de fourrure et d’excréments : des rongeurs, très probablement.

Dans un coin, Skywalker repéra un petit droïd aux batteries depuis longtemps déchargées. La salle suivante abritait un système de chauffage dont tous les câbles avaient été rongés par de petits animaux.

Guidé par la sensation de propreté, Luke continua d’avancer et trouva bientôt la chambre du Jedi. Il ne restait plus rien de son corps, désintégré comme l’avaient été ceux de Yoda et d’Obi-wan, mais les vestiges de la Force de ce maître flottaient encore dans son ancien refuge. Skywalker découvrit une combinaison de neige lacérée et brûlée. A côté était posé un sabrolaser.

Luke le saisit et l’alluma. Un flux d’énergie opalescente jaillit.

Avant de désactiver l’arme, le Jedi se demanda à quelle sorte d’homme elle avait appartenu. Il ne savait presque rien de lui, sinon qu’il avait servi l’Ancienne République vers la fin de sa vie. Luke suivait sa piste depuis des mois. Conservateur des archives des Chevaliers Jedi, à Coruscant, ce petit fonctionnaire n’avait pas attiré l’attention des troupes impériales aHant envahi la planète. Ainsi, il avait pu échapper aux soldats, emportant avec lui l’histoire de milliers de générations de Jedi.

Ces archives, espérait Luke, ne pouvaient pas être un simple catalogue des faits et gestes de ses glorieux prédécesseurs. Il espérait y trouver la sagesse des anciens maîtres, leurs pensées les plus intimes et leurs aspirations. Incomplètement initié aux mystères de la Force, il avait besoin de savoir comment les Jedi formaient les guerriers, les guérisseurs, les voHants…

Le fils de Dark Vador fouilla la pièce, attentif à ne pas laisser échapper le moindre indice. R2 s’était engouffré dans un passage latéral, ses lampes intégrées déchirant l’obscurité. Quand il entendit une succession de sifflements informatiques, Luke suivit la voie ouverte par le droïd.

Il déboucha dans une autre caverne où étaient stockés des centaines d’enregistrements vidéo-holographiques. Hélas, tous avaient été réduits en cendres. De petits tas de métal fondu, voilà ce qui restait d’un trésor inestimable ! Pour faire ce sale travail, on s’était servi de détonateurs thermiques et de charges à retardement. Le coupable, quel qu’il fût, avait fait ce qu’il fallait pour qu’il ne subsiste rien d’utilisable.

Luke explora d’autres salles, jonchées des mêmes débris. Son cœur se serra : il n’y avait plus rien. Tout était perdu.

L’héritage des Jedi, détruit, pulvérisé…

— Inutile d’insister, R2…

Ses paroles semblèrent comme avalées par l’obscurité et le silence. L’astrodroïd siffla tristement. Il roulait en tous sens, se dressant sur la « pointe » des roues pour regarder dans chaque niche.

Il ne reste plus rien, se répéta Luke.

L’Empereur ne s’était pas contenté de traquer les Jedi pour les faire assassiner. Dans son mégalomaniaque désir de régner seul sur la galaxie, il avait éprouvé le besoin de détruire les Chevaliers et d’écraser tout ce qui était leur pour qu’ils ne puissent jamais plus se dresser contre lui.

Voilà pourquoi, après des mois de recherches, Luke n’avait découvert que des cendres.

Il s’assit sur le sol, se passa une main sur les yeux et se demanda ce qu’il pouvait faire de plus. Il devait exister d’autres archives, ou au moins des copies. Le mieux serait de retourner à Coruscant pour reprendre son enquête à zéro.

A l’autre bout du tunnel, R2 se mit à siffler joyeusement.

— Tu as trouvé quelque chose ? demanda Luke.

Il se leva, chassa les cendres de ses vêtements et se contraignit à marcher à pas mesurés.

Le droïd avait repéré une niche où les archives n’étaient pas fondues. Luke avisa un détonateur thermique qui avait fait long feu. La charge à retardement avait explosé, mais peut-être n’avait-elle pas été assez efficace. Le Jedi prit un cylindre de données et l’introduisit dans le lecteur de R2. Le droïd siffla et se pencha en avant comme s’il allait projeter un hologramme. Après un moment, il éjecta le tube avec un grincement dégoûté.

— Ne baissons pas les bras… déclara Luke sans grande conviction.

Il essaya un second cylindre. Cette fois, R2 projeta la silhouette d’un homme vêtu d’une toge vert pâle. Hélas, l’image disparut presque aussitôt. R2 cracha le cylindre et se retourna vers la niche pour indiquer à son maître qu’il fallait continuer.

— D’accord…

Le dernier des Jedi fourragea dans la pile pour prendre un des cylindres du dessous, peut-être mieux conservé. Il en avait choisi un quand la Force, impérieuse, guida ses doigts dans une autre direction. Quand il eut trouvé le bon tube, il éprouva une immense paix intérieure.

Celui-là, celui-là, sembla lui murmurer une voix. Là se trouvent les réponses que tu cherches.

Luke sortit le cylindre de la niche et recula. D’instinct, il sut que les dés étaient jetés. S’il devait obtenir quelque chose, ce serait maintenant. Fouiller davantage la caverne ne servirait à rien.

R2 avala le cylindre de bonne grâce. Presque immédiatement, il projeta une image holographique.

Luke reconnut une antique salle du trône où, un par un, les Jedi venaient faire leur rapport au grand maître de l’ordre. Malheureusement, les pistes étaient à moitié effacées, et Luke n’obtint que des bribes d’informations.

Un homme à la peau bleue décrivait en détail les péripéties d’une bataille spatiale contre les pirates…

Un Twi’lek aux yeux rouges racontait comment il avait fait échouer un complot contre un ambassadeur ; le tentacule qui prenait naissance à l’arrière de son crâne battait l’air en cadence…

Après chaque rapport était indiquée une date. Tout cela remontait à près de quatre cents ans.

Puis Yoda apparut, les yeux levés vers le trône. La peau moins verte que dans le souvenir de Skywalker, il n’utilisait pas de canne pour marcher. Dans la force de l’âge, le petit être avait une allure presque désinvolte ; rien à voir avec le Jedi voûté et soucieux que Luke avait connu. La bande son était quasiment inaudible, mais Skywalker capta pourtant les paroles suivantes :

— Nous avons essayé de libérer… Chu’unthor de Dathomir, mais les sorcières nous ont repoussés… J’étais avec les maîtres Gra’aton et Vulatan… Une escarmouche… Quarante acolytes tués… Nous devons y retourner pour retrouver…

Le son mourut ; l’image ne tarda pas à disparaître…

Il y avait d’autres rapports, mais aucun ne semblait porteur d’un quelconque espoir. Dans l’esprit de Luke tournaient trois mots : Chu’unthor de Dathomir.

Chu’unthor était-il le nom d’un individu, par exemple d’un chef politique, ou de toute une espèce ? Et où diantre se trouvait Dathomir ?

— R2, consulte ton fichier d’astronomie et dis-moi si tu as une référence à un endroit nommé Dathomir. Il peut s’agir d’un système solaire comme d’une planète…

Et même d’une personne !

R2 travailla en silence puis émit un sifflement négatif.

— Ça ne m’étonne pas… Je n’ai jamais entendu ce nom…

Pendant les Guerres Cloniques, des centaines de mondes avaient été détruits ou rendus inhabitables. Dathomir était peut-être l’un d’eux. A moins qu’il s’agisse de la lune d’une planète de la Bordure Extérieure, si loin de la civilisation qu’on avait oublié son existence.

Une lune ne représentait déjà pas grand-chose. Comment trouver si c’était un continent, une île, une cité ?

Qu’importait ! Un jour, Luke saurait, il en était certain.

R2 et lui remontèrent à la surface pour constater que la nuit était tombée. Le Whiphide revint sur ces entrefaites, tirant le cadavre éviscéré d’un démon des neiges. L’animal était renversé sur le dos, une langue pourpre démesurément longue pendant entre ses crocs.

Déplacer un poids pareil n’était pas une mince affaire. Pourtant, le guide tenait la queue du monstre d’une seule main. Et qui pouvait dire sur quelle distance il l’avait traîné…

Skywalker passa la nuit dans le camp des Whiphides. Sous une gigantesque carcasse de motmot, couverte de peaux pour couper le vent, les humanoïdes poilus firent un feu et rôtirent le démon. Tandis que les adultes jouaient de harpes primitives, les gosses, surexcités, dansaient joyeusement autour du festin.

Assis à l’écart, Luke méditait.

« Le futur tu verras, et le passé. De vieux amis depuis longtemps oubliés… »

Voilà ce que Yoda lui avait dit, des années auparavant, quand il l’entraînait à percer les brumes du temps.

Luke regarda les côtes géantes du motmot. Les Whiphides avaient gravé des lettres dans l’os, à près de dix mètres du sol. C’était leur arbre généalogique. Luke ne pouvait pas lire les mots, mais ils semblaient composés de flèches et de pierres qui tombaient du ciel en tournoHant.

Ces projectiles le visaient, c’était l’évidence. Malgré le climat rigoureux de Toola, le Jedi sentit de la sueur couler sur son front.

Alors lui vint une vision.

Il se trouvait dans une forteresse de pierre, au sommet d’une montagne, le regard baissé sur la plaine qui s’étendait à ses pieds et sur les collines qui moutonnaient dans le lointain.

Une tempête se leva. Un vent formidable amenait avec lui de gros nuages noirs et des tourbillons de poussière.

Les arbres pliaient sur son passage…

Bientôt, des grappes de nuages déchirés par le tonnerre et les éclairs oblitérèrent le soleil.

Sentant une présence maléfique dans ces nuées, Luke comprit qu’elles devaient leur existence au Côté Obscur de la Force.

La poussière et les pierres tourbillonnaient dans les airs comme des feuilles d’automne. Pour ne pas être emporté, Luke se retint au parapet de pierre de la forteresse. A ses oreilles, le vent rappelait le grondement d’un océan déchaîné.

Un cyclone animé par le Côté Obscur de la Force ravageait la région. Soudain, dans l’épouvantable vacarme, Luke entendit le son cristallin d’un rire de femme.

D’autres se joignirent au concert. Quand il leva les yeux, Skywalker vit les silhouettes qui chevauchaient les nuages en se jouant des pierres et des débris.

Ces rires, quelle horreur !

Alors une voix murmura :

— … sorcières de Dathomir…