IX
La première fois, j’ai ressenti une immense culpabilité. Je me suis senti honteux et sale, avec le sentiment de saccager Alice, de la dégrader, de l’abîmer, de la froisser, d’éparpiller les lettres de son prénom. Mais je n’avais pas su résister à Céline. Nous étions amants pendant que j’étais célibataire, et nous avons continué à nous voir. C’était comme une routine déjà définie. Elle essayait tout le temps de me faire comprendre qu’il n’y avait rien de grave. Que ce que nous faisions n’altérait en rien nos vies, et nos envies.
« Mais toi ? lui demandais-je.
— Quoi, moi ?
— C’est ça que tu veux ? Tromper ton mari ?
— Je ne veux pas parler de lui. C’est ma vie. Je sais juste que j’ai besoin de toi, que je veux tes mains sur mon corps, et entendre ton soupir quand tu viens. Tu ne prends pas de plaisir avec moi ?
— Si, Céline, je prends du plaisir. »
Toutes nos discussions se finissaient ainsi. Il n’y avait rien à redire, jamais, à l’hégémonie du plaisir. J’éprouvais un réel bonheur pendant que nous faisions l’amour, et je n’avais pas le droit de gâcher ces moments. On s’excitait tous, du mieux qu’on pouvait, dans nos alcôves de l’intime. C’était sûrement médiocre, mais la vie était bien trop courte pour être vécue avec l’envie d’être irréprochable.
Elle savait me retenir, aussi. Je dois bien le dire. Céline avait une façon si précise de voyager de la douceur intimidée à une forme presque brutale d’assurance érotique. De son plus grand âge, elle me dominait sûrement, mais il arrivait fréquemment que je prenne en charge nos ébats, et j’aimais alors tenir sa nuque comme s’il s’agissait de son cœur. On se voyait pendant la pause déjeuner, dans un hôtel près du bureau. Parfois, nous apportions une bouteille de vin, ou du champagne, et nous trinquions à la santé de notre plaisir. C’était bon, c’était fou, c’était enfantin. On évitait de parler de nos vies. Surtout de l’enfant qu’elle voulait. Je faisais bien attention à ne jamais faire l’amour sans préservatif. Elle voulait parfois s’en passer, et il m’était arrivé de penser que toute cette histoire n’avait qu’un but : que je lui fasse un enfant. J’ai imaginé qu’Harold, son mari, était stérile. Mais tout cela était un fantasme, une lubie. Céline voulait un enfant avec Harold, mais elle buttait inlassablement contre son non-désir. Ce désir absent, c’était sa stérilité. L’équation était terrible. C’était l’homme de sa vie, et c’était un homme qui ne voulait pas donner la vie.