18

Teneniel conduisit le groupe dans la vallée. Bien que le soleil de midi ne parût pas très chaud, les rancors étaient immergés dans un étang, laissant seulement dépasser leurs naseaux.

Quelques gamins du village crièrent des ordres ; quatre bêtes émergèrent de l’eau. Les gosses les équipèrent de leurs étranges armures de plaques tenues par des lanières de whuffa. Cela fait, les mêmes enfants grimpèrent sur le dos des monstres pour les harnacher à la manière de vulgaire chevaux, à ceci près que chaque rancor recevait deux selles.

Leia choisit une femelle nommée Tosh. Sans doute à cause de son âge, sa peau mate était couverte de lichen et de mousse.

Han aida la princesse à enfourcher sa monture. Puis, avec Luke et Isolder, ils hissèrent les droïds sur un rancor et les attachèrent chacun sur une selle.

Amener R2 et C-3P0 compliquait les choses, mais ils auraient besoin des senseurs de l’un et des traductions de l’autre.

Quand ce fut fini, Chewie et Teneniel montèrent chacun sur un rancor.

Han s’approcha de la bête de Leia, cherchant un moyen de grimper sans se ridiculiser.

Luke accourut.

— Dis voir, Han, fit-il, j’espérais voyager avec Leia. Je ne l’ai pas vue depuis longtemps, et j’aimerais bavarder avec elle.

La princesse sentit une tension inhabituelle chez son Jedi de frère.

— Pas question ! répondit le Corellien. Leia est à moi. Pourquoi ne pas partager le rancor de Teneniel ? Elle est folle de toi, mon vieux !

— Elle ? Tu rêves…

Luke avait rougi, éclairant soudain la lanterne de Leia : gêné, le Jedi se sentait tiré dans plusieurs directions. Il appréciait la jeune femme, mais il ne voulait pas l’approcher de trop près.

— Ne me fais pas croire que tu n’as rien remarqué, insista Han. Elle te dévore des yeux…

— D’accord, j’ai vu, avoua Luke.

— Et alors ? Elle ne te plaît pas ?

— Nous sommes si différents…

— Mon œil ! Luke, vous avez un tas de trucs en commun. D’abord vos planètes d’origine, deux trous perdus. Ensuite vos pouvoirs… Et puis, tu es un homme et elle une femme… Ça crée des liens, non ? Crois-moi, vieux frère, à ta place je lui demanderais de me prendre sur son rancor.

— Tu crois vraiment ?

Leia sentit que son frère se détendait. Han était décidément un beau parleur.

— Si tu ne te décides pas, c’est moi qui vais y aller, menaça le Corellien en coulant un regard à la princesse.

— Han Solo, tu es si enfantin ! s’écria Leia. Ne crois pas me rendre jalouse avec tes gamineries !

— Minute ! se défendit Solo. C’est moi l’amoureux délaissé, pas toi. Si tu veux chevaucher avec Sa Grâce le prince Isolder, c’est ton droit. Mais laisse-moi me consoler comme je l’entends.

— Je me fiche de ce que tu fais, mentit Leia. C’est que tu te serves d’une femme de cette manière qui m’inquiète.

— Moi ? Faire une chose pareille ?

Il écarta les bras, puis haussa les épaules comme s’il n’en croyait pas ses oreilles. Se tournant vers le rancor de Teneniel, il constata que Luke avait suivi son conseil.

Approchant à pas de loup, Isolder bondit sur le dos du grand animal et prit place derrière la princesse.

— Que penses-tu de ce coup-là, général ? triompha le Hapien en flattant le genou de Leia. On dirait que tu vas devoir voyager avec ton copain le Wookiee. Normal, vous êtes inséparables !

Han défia le Hapien d’un regard qui déplut profondément à la princesse.

 

Médiocrement commencée, la journée ne se bonifia guère. Tout d’abord, ils durent grimper au sommet d’une falaise de près de cent mètres de haut. Il existait un chemin, fort sinueux, où les rancors se révélèrent des montures inconfortables au possible.

Chaque fois que les bestiaux tournaient la tête, les plaques de leur armure brinquebalaient, déséquilibrant le cavalier. En montée, la démarche chaloupée des créatures obligeait à une concentration de tous les instants. Sans cela, finir à terre était inévitable.

Quand un rancor ruait, se maintenir sur son dos tenait du rodéo. Tout bien pesé, cette manière de voyager était tuante. Mais traverser ces montagnes autrement eût été impossible.

Par deux fois, ils se trouvèrent au pied de canyons qu’un alpiniste entraîné aurait hésité à attaquer. Enfonçant leurs griffes dans les anfractuosités, les rancors se jouèrent de ces obstacles. Pendant une escalade, la monture de Solo descella une grosse pierre qui manqua atterrir sur le crâne du Hapien.

— Navré, lâcha Han.

— Navré, vraiment ? Enragé de ne pas pouvoir me prendre Leia, tu essayes maintenant de m’assassiner…

— Han n’est pas homme à faire ça, intervint la princesse.

Isolder parut rien moins que convaincu. Il se tut un long moment, jusqu’à ce que leur monture marche très loin devant les autres.

— Leia, je ne comprends toujours pas pourquoi tu as suivi Solo…

Il n’ajouta rien, attendant une réponse qu’elle n’était pas prête à lui donner.

— Est-il si étonnant que j’accompagne un vieil ami ? demanda-t-elle, histoire de noyer le poisson.

— Oui.

— Et pourquoi ?

— Pour commencer, son ironie me porte sur les nerfs…

— Et ?

— C’est un malotru. Il n’est pas assez bien pour toi…

— Je vois, siffla Leia, prête à exploser. Pour le prince de Hapes, le roi de Corellia est un rustre, et pour le roi de Corellia, le prince de Hapes est de la vermine. A quand la création d’un fan-club mutuel ?

— Il m’a traité de vermine ? s’étrangla le prince.

 

Un peu plus tard, dans des broussailles où un homme aurait eu du mal à se frayer un chemin avec une vibrolame, les rancors se contentèrent d’écraser la végétation. Alors que sa monture passait sous un arbre, le Hapien écarta une branche qui menaçait de blesser Leia. Comme de juste, il la lâcha au moment où Han et Chewie arrivaient.

— Bon sang, fais attention, prince de malheur !

Isolder sourit.

— Mon cher Solo, tu devrais être très prudent. La planète où tu nous as conduits regorge de variétés très dangereuses de vermine.

Han blêmit.

— Ne t’inquiète pas, prince, maugréa-t-il, je sais m’occuper de mes fesses !

Le reste de l’après-midi, trop fatigués pour se disputer, les deux hommes chevauchèrent en silence. Leia tendit l’oreille pour capter la conversation de son frère et de Teneniel. Luke lui parlait de la Force ; quand il eut fini, elle lui expliqua comment chasser une bête à cornes qu’elle nommait un drebbin.

Apparemment, ces créatures étaient les prédateurs des rancors. Leia avait un certain mal à croire qu’une telle chose soit possible…

Le soir, quand ils atteignirent une rivière aux eaux tumultueuses, les rancors y entrèrent avec une joie visible.

Détendue, Leia sifflota un air. S’apercevant que c’était la chanson de sinistre mémoire du droïd-protocole, elle s’arrêta net.

Han fit nager son rancor jusqu’à celui de la princesse. Isolder tira sur les rênes pour essayer de chasser l’intrus. Un moment, les deux bêtes luttèrent flanc contre flanc.

— Ça suffit, tous les deux ! explosa Leia.

— C’est lui qui a commencé, se défendit Solo.

Isolder fit claquer les rênes, éclaboussant copieusement le général.

Derrière eux, Teneniel se mit à chanter. Une colonne d’eau striée d’écume s’éleva dans les airs. Elle s’immobilisa au-dessus de Han et d’Isolder, puis éclata, les douchant des pieds à la tête.

Luke et Chewbacca éclatèrent de rire. Leia sourit à la sorcière.

— Merci beaucoup. Voilà un sort qui me serait très utile…

La princesse capta soudain un maelström d’émotions. C’était Luke. Elle l’avait rarement vu aussi touché par une femme.

— Nous pourrons camper bientôt, les informa Teneniel quand les rancors sortirent de l’eau. Les cavernes ne sont plus loin…

R2-D2 bipa soudain avec sa frénésie coutumière.

— Il ne signale pas de transmission impériale, traduisit C-3P0, ses yeux d’or brillant intensément sur le fond vert sombre de la forêt. Les échanges radio sont intenses, et…

R2 sembla s’affoler.

— Que se passe-t-il ? demanda Skywalker.

— Apparemment, maître Luke, plusieurs vaisseaux ennemis viennent de sortir de l’hyperespace. R2 essaye de les compter. Jusqu’ici, il en a recensé quatorze.

Leia leva les yeux au ciel. Bien entendu, on ne voyait rien.

— Je n’aurais pas dû venir avec un Dragon, grogna Isolder. Après notre escarmouche, ils n’avaient plus qu’une alternative : fuir ou appeler des renforts. Ils ont opté pour la seconde solution…

Leia voulut demander s’il y avait beaucoup de risques que les hommes de Zsinj viennent les chercher sur la planète, mais elle s’abstint, jugeant inutile d’inquiéter davantage ses compagnons.

Une ride barra le front de Solo. Grâce à la radio, les soldats du seigneur de la guerre savaient sûrement qu’un général de la Nouvelle République était coincé à terre. Comme celle de tous les officiers de l’ancienne Alliance, la tête du Corellien était mise à prix. Zsinj prendrait-il le risque de lever la « quarantaine » de la planète ?

— Isolder a raison, déclara Leia, je déteste avoir tous ces navires au-dessus de ma tête. Allons nous cacher dans les cavernes.

La possibilité que les senseurs adverses détectent les circuits électroniques des droïds était infime. Néanmoins, il valait mieux ne pas tenter le diable.

En dix minutes, Teneniel les conduisit jusqu’à l’entrée d’une caverne à demi dissimulée par un entrelacs de lianes. Descendant de son rancor, la jeune femme cria :

— Barukka ! Barukka !

Personne ne répondit.

Teneniel ferma les yeux et entonna une incantation.

— Je ne la sens pas dans les environs, souffla-t-elle au bout d’un moment.

— Si nous ne la trouvons pas, s’inquiéta C-3P0, comment obtenir des informations sur la prison ? R2, cherche des signaux vitaux !

Le petit droïd bipa et fit tourner son antenne en tous sens.

Teneniel entra dans la grotte.

— J’ai trouvé des vêtements, les informa-t-elle en sortant. Des ustensiles de cuisine, aussi. On dirait qu’elle est partie depuis quelques jours…

— Super ! railla Han. Et pour où ?

— Elle doit être en train de chasser. A moins qu’elle ait rejoint les Sœurs de la Nuit. Barukka vit un moment difficile. Comme toutes les oubliées, elle est censée rester seule pour méditer. Souvent, l’épreuve se révèle trop dure…

Le ciel s’obscurcissait peu à peu.

— Campons ici, décida Luke. Nous verrons bien si elle revient…

Il fit avancer son rancor. Teneniel disposa des cailloux en demi-cercle devant l’entrée de la grotte, sûrement pour signifier qu’elle était occupée.

L’idée d’entrer perturbait Leia, gênée de violer l’intimité de Barukka.

Isolder fit avancer leur monture.

Le réseau de cavernes était un superbe labyrinthe semé de stalactites et de stalagmites incrustées de grenats traversés de reflets métalliques verts et ivoire. On eût dit de l’eau de mer cristallisée. Leia comprit pourquoi les sorcières parlaient de la Rivière de Gemmes.

La voûte était assez haute pour qu’un rancor se tienne sur les épaules d’un autre. Un ruisseau serpentait de grotte en grotte.

Teneniel sortit des bûches d’une niche située près de l’entrée. Han les embrasa avec son blaster. Tout au long de la journée, le groupe était resté en éveil, guettant une attaque des Sœurs de la Nuit. A présent qu’ils auraient pu parler, Leia se sentait trop fatiguée.

Les rancors étaient en pleine forme. Ils se groupèrent autour du feu, Tosh tenant à ses deux fils et à sa fille un long discours fait de grognements et de cris. La lueur des flammes jouait sur ses crocs éclatants et sur les plaques de son armure.

Chewie se roula en boule sur une natte et s’endormit ; R2 et C-3P0 se postèrent à l’entrée afin que le petit droïd puisse surveiller les environs.

Brandissant une torche, Han partit explorer le fond de la grotte. Tandis que Teneniel grillait des espèces de marrons, Luke continua à lui faire la conversation.

Isolder s’assit contre une colonne de pierre, son blaster sur les genoux.

Teneniel désigna Tosh d’un signe de tête.

— Elle raconte à ses enfants comment leurs ancêtres firent connaissance des sorcières. Si je comprends bien, une femelle malade rencontra une sœur qui la soigna. Ensuite, la sorcière voyagea sur le dos de la bête et apprit sa langue. De sa position haut perchée, la femme repérait de loin la nourriture. La rancor se goinfra et devint énorme. L’heure venue, elle eut des enfants qui prospérèrent alors que tous ceux des autres mouraient. En ces temps, les rancors ne savaient pas fabriquer des armes comme les lances ou les filets. Ils ignoraient l’art de se protéger avec des plaques d’os ou de métal. Les sorcières leur ayant appris tout cela, ils leur sont fidèles quoi qu’elles demandent. Ils nous aiment, comprends-tu ?

Leia regarda Teneniel et sourit. La jeune femme avait anticipé les questions qu’elle se posait sur les grands animaux.

— Je crois que c’est incontestable, renchérit-elle. Tosh aime ton peuple.

La jeune femme acquiesça puis tendit une main pour caresser la patte de la femelle.

— Elle nous est reconnaissante, c’est vrai, fit Teneniel. Sa horde est forte grâce à nous ! Mais aucun rancor n’est ami avec les Sœurs de la Nuit.

— J’ai cru comprendre qu’ils ne les servent pas. Pourquoi ?

— Les Sœurs maudites les traitent comme du bétail. Les rancors les ont toujours fuies.

Isolder ne put s’empêcher d’intervenir.

— Je trouve intéressant que vous traitiez les rancors en amis et les humains en esclaves, déclara-t-il. Les hommes étant en bas de l’échelle, votre société est très originale. Un peu barbare, quand même, à mon goût…

— Il est toujours plus facile de dénoncer la barbarie des autres, fit Luke. Les sorcières ont construit une société fondée sur la force. D’autres communautés ont fait de même…

Isolder reconnut le bien-fondé de la remarque.

— Par exemple, développa Leia, je trouve absurde la transmission héréditaire du pouvoir. Qu’en penses-tu, prince ?

— Venant d’une aristocrate, la remarque a de quoi étonner, répondit le Hapien. Ta famille régnait depuis des générations. Ton destin est de reprendre le flambeau, ton peuple le sait. Même si la couronne n’est plus qu’un symbole, tes sujets t’ont nommée ambassadrice d’Alderaan.

— Selon toi, le droit du sang repose sur des compétences hors du commun ? Je trouve ça aberrant, et outrecuidant.

— Pourquoi le serait-ce ? Nous sélectionnons les animaux pour augmenter leur intelligence, leur beauté ou leur pointe de vitesse. Parmi les carnivores, le chef de meute choisit toujours les femelles les plus fortes et intelligentes. Ainsi, leurs descendants héritent d’une position dominante dans le groupe.

— Un point pour toi, concéda Leia. Mais quel rapport avec les comportements humains ? Nous ne sommes pas de vulgaires carnivores.

— Si tu connaissais mieux ma mère, affirma Isolder, tu n’insisterais pas sur ce sujet.

Leia se demanda si ça n’était qu’une plaisanterie.

— Beaucoup de groupes humains se conduisent comme des prédateurs sociaux. Observe le comportement des pilotes de speeders, et tu comprendras ce que je veux dire. De plus, il y a les seigneurs de la guerre.

— Et les Sœurs de la Nuit, ajouta Teneniel.

— De quoi y réfléchir à deux fois, souffla Luke.

— Comment peux-tu avoir un autre avis que moi sur ce sujet ? s’indigna Leia. Tu es l’être le plus gentil que je connaisse.

— Tout ce que je veux dire, se défendit le Jedi, c’est qu’Isolder a peut-être raison. Que ça nous plaise ou non, l’intelligence, le charme et l’art de prendre des décisions ont sûrement des bases génétiques. Dans ce cas, il n’est pas absurde de créer une caste de chefs.

— Quelle horrible idée ! Isolder, n’as-tu jamais vu sur ta planète des hommes d’affaires qui deviendraient de très bons chefs ?

— De bons chefs, oui… D’ailleurs, c’est ce qu’ils sont dans le commerce. De là à gouverner…

— Pourquoi cette restriction ?

— Les chevaliers d’industrie mesurent tout en terme de profit, de croissance, de rendement. J’ai vu des mondes tomber sous leur coupe. On y fait peu de cas des gens tenus pour improductifs : les artistes, les hommes de religion, les handicapés. Je préfère que ces chefs-là s’occupent de leurs affaires.

— Tu te plains de l’âpreté au gain des commerçants, mais tu n’hésites pas à qualifier ta mère de « carnivore ». Où est la différence ?

— En son temps, ma mère fut une grande reine. L’ancienne République n’en ayant plus pour longtemps, il nous fallait quelqu’un de fort pour tenir l’Empire à distance. Quand ce ne fut plus possible, nous eûmes besoin d’un esprit assez solide pour maintenir notre cohésion malgré la pression des Impériaux. Ma mère sut s’acquitter de ces tâches, mais son heure de gloire est révolue. Aujourd’hui, il nous faut une souveraine assez dure pour combattre mes tantes, et assez douce pour nous conduire à la tolérance.

Teneniel était encore en train de bichonner son rancor.

— Je ne prétends pas tout comprendre à ton discours, prince, intervint-elle, mais j’ai cru deviner que tu nous traites de barbares parce que les femmes règnent chez nous, tandis que les hommes n’ont aucun pouvoir. Une reine-mère préside aux destinées de la Confédération. En quoi est-ce moins barbare ? Et surtout, où est la différence ?

— En un sens, je détiens le vrai pouvoir, répondit le Hapien, puisque c’est moi qui choisis la reine.

Leia grinça des dents. Dans toutes les sociétés, les opprimés se consolaient avec le même stupide argument. En sous-main, c’est nous qui dirigeons. Mais comment ouvrir les yeux à des gens tellement enracinés dans leur culture ?

La princesse s’aperçut qu’autre chose la mettait hors d’elle : pour le prince, elle semblait correspondre aux spécifications de la reine-mère idéale. Il prétendait l’aimer, et c’était l’un des plus beaux hommes qu’elle ait jamais vus, mais n’était-il pas du genre à tomber amoureux à bon escient ? En cas de réponse affirmative, elle ne savait pas trop comment réagir…

Teneniel vint à son secours. Fixant Isolder, elle éclata de rire.

— Je choisis la reine-mère, j’ai le véritable pouvoir, répéta-t-elle en imitant à merveille l’accent du jeune homme. Mon pauvre, tu es si bête !

Au fond de la caverne, Han poussa un cri et fit feu avec son blaster.

Luke sauta sur ses pieds et tira son sabrolaser.

— Il y a un monstre dans le lac intérieur ! s’écria le Corellien en arrivant près du feu. Il est immense, tout vert, avec d’énormes tentacules. Il voulait me manger !

— Zut, s’exclama Teneniel, j’ai oublié de vous parler d’elle…

— Tu connaissais la présence de cette chose, et tu ne m’as rien dit ? s’étrangla Han.

— Les sœurs l’ont mise dans le lac il y a des années. Devenue grande, nous pensions qu’elle ferait de l’excellente nourriture pour les rancors.

La jeune femme flatta le flanc de Tosh et murmura quelques mots. La rancor la regarda un moment, une vive lueur dans les yeux, puis ses trois enfants et elle se ruèrent vers le lac.

Teneniel, Han et les autres s’assirent autour du feu pour manger leurs espèces de marrons grillés.

A la chaleur des flammes, ils conversèrent pendant que la nuit tombait. Leia se sentit bien un moment, puis elle eut l’impression de suffoquer, son cœur battant follement dans sa poitrine. Elle se leva et regarda l’entrée de la grotte, où se dessinait la silhouette d’une femme vêtue de noir armée d’un long bâton.

— Que faites-vous là ? demanda Barukka en avançant.

A première vue, Leia avait cru avoir affaire à une vieille femme. En réalité, malgré un visage constellé de cicatrices, la sorcière n’avait pas plus de trente ans. Une aura d’obscur pouvoir l’enveloppait, la faisant paraître sans âge.

Ses yeux d’un bleu perçant luisaient sous sa capuche.

— Sachez que je suis une oubliée et que ceci est ma maison. Je ne puis vous offrir l’hospitalité.

— Alors peut-être pouvons-nous vous accueillir et vous proposer un bon repas ? demanda Luke en se levant.

— Ma sœur, expliqua Teneniel, nous avons besoin de ton aide…

Barukka les dévisagea, semblable à un animal sauvage prêt à bondir.

— Vous êtes en danger, déclara-t-elle enfin. Gethzerion réunit les Sœurs pour faire la guerre. J’ai entendu son appel. Vous êtes ses ennemies…

— Mais pas les vôtres, précisa Luke.

— Augwynne m’a dit que tu avais demandé à réintégrer le clan, rappela Teneniel. Nous serons heureuses de t’accueillir, très bientôt…

— Oui, marmonna Barukka. Elle a choisi de quitter le clan de la Nuit…

Elle parlait d’elle à la troisième personne. Leia comprit qu’elle n’avait plus toute sa tête.

— Tu as choisi, rectifia Teneniel.

— Oui… Moi…

— Nous aideras-tu ? demanda la jeune sorcière. Nous devons aller dans la prison pour voler les pièces qui manquent à un vaisseau. Tu nous diras où chercher ?

Barukka ne broncha d’abord pas. Puis elle commença à trembler…

— Non, je ne peux pas.

— Pourquoi ? insista Luke. Gethzerion n’a aucun pouvoir sur vous.

— Bien sûr que si ! Entendez-vous ses appels ? Elle me traque !

— Sa voix résonne-t-elle dans ta tête ? demanda le Jedi, passant soudain au tutoiement.

— Oui.

— Et que dit-elle ?

— Elle m’insulte et me maudit. Parfois, la nuit, je l’entends comme si elle était couchée dans mon lit.

— Vous deviez être très proches, fit Luke.

— Gethzerion est sa sœur, souffla Teneniel.

— Barukka, reprit le Jedi, elle était ta sœur, mais ce que tu aimais en elle est mort ou profondément enfoui…

L’oubliée baissa les yeux comme si elle avait voulu sonder les entrailles de la terre. Puis elle les releva et les posa sur Skywalker.

— Qui es-tu, étranger ? Ton apparence est un leurre. Je sens une présence très forte…

— C’est un Chevalier Jedi venu des étoiles… commença Teneniel.

— … Pour mettre un terme à notre monde ! cria Barukka, soudain exaltée. Oui. La prison ! J’y suis allée jadis…

Elle dessina des arabesques dans l’air en émettant des sons étranges. Enfin, elle pointa son bâton vers la voûte.

Le cœur de Leia battit la chamade quand elle comprit que les sons étaient les paroles d’une incantation.

Aux pieds de Barukka, le sol s’enfla pour former une chaîne de montagnes miniature. Lui arrivant à hauteur des genoux, le paysage en réduction s’étendait jusqu’au fond de la grotte.

La poussière tourbillonna et des bâtiments sortirent du sol comme des champignons. Nichée au cœur des montagnes, la prison formait un hexagone entourant une grande cour. Sur la face interne des murs, Leia distingua les minuscules fenêtres des cellules. Des tours de garde se dressaient à chaque coin de l’édifice. A l’intérieur, des droïds criants de vérité surveillaient la plaine, blasters prêts à tirer. Des bipodes gardaient l’entrée. En sus des annexes, une imposante tour s’élevait, adossée à la prison. Derrière, la poussière ondulait comme si un lac venait de se former.

Chewie grogna et tendit un index : de minuscules silhouettes humaines faites de poussière marchaient dans la cour. Certaines portaient des uniformes impériaux ; d’autres étaient vêtues comme les sorcières.

Barukka observait sa création, le visage noyé de sueur. Les yeux vitreux, elle ne respirait plus que par saccades.

Leia devina que seule une intense concentration pouvait lui permettre de manipuler ainsi la poussière. C’était supérieur à tout ce qu’elle avait vu faire à Luke, et, en cela même, absolument terrifiant. Si Barukka avait de tels pouvoirs, qu’en était-il des autres Sœurs de la Nuit ?

— Voilà les entrées de la prison, à l’est et à l’ouest, et voilà ses défenses.

Du bout de son bâton, elle écrasa les bipodes, dispersa les gardes, renversa les tours…

— Gethzerion cherche depuis longtemps à assembler un vaisseau de son cru. Elle garde les pièces dans la cave de sa tour, là.

L’oubliée pointa de nouveau son bâton.

Han et Luke étudièrent la carte vivante.

— La tour est trop bien gardée pour une approche directe, conclut Solo. Toute la face est semble trop exposée…

Ils regardèrent le lac, à l’ouest.

— Notre meilleure chance est de traverser les montagnes pour arriver derrière la prison, approuva Luke. Une fois dedans, ce sera un jeu d’enfant de pénétrer dans la tour.

— Exact ! confirma Han. Il y a un speeder et quelques bipodes garés dans la cour. Une fois les pièces récupérées, on devrait pouvoir fuir.

Au sommet de la tour, une minuscule Sœur de la Nuit passa une porte, leva la tête, et scruta le ciel comme si elle pouvait voir le visage de Barukka.

— Gethzerion ! s’écria cette dernière avant d’écraser l’illusion avec son bâton.

La réplique de la prison tomba en poussière. Barukka mit un genou à terre, des larmes aux yeux. Luke vint l’aider à se relever.

— Tout va bien… Elle ne te fera plus de mal…

Barukka leva vers lui son visage couvert de plaies mal refermées.

— Mais qu’adviendra-t-il de moi ? Quand mes stigmates s’effaceront-ils ?

Luke lui effleura la joue.

— Ceux qui se servent du Côté Obscur de la Force pour attaquer les autres s’infligent souvent de terribles blessures. (Au contact de ses doigts, la chair de Barukka désenfla.) Reste avec moi ce soir. Ensemble, nous commencerons à te guérir…

 

Cette nuit-là, Leia s’agita longtemps sous sa couverture. La stupide rengaine tournait dans son esprit. Souhaitant disposer d’un marteau pour caresser les côtes de C-3P0, la princesse se demanda si le droïd avait agi sciemment.

Savait-il que son : « Han Han Han Solo » menaçait de la rendre folle ?

Pour se calmer, elle tendit l’oreille afin d’entendre ce que Luke disait à Teneniel, Barukka et Isolder.

— Les Jedi utilisent la Force pour obtenir des connaissances ou se défendre. Jamais pour blesser quelqu’un ou pour conquérir le pouvoir.

— Les sortilèges de notre clan sont toujours lancés par les mêmes mots, objecta Teneniel, qu’on les destine au bien ou au le mal. Comment savoir qu’on agit pour une juste cause ?

— Ce ne sont pas les mots qui donnent le pouvoir, mais l’intention de celui qui les prononce. Si tu restes calme, si tu te sens en paix, si tu es juste et pleine de Compassion envers tes ennemis, tu invoqueras la Force à bon escient. Si tu cèdes à la haine, au désespoir, à l’envie, le Côté Obscur te dominera.

— J’ai des… amies… parmi les Sœurs de la Nuit, murmura Teneniel. Enfant, je jouais avec Grania et Varr, et je les aimais. Lors d’une fête de l’Hiver, Gethzerion elle-même m’offrit un cadeau. Elle est bannie depuis sept ans seulement. Je ne puis oublier toutes ces compagnes…

— Tu en arracheras certaines au Côté Obscur, l’assura Luke. S’il reste un peu de bien en elles, tu le réveilleras. Mais ne sois pas naïve. Le Côté Obscur sait se montrer séduisant. Ne cède pas ! Aime tes sœurs pour le bien qui demeure en elles, mais ne te laisse pas abuser. Les forces du mal prennent souvent un visage angélique.

— Tu prétends qu’on peut sauver celles qui servent le Côté Obscur, Jedi ! tonna Barukka. Mais que faire quand on est soi-même tentée ? Comment se libérer ?

— Il faut se détourner du Mal avec tout son cœur. Renoncer à sa colère, à ses désirs, à son désespoir…

Leia vit que des larmes perlaient aux paupières de la sorcière. Bien qu’incapable de les imaginer, la princesse se félicita de ne pas partager les tourments de la sœur de Gethzerion.

Luke prit Barukka par le menton.

— Le moment venu, tu pourras aussi renoncer à ta culpabilité…