19

— Gethzerion n’est pas avec eux… affirma Teneniel le soir suivant, alors qu’ils observaient la prison depuis une colline.

Elle parlait d’une longue colonne de soldats et de bipodes qui avançaient dans la plaine.

Secrètement, la jeune femme avait prié pour que Gethzerion ait quitté la prison avec cette expédition. L’idée de la rencontrer lors du raid ne lui disait rien qui vaille.

La « plaine » en question était le lit du lac, asséché en été. Autour des dernières flaques de boues, des joncs poussaient avec une belle vigueur. Des trous, dans ce cloaque, marquaient les endroits où de gros poissons s’étaient enfoncés à la recherche de l’eau.

— Je compte quatre-vingts bipodes et quelque six cents hommes, les informa Isolder. Dommage que nous ne puissions pas prévenir les sœurs de la Montagne qui Chante.

— Je peux envoyer un message, le détrompa Teneniel. (Elle ferma les yeux et psalmodia un sort de communication.) Augwynne, entends mes mots et vois avec mes yeux. Evalue les forces que nos ennemies envoient.

Le contact établi, la jeune sorcière laissa ses sens devenir ceux de la matriarche.

— Combien de temps leur faudra-t-il pour atteindre le clan ? demanda Isolder.

Teneniel se sépara d’Augwynne.

— Deux jours. Nous devrons être de retour avant leur arrivée.

Ils étaient sur une colline, bien cachés par des arbres au feuillage luxuriant. A huit kilomètres de là, les lumières de la prison aux murs d’acier brillaient comme de petites étoiles.

Teneniel lança un sort pour améliorer sa vision nocturne. Devant la prison, elle aperçut plusieurs Sœurs de la Nuit. Dans les tours de garde, les droïds tournaient sans cesse sur eux-mêmes, surveillant l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Tout cela ressemblait au détail près à la reconstitution de Barukka.

Luke décrocha ses macrojumelles de sa ceinture.

— Il ne reste plus qu’un bipode, et je ne vois pas le speeder. Il y a des capteurs de senseurs sur le toit. Rien d’extraordinaire, mais R2 et C-3P0 ne pourront pas approcher davantage. Il s’agit d’une prison, donc il doit y avoir des biosenseurs. Pour ne pas nous faire repérer, il faudra rester hors de leur portée le plus longtemps possible, ce qui implique un détour par le sud. Ensuite, les rochers nous serviront d’écran…

R2 bipa et se balança d’avant en arrière.

— Maître Luke, traduisit C-3P0, il capte des communications entre les vaisseaux de Zsinj et la prison.

— Contenu ?

— Hélas, les transmissions sont codées. C’est un ancien système de chiffre, semblable à ceux que l’Alliance Rebelle craquait sans trop de mal. Donnez-moi quelques heures, et je me fais fort de tout vous dire.

— Désolé, C-3P0, mais nous n’aurons pas le temps d’attendre. Travailles-y pendant notre absence. Qui sait, ça pourra nous servir.

— Compris, maître, je ferai de mon mieux, comme toujours.

— Parfait. Chewie, tu restes ici pour protéger les droïds. Nous ne serons pas longs…

Chewbacca grogna puis étreignit Han pour lui faire ses adieux. Ayant libérer les rancors, Teneniel leur conseilla d’aller chasser dans la forêt. Comme toujours sur Dathomir, le soir tomba d’un coup ; sous la lumière pourpre du crépuscule, Han, Leia, Luke, Isolder et Teneniel se mirent en route, marchant derrière les amas de joncs chaque fois que c’était possible.

Teneniel recourut à la magie afin d’améliorer sa vue et son ouïe. Cela ne lui servit pas à grand-chose, sinon à entendre le cri que poussa Tosh dans le lointain pour leur souhaiter bonne chance.

 

Ils atteignirent les collines « chauves » deux heures plus tard, tandis que la première lune de Dathomir montait dans le ciel. Alors, ils se dirigèrent vers le nord.

La terre et les rochers reflétaient la lumière argentée des deux lunes. De la chaleur s’élevait encore du sol, cuit à point par le soleil, mais un vent frais se leva bientôt, annonçant une nuit très froide. Dans une mare presque asséchée, ils rencontrèrent un couple de créatures cornues occupées à s’extraire du sable. Luke s’immobilisa. Les gros sauriens, surpris, dardèrent leurs queues hérissées d’épines, mais ne semblèrent pas assez effrayés pour vouloir se battre. Au contraire, ils rentrèrent la tête dans leur carapace, secouèrent le sable qui collait à leur dos, et partirent vers les joncs histoire de manger et de boire.

Peu après, le petit groupe arriva en vue de l’avant-poste de la garde, une tour blanche de quelque quinze mètres de haut.

L’endroit était désert. Luke avisa le trépied d’un canon-blaster. L’arme n’était plus là.

— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Leia. Où sont les soldats ?

— Partis avec la troupe ? suggéra Han.

— Non, fit Luke, péremptoire. Regarde les capteurs des senseurs, là-haut. Ils sont tout rouillés… (Il réalisa soudain qu’aucun de ses compagnons n’aurait pu voir ce genre de détail dans le noir ; ses sens de Jedi fonctionnaient à plein rendement.) Je crois qu’il y a longtemps que cet avant-poste est abandonné. Réfléchissez : depuis l’interdiction de la planète, tout le monde y est prisonnier. Si des détenus s’échappent, ils ne peuvent pas aller bien loin…

— Peut-être, admit Leia, mais qui voudrait laisser en liberté une bande de meurtriers et de brutes ?

Le raisonnement de la princesse avait des mérites, mais Luke sentit qu’il clochait. Hélas, le temps manquait pour étudier la question.

— Contentons-nous des faits, conclut-il, et allons voir ce qui nous attend.

Une fois passé le poste, Luke et ses compagnons eurent la surprise de découvrir une rivière aux eaux sombres là où ils s’attendaient à voir un lac.

Au nord, à un kilomètre de là, une douzaine de droïds géants travaillaient à mettre en place des tuyaux d’irrigation dans des champs. La carte vivante de Barukka n’avait pas signalé cette zone…

Au-delà, Luke distinguait seulement le mur est de la prison, trop lisse pour que même un rancor puisse l’escalader. Dans les tours de garde orientées vers cette partie du paysage, des droïds montraient leur dos, indiquant ainsi qu’ils surveillaient surtout la cour.

— Je vois une station de pompage et quelques droïds agricoles, souffla le Jedi. J’aperçois aussi une entrée, derrière la prison ; je ne peux pas dire si elle est bien gardée.

Luke voulut remettre ses macrojumelles à leur place, mais Teneniel les lui prit des mains. Les portant à ses yeux, elle constata que les infrarouges éclairaient la nuit mieux que ses sortilèges.

— La porte de derrière, souffla Isolder. C’est notre seule chance.

— Tu veux y aller les mains dans les poches ? ironisa Han. On va se faire descendre.

— Servons-nous des droïds agricoles, insista le Hapien. Ce sont des modèles très simples. Si on saute dans leur trémie, ils croiront avoir moissonné quelque chose et ils nous conduiront dans l’usine agro-alimentaire.

— Tu es sûr que ça peut marcher ? s’inquiéta Han. Imagine que les gardes inspectent la trémie ? Que les droïds des tours nous voient et tirent dans le tas ? Que les robots aient une broyeuse intégrée ? Bon sang, je pourrais passer le reste de la journée à énumérer tout ce qui risque de mal tourner.

— Tu as une meilleure idée ? contre-attaqua le Hapien. Pour commencer, les gardes s’échinent à empêcher les gens de sortir, pas d’entrer ! Quant aux droïds des tours, ils ne verront rien, puisqu’on s’enfoncera sous la récolte. En ce qui concerne la broyeuse, pas de risque : ces modèles sont des HD 32 44 exportés par la Confédération ! Je sais qu’ils n’en ont pas.

Han foudroya le prince du regard. Luke se tourna vers Leia pour jauger sa réaction. Les deux hommes essayaient de l’impressionner.

Isolder avait pris un avantage, du moins si son plan marchait.

— D’accord ! s’exclama Solo. Je passe le premier !

Il dégaina son blaster et avança le long d’une « haie » de rochers, attentif à ne pas attirer l’attention des droïds guetteurs. Puis le Corellien et ses compagnons se faufilèrent parmi des plants de vignes chargées de fruits rouges. Chaque fois qu’il put, l’ancien contrebandier en goba une généreuse poignée.

Ils arrivèrent aux pieds d’un droïd. Utilisant des dizaines de petits crochets de métal, il cueillait les fruits pour les jeter dans sa trémie.

Haut d’à peine trois mètres, le moissonneur mécanique marchait sur des jambes courtaudes. Han le regarda, dubitatif, mais Isolder escalada une petite échelle de maintenance, sur le flanc du robot, et entra dans la trémie. Imperturbable, le droïd continua de la remplir de fruits.

— Venez ! cria le Hapien. C’est presque vide…

Han, Leia et Luke obéirent. Teneniel hésitait. Le Jedi capta son angoisse à l’idée d’être avalée par la gueule noire du moissonneur.

Le robot fit demi-tour ; d’un pas lourd, il prit la direction de la prison. Sortant la tête, Luke souffla :

— Teneniel, dépêche-toi !

Elle courut, grimpa à l’échelle et plongea.

Avec cinq personnes à l’intérieur, la trémie faisait un peu boîte à sardines. Sentant le trouble de la jeune sorcière, Skywalker lui souffla :

— Tout va bien… Ne t’inquiète pas…

Han sortit la tête et regarda dehors.

— Deux gardes à l’entrée, annonça-t-il.

Le cœur battant la chamade, Teneniel tenta de se calmer en invoquant la Force comme Luke le lui avait appris. Quand elle respira plus régulièrement, son mentor la félicita :

— Très bien…

Il lui serra la main.

Une lumière vive brilla au-dessus de leurs têtes. Ayant atteint la porte, le droïd s’était arrêté. Sa voix métallique s’éleva :

— J’ai un chargement de hwothas pour l’usine.

— Déjà ? s’étonna un garde. Joli travail pour un tas de ferraille. Tu peux entrer.

— Avec une si belle récolte, tu crois qu’on pourrait en prélever un peu ? demanda l’autre soldat.

— Pas question ! Tout pour l’usine, tu connais le règlement.

Le robot traversa des halls brillamment éclairés, passa devant des machines qui sifflaient en crachant de la vapeur, puis s’immobilisa. La trémie s’ouvrit, et Luke se sentit glisser dans le noir. Teneniel gémit ; une fois encore, il dut la rassurer :

— Tout va bien.

Ejectés dans un tuyau de métal aux parois lisses, les membres du commando furent poussés sur un tapis roulant ; des buses intégrées à la voûte les aspergèrent d’eau.

— Le système de lavage… souffla Isolder.

Quand la douche cessa, un souffle d’air froid passa au-dessus de leurs têtes.

Puis ils aperçurent de la lumière. Luke sauta du tapis roulant et tira la jeune sorcière par le bras. Han et Leia imitèrent la manœuvre.

L’air était humide et chaud, et on ne voyait pas grand-chose. Tendant l’oreille, le Jedi entendit des voix, sur sa droite.

— Où sommes-nous ? demanda Teneniel.

— Sous les cuisines, répondit Han, dans le tunnel de service du synthétiseur. A présent, à nous de trouver un moyen d’en sortir.

— Par-là, souffla Luke, se fiant toujours à l’écho des voix.

Ils slalomèrent dans une forêt de piliers métalliques (les supports du tapis roulant), rampèrent sous des tuyaux, puis s’engagèrent dans un tunnel.

Il leur fallut six minutes pour atteindre une grille au travers de laquelle Han vit des centaines de personnes assises dans un grand réfectoire. Toutes les silhouettes portaient des combinaisons orange. Il y avait une majorité d’humains, mais le Corellien repéra plusieurs reptiles glabres dont les yeux énormes dominaient le visage en forme de marteau.

— Des Ithoriens, murmura Han.

— Que font-ils dans une prison ? demanda Leia.

Elle ouvrit grands les yeux. Sur une passerelle, des Impériaux en armure surveillaient les prisonniers, blaster au poing.

Tournant la tête, Luke aperçut une autre lumière.

— Par ici !

Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant une deuxième grille. Elle défendait une pièce qui sentait la chaleur et l’humidité. Un homme d’âge mûr supervisait une compagnie de droïds occupés à pendre des uniformes sur des chariots.

— Et maintenant ? demanda Han.

Le blanchisseur ordonna aux droïds de sortir avec les vêtements. Ils obéirent prestement.

Alors Skywalker s’adressa au bonhomme :

— Hé, toi, viens donc ouvrir cette grille !

— Je t’en prie, Luke, gémit Leia, n’essaye pas ce truc. Il tourne toujours à la catastrophe.

— Qu’est-ce que vous fichez là-dedans ? demanda le vieil homme en approchant.

— Tu dois ouvrir cette grille ! tonna Luke, laissant la Force envelopper le blanchisseur.

— Je ne connais pas le code d’ouverture, sinon, pensez, je serais ravi de vous aider. Mais comment êtes-vous arrivés là, bon sang ?

Luke comprit que ses trucs de Jedi n’auraient aucun effet sur le prisonnier. Néanmoins, il semblait disposé à les aider.

— Un instant, Luke, intervint Han, je crois que je vois le boîtier de commande. Si je le faisais fondre d’un bon tir de blaster ?

— Surtout pas ! supplia Leia. Ça déclencherait une alarme.

Passant outre, Solo dégaina et tira. Tous attendirent en retenant leur souffle.

— Tu vois ? triompha le Corellien. Pas d’alarme !

— Un coup de chance, maugréa la princesse. A présent, tu vas trafiquer les câbles pendant une heure et finir par faire sonner quand même une alarme !

Han tendit une main et toucha le métal brûlant.

— Ouille !

Comme sur ordre, la grille coulissa.

— Et voilà le travail !

— Fanfaron !

— Tu dis ça parce que tu répugnes à exprimer ton admiration.

Ils entrèrent dans la blanchisserie.

— Bien joué, reconnut Luke.

Le vieil homme aida Teneniel à passer la grille.

— Vous venez faire quoi, exactement ? demanda-t-il.

— C’est une invasion ! répondit Han.

Le prisonnier les étudia de la tête aux pieds.

— Ouais… Vous n’irez pas loin habillés comme ça. Que voulez-vous mettre ?

— Que proposez-vous ?

— Tout ce que vous voulez ! J’ai des costumes de prisonniers, des uniformes de gardes, des robes de sorcières… Vous venez d’où, au fait ?

— D’un peu partout, fit Solo, suspicieux. Pourquoi toutes ces questions ?

— Du calme, Han, intervint Luke. Il est inoffensif.

— Comment en être sûrs ? Après tout, c’est un criminel.

— Je sens la même chose que Luke, affirma Leia. Pourquoi êtes-vous ici, mon ami ?

— Divergence d’opinion avec l’Empire. J’avais une société d’études aérospatiales, sur Coruscant. Quand les Impériaux ont voulu nous voler nos plans, nous avons mis le feu à notre immeuble. Si vous cherchez de vrais criminels, vous vous trompez d’endroit.

— Des prisonniers politiques ? demanda Han.

— Et des objecteurs de conscience. Trop précieux pour être exécutés, et trop subversifs pour rester en liberté.

— Voilà pourquoi on les a incarcérés sur une planète perdue, avança Luke. De vrais délinquants seraient détenus dans une prison hypermoderne, afin qu’ils ne s’évadent jamais. Pour l’Empire, Dathomir est une espèce d’oubliette…

— Combien êtes-vous ? demanda Leia.

— Trois mille… Mais dépêchez-vous, on peut parler pendant que vous vous habillez. Quelle est votre mission ? Où devez-vous aller ? Essayez-vous de nous libérer ?

— Nous avons besoin de nous déplacer librement dans la prison, expliqua Han.

Le blanchisseur donna des robes de sorcières aux femmes et des uniformes impériaux aux hommes.

Soudain, il s’immobilisa, l’oreille aux aguets.

Deux soldats entrèrent. Les quatre intrus firent comme si de rien n’était. Les soldats hésitèrent, l’index sur la détente de leurs fusils-blasters.

— Vous deux ! cria Han. Approchez, et que ça saute.

— C’est à nous que vous parlez ? demanda le plus grand des gardes.

S’interrogeant du regard, les deux hommes avancèrent.

— Je suis le sergent Gruun, improvisa Han, sécurité extérieure ! Nous nous sommes infiltrés dans la prison au nez et à la barbe de tout le monde. En des années de carrière, je n’ai jamais vu saloper le boulot comme ça. Dites-moi, qui est votre chef ?

Les deux hommes se regardèrent puis dégainèrent leurs blasters. Vif comme l’éclair, Han saisit les deux armes par le canon de manière à ce qu’elles carbonisent le plafond. Isolder et Luke bondirent et assommèrent les soldats.

Han jeta les blasters sur le sol en gémissant :

— C’est chaud !

Leia ligota les Impériaux pendant que Luke et Isolder les délestaient de leurs armures.

Les gardes endormis finirent dans un panier de linge aussitôt poussé dans la pièce adjacente par le vieux blanchisseur.

Luke, Han et Isolder se partagèrent les pièces d’armure. Leur nouvel allié les regarda faire sans poser de question. Parfois, il valait mieux ne pas connaître trop de réponses. S’il était torturé, il ne pourrait trahir aucune information vitale.

— Merci pour votre aide, lança Han quand ils furent habillés. Je n’oublierai pas. Si on quitte ce fichu caillou, je reviendrai vous chercher.

Luke regarda le vieux prisonnier. Le témoignage des deux gardes risquait de lui valoir des ennuis.

Le Jedi passa dans l’arrière-salle, posa une main sur la tête de chaque homme, et laissa la Force balayer leurs souvenirs des dix dernières minutes.

— Traînez-les dans le tunnel, de l’autre côté de la grille. En se réveillant, ils vous auront oublié. Et ils ne risquent pas de se rappeler avant quelques années.

— Je sais qui vous êtes… J’ai croisé des Jedi… Merci !

— Merci à vous.

Fatigué par l’effort qu’il venait de produire, Skywalker titubait sous le poids de l’armure. Altérer la mémoire d’autrui était une tâche difficile. Il avait peut-être épuisé sa réserve de pouvoir de la journée…

Tuer les gardes eût été plus facile, mais c’était hors de question pour un Jedi.

Espérant ne pas payer trop cher son pacifisme, Luke suivit ses amis, en route pour une visite de la prison.